Présentation

L’auteur, Marco Bojcun, est le principal historien actuel du mouvement ouvrier ukrainien. C’est aussi un historien de l’économie ukrainienne depuis 1991. Son texte prend le risque de guerre au sérieux, et se prononce contre les alliances militaires existantes et contre l’OTAN, et pour la défense par en bas.

La guerre ou la paix dépendent aussi de nous.

La perspective d’une nouvelle agression armée russe contre l’Ukraine s’affirmer comme bien réelle. Elle met en lumière deux grandes questions : dans l’immédiat, comment les Ukrainiens peuvent-ils se défendre contre de nouvelles agressions, et à plus long terme, comment les peuples d’Europe peuvent-ils construire une paix plus fiable pour l’ensemble du sous-continent ?

Il n’y a pas d’autre moyen crédible pour les Ukrainiens de se défendre aujourd’hui que de s’appuyer sur leur armée permanente de plus de 200 000 soldats et leurs réserves de volontaires qui sont passées à 400 000. Sur l’afflux des volontaires, voir :

https://www.npr.org/2022/01/19/1073792421/ukraine-russia-attack-military

Une résistance à cette échelle incitera sans aucun doute les dirigeants russes à réfléchir davantage aux coûts pour leurs propres soldats et civils si la Russie envahit. L’État ukrainien lui-même cherche des munitions supplémentaires et d’autres soutiens de l’OTAN pour renforcer la capacité de son armée à défendre le pays. Si la Russie essaie de pénétrer plus profondément en Ukraine, l’armée ukrainienne se transformera en unités partisanes dispersées de soldats, de réservistes et de civils attaquant ses positions et ses communications. La résistance fera appel à des volontaires de l’étranger ainsi qu’à une plus grande implication étatique étrangère. Une opération russe courte, brutale et chirurgicale pour découper une autre tranche de l’Ukraine pourrait bien se transformer en un cauchemar sanglant. Mais il n’est pas difficile d’imaginer que la situation actuelle se dénoue de cette manière. La Russie aura encore plus de mal à reculer, humiliée et emportant ses morts par avion comme l’a fait l’Union soviétique en Afghanistan en 1989.

C’est pas un scénario que toute personne normale ne veut en aucun cas, qu’elle soit ukrainienne ou russe. Seuls les détenteurs du Grand Pouvoir et ceux qui le recherchent pensent et planifient dans ce sens. L’écrasante majorité des gens souhaite la paix, pas la guerre. Nous devons envisager à la fois les chemins possibles immédiats et à plus long terme vers la paix. Dans la situation immédiate, je ne vois pas d’autre alternative pour l’Ukraine, son peuple et son État, que de se préparer à la guerre afin de dissuader l’État russe de la mener. Cela implique déjà d’autres puissances étrangères, en particulier certains membres de l’OTAN, et cela pourrait bien les entraîner plus loin, augmentant les enjeux pour toutes les forces impliquées. Plus les combats se prolongeront, plus il sera difficile d’y mettre fin, plus grand sera le risque qu’ils deviennent incontrôlables et se propagent dans d’autres pays. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale est riche d’enseignements pour nous à cet égard.

Les gens devraient organiser la pression sur leurs propres gouvernements pour aider à arrêter une nouvelle escalade. Il s’agit notamment d’exiger davantage de sanctions contre l’État russe, contre les grandes sociétés privées russes et les services financiers occidentaux qui protègent, traitent et blanchissent les actifs, en particulier à Londres, à New York et dans les paradis fiscaux qu’ils entretiennent. Nous devrions également étendre notre soutien aux opposants russes qui luttent contre la guerre et le paient par des poursuites pénales et des peines d’emprisonnement. L’opposition à la guerre en Russie elle-même est essentielle pour y mettre fin, de la même manière que l’opposition aux États-Unis l’a été pour mettre fin à sa guerre au Vietnam en 1975.

Troisièmement, nous devons envisager une voie vers une paix fiable en Europe, une alternative aux blocs de grandes puissances qui s’équilibrent. Cette stratégie a été reprise de la guerre froide entre l’URSS et les États-Unis et elle a manifestement échoué à maintenir la paix en Europe, en particulier sur le territoire de l’ex-URSS.

Aucun pays ne désarmera unilatéralement s’il reste entouré ou confronté à d’autres États armés. L’Ukraine a appris une leçon amère lorsque, après avoir cédé son arsenal nucléaire à la Russie en 1994 en échange d’une garantie de la Russie, des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne de respecter son indépendance nationale et son intégrité territoriale, la Russie l’a envahie en 2014 et s’est emparée de la Crimée. Il n’y a pas d’autorité au-dessus des États dans le monde d’aujourd’hui qui puisse les contraindre à faire quoi que ce soit. Seuls les États les plus forts peuvent contraindre les plus faibles.

Les États demeurent dans cet état de nature hobbesien, un monde où de loups qui se dévorent entre eux. Par conséquent, ceux qui connaissent et pratiquent une autre manière de coexister – de manière pacifique, coopérative et productive, doivent promouvoir un autre type d’ordre interétatique qui servira mieux les peuples d’Europe.

Comme point de départ, nous devrions demander le retour des troupes de tous les pays en sol étranger dans leurs casernes d’origine, le démantèlement de toutes les armes ayant une capacité ou stationnées dans un endroit permettant de frapper au-delà de la frontière de leur pays, le démantèlement de toutes les bases militaires et installations situées en dehors de leur pays d’origine, et la liquidation de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord existante dirigée par les États-Unis et de l’Organisation du Traité de sécurité collective dirigée par la Russie.

Une action parallèle, une action simultanée à ces fins par tous les États présents militairement en Europe, renforceraient la confiance internationale pour prendre de nouvelles mesures vers un ordre international fondé sur la paix plutôt que sur la peur de la violence. Les gouvernements d’Europe n’initieront pas cette marche vers la paix ; nous devons l’organiser nous-mêmes par en bas.