Nous savions que dès le 24 octobre 2018 le POI (Parti Ouvrier Indépendant)1 avait déclaré que « la candidature de Mélenchon incarn[ait] la rupture avec le système ». Si les mots ont un sens, cela signifie-t-il que Mélenchon est aujourd’hui sur une ligne anticapitaliste et qu’il peut rassembler un front sur cette orientation ? Alors qu’une partie de la base militante qui a soutenu Mélenchon entre l’élection de 2012 et celle de 2017 condamne le passage d’une position réformiste de gauche au populisme, le POI écrit une phrase lourde de signification politique :
« Un pouvoir qui décide de faire diversion en mettant en scène par tous les moyens le combat de son champion, le président Macron, contre le prétendu populisme… »
Il écarte d’emblée la question du populisme… Entre le Front de Gauche et la création de la France Insoumise, autrement dit de l’abandon de la création d’un parti qui rassemble à gauche du social-libéralisme on passe à « l’état gazeux » de la France Insoumise : Mélenchon adopte un positionnement qui est celui du guide face au peuple, « les corps intermédiaires » étant accessoires. C’est purement et simplement une adaptation à la survie de ce régime.
Le POI récidive le 23 octobre 20212 :
« Dans un contexte d’extraordinaire fragilité politique, de décomposition des institutions de la Ve République, la candidature de Mélenchon incarne d’ores et déjà la rupture avec le système, avec les politiques menées par tous les gouvernements successifs de la Ve République »
La tendance Claire du NPA, courant du parti qui présente Philippe Poutou, tout en appelant à voter Mélenchon, met un bémol à la clé, en soulignant « les impasses réformistes de son programme », mais considère que c’est un point d’appui. La tendance Claire toutefois raisonne dans le même logiciel que le POI. Mélenchon est un « réformiste », ses positions n’ont aucune chance d’aboutir en régime capitaliste, donc on le pousse à gauche.
Restait le POID…
Dans les éditoriaux précédents de la Tribune des Travailleurs, nous avions souligné que le POID s’est toujours prononcé depuis sa rupture avec le POI pour une Assemblée Nationale Constituante. Il l’a rappelé récemment depuis octobre 2021 à l’approche de la campagne présidentielle. On ne peut bien sûr que s’en féliciter.
Les positions de Jean Luc Mélenchon sur cette question, du moins celles qui étaient les siennes avant le tournant populiste et la campagne de 2017, étaient les suivantes : d’abord vous m’élisez président de la République, ensuite je vous donnerai une assemblée constituante et une VIème République. C’est ce qu’on appelle une constituante octroyée par celui qui aura été élu nouveau Bonaparte et dans laquelle les forces combattantes de notre classe sociale n’interviennent pas politiquement. Pourtant depuis la crise des Gilets jaunes, la lutte pour la défense des retraites, la défense des droits sociaux, les manifestations de masse au cœur de l’été, les multiples combats dans les entreprises aujourd’hui pour les salaires, le moins que l’on puisse dire c’est que la classe ouvrière intervient concrètement sur le terrain de la lutte des classes.
Supposons un instant que Mélenchon soit élu
président : dans le carcan de la Vème république, il n’aura pas le pouvoir d’appliquer sa politique, même si d’aventure il le veut réellement. Cette constitution a été pensée justement pour interdire une vraie démocratie sociale et politique. Et même si cette constituante pouvait procéder ainsi de la baguette magique d’un président-Bonaparte, elle ne serait pas souveraine, car elle n’implique en rien la classe salariale pour qu’elle devienne classe politique par la démocratie la plus large : collectifs locaux pour une Constituante, Assemblées populaires, diverses formes d’auto-organisation… Pour se débarrasser du régime de Macron, et donc des institutions issues du coup d’État à froid de 1958, il faut ôter toute légitimité à ce qui va sortir des urnes en avril-mai 2022. Donc il faut construire les outils pour que notre classe reprenne confiance dans l’action politique pour elle-même et non qu’elle confie ses destinées à un nouveau Bonaparte.
Dans l’Éditorial TT Numéro 312, la direction du POID écrit ceci :
« Quiconque est réellement partisan de la démocratie doit dire sa détermination à restituer le pouvoir au peuple, balayer cette Constitution, abroger cette parodie de République présidée par un roi sans couronne et convoquer immédiatement l’élection d’une Assemblée constituante. »
Mais qui restitue le pouvoir au peuple ? L’éditorialiste ajoute :
« Le premier pas vers la démocratie, c’est l’abrogation de l’élection du président de la République au suffrage universel et l’obligation pour le président élu de remettre ses pouvoirs à l’Assemblée constituante composée des représentants du peuple élus, mandatés et révocables. »
Toutefois, pour que le président élu remette ses pouvoirs à une éventuelle assemblée constituante encore faut-il qu’il vienne d’un courant hostile au régime du « coup d’Etat permanent », à laquelle les majorités de gauche se sont pliées depuis 1981. Autrement dit, le bon président qui accepte de remettre ses pouvoirs ne nous ramène-t-il pas à la position de la constituante octroyée de Mélenchon ?
Nous en étions là de l’analyse de la position du POID quand arrive l’éditorial du 8 décembre, « Pour la rupture en actes ! » préparant un meeting le 22 janvier sur la ligne : les 600 milliards pris dans la poche des travailleurs sous le régime de Macron doivent nous être restitués. L’éditorialiste ajoute :
« Le Parti ouvrier indépendant démocratique ne partage pas le programme de l’Union populaire. Cependant, l’objectif affiché par Mélenchon de passer « d’une société dominée par l’argent, l’exploitation des êtres humains entre eux » à « une autre société que nous ne savons pas nommer à cet instant […] mais qui, par la planification écologique, par la règle verte, par la réduction du temps de travail est forcément une autre société » mérite une attention sérieuse…
… Les propositions de l’Union populaire – du moins pour celles qui vont dans le sens du progrès social – ont-elles une chance d’aboutir dans le strict respect de la propriété privée des moyens de production ?»
Cette position se résume en fait à la proposition suivante : si Mélenchon se prononce pour restituer ce qui a été volé par le régime haï de Macron, alors le vote s’imposera de lui-même. Charge à notre classe de pousser à gauche pour la satisfaction des revendications :
« …c’est dire aujourd’hui publiquement, nettement et clairement, l’urgence de restituer les 600 milliards au peuple travailleur, d’interdire les licenciements et d’utiliser les capitaux ainsi confisqués pour rétablir le contrôle de la nation souveraine sur son industrie, garantir le maintien de tous les emplois, embaucher dans les hôpitaux, les écoles et les services publics. »
Quant à l’éditorial du 15 décembre « L’Espoir » il n’est qu’un pétard mouillé qui avance la perspective d’une grève générale, d’où jaillirait bien sûr une assemblée Constituante. C’est vrai que le fossé entre l’état d’esprit de notre classe et les sommets des partis « de gauche » n’a jamais été aussi profond. Ajoutons que la décomposition touche encore plus profondément la France Insoumise que les partis traditionnels.
Nul doute que Mélenchon va faire des promesses électorales : l’effondrement de son mouvement dont il porte l’entière responsabilité, le porte à chercher des alliés sur sa gauche. Il n’a plus aujourd’hui de cadres politiques pour faire une bonne campagne : en liquidant le Parti de Gauche après 2012 et en créant « l’état gazeux » de la France Insoumise, il s’est coupé des hommes et des femmes qui voyaient en lui une alternative possible contre le social-libéralisme. En 2017, il a fait une campagne de division et de type nationaliste au son de la Marseillaise et du drapeau bleu-blanc-rouge. Grosse différence avec 2012 où nous chantions l’Internationale sous le drapeau rouge et qui plus une campagne qui s’engage dans la rue le 18 mars 2012, jour anniversaire de la Commune. D’ailleurs j’ai souvenir que le POID ne l’avait pas soutenu en 2017, à juste titre !
Voter Mélenchon aujourd’hui, ce n’est pas rendre service à notre classe : chasser Macron et son régime haï, boycotter l’élection présidentielle et ouvrir la perspective d’une Constituante sont les trois volets d’une même orientation. C’est parce que nous pensons que c’est avec notre classe qu’il faut le faire, qu’APLUTSOC est solidaire d’un appel pour un Boycott Constituant de l’élection présidentielle. C’est la tâche immédiate qui s’impose.
RD, le 16-12-2021.
1 http://partiouvrierindependant-poi.fr/index.php/2018/10/
2. http://partiouvrierindependant-poi.fr/index.php/2021/10/23/declaration-bn-poi-23-oct-2021/
Je suis triplement en désaccord avec l’analyse de Robert Duguet.
Ce qui manque à l’analyse du POI, de « la tendance Claire », de celle du POId et de celle de Robert, c’est la question de la stratégie pour gagner l’élection.
Il y a une question sur laquelle les parties (POI, POId, etc) sont excusables, parce qu’il s’agit selon moi d’une nouveauté, c’est celle de la compréhension du rôle du « Tribun » à notre époque.
Je prétends qu’aujourd’hui, le mouvement des classes exploitées se méfie de la figure du Tribun. J’ai écrit un livre pour présenter ma démonstration.
C’est pourquoi je ne dis pas « Mélenchon aurait du faire ceci, ou cela ». Tout ce que je peux dire concernant Mélenchon, c’est : il faut qu’il retire sa candidature. Ce qui ne peut advenir que s’il y est contraint.
La question de la stratégie est celle du « rassemblement des progressistes ». Cette question relève du même paradigme que la question du Front Unique. Le cas échéant, je peux justifier ce point.
La candidature de Mélenchon est stratégiquement doublement une faute. Une : parce qu’il est une figure tribunicienne ; deux, parce qu’il a immédiatement renforcé les figures et les courants les plus ringards et réactionnaires (Jadot, Roussel …) dans les partis et mouvements.
La stratégie choisie par JLM le condamne à l’échec, sans doute dès le premier tour et sinon, au second.
SI CE n’était PAS LE CAS (« si ma tante en avait …) bien sûr qu’il faudrait soutenir sa candidature ! Un succès de Mélenchon constituerait pour les oligarchies dominantes un danger bien plus grand que l’élection de Mitterrand en 1981. Pourquoi ? Parce qu’en 1981 le PCF, le PS, vieux complices des classes dominantes, étaient en mesure d’espérer contrôler les masses. On a vu d’ailleurs en 1983 que les trotskistes de l’OCI en partiulier (les autres courants aussi) n’ont nullement cherché à ce que les masses se dressent contre le « tournant de la rigueur ».
Qui peut contrôler les masses, en 2022 ? Certainement pas la FI (qui n’existe pas comme parti) ni le brouillon Mélenchon, ni le PCF réduit à peu, ni le PS déraciné.
Donc il est parfaitement évident qu’une victoire de JLM serait un évènement considérable et ouvrirait pour les classes exploitées des perspectives.
Et je me fiche bien de ce qui est ou n’est pas, dans son programme ! Critiquer le programme de la FI, trouver que son Assemblée constituante est, ou n’est pas, la bonne … c’est s’en remettre à JLM comme un leader révolutionnaire ! C’est ridicule !
Qui se soucie des « programmes » ? Un gouvernement révolutionnaire, ou vaguement progressiste, ou réactionnaire, un fois au pouvoir, fait ce qu’il peut.
Le programme de Syriza (« programme de Thessalonique ») était remarquablement fait. Mais Tsipras a cédé.
Le programme du POSDR ne faisait pas cent pages : « la Paix, la Terre, le Pain ».
Le POId aurait d’ailleurs été bien inspiré de comprendre, en 2016 et 17, qu’un succès de Mélenchon ouvrait des perspectives. Car en 2017, JLM pouvait gagner. Il pouvait rassembler autour de lui l’espoir des larges masses. En 2021 et 22n il ne le peut pas. Ceux qui ne comprennent pas cela sont, je crois, incapables de penser la politique. JLM a lui-mêmedétruit sa position, il l’a brisée (voir ce qu’il a fait de ses sympathisants, la FI).
C’est pourquoi la question s’est déplacée. La question centrale aujourd’hui est celle de la stratégie. 1: pas un « grand chef », une EQUIPE.
2 pas un concours hystérique pour attraper la queue du Mickey, un rassemblement
3, pas jouer le jeu de la 5ème République en débattant à perte de vue du NOM qui sera sur le bulletin, mais mettre cette question du nom au second plan et décider de cellui ou de celle-là par consensus.
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Je n’ai pas, dans mon petit commentaire, parlé du boycott. Ceci parce que je pense que la situation de la lutte des classes ne permet à aucun degré d’espérer qu’il puisse y avoir un boycott de l’élection présidentielle.
Tout au plus peut-on avoir un progrès de l’abstention.
Mais c’est comme l’hypothèse « victoire de Mélenchon » (ces deux évènement improbables sont d’ailleurs reliés, en ce sens qu’ils dépendent d’un très haut niveau de mobilisation des masses exploitées, … qui n’existe pas). Si il n’y avait que 30% de participation, OUI, cela ouvrirait des perspectives de mobilisation d’assemblées populaires.
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Je ne connais pas le POId ni La tendance Claire du NPA mais il est piquant de noter que JLM est très écologiste et que pour le POI, l’écologie est une conspiration du Capital pour mettre les travailleurs au chômage en ruinant les industries.
Le POI par ailleurs n’a pas de mots assez durs pour agonir le gouvernement Jospin … dont Mélenchon fut un (bon) ministre…
On peut en déduire que le soutien du POI est … tactique. Tout le monde voit que le résultat sera mauvais et le POI espère « plumer la volaille ». Modestement. Je gage que le POI est engagé dans la collecte des signatures de maires.
Le raisonnement des autres est sans doute le même.
Mais… voilà un soutien à Mélenchon parfaitement sincère : SEGOLENE ROYAL !!!
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Bonjour Jean Pierre Boudine,
Mon contradicteur écrit: « Ce qui manque à l’analyse du POI, de « la tendance Claire », de celle du POID et de celle de Robert, c’est la question de la stratégie pour gagner l’élection. »
Effectivement je n’ai aucune stratégie pour gagner l’élection présidentielle: je combat pour un boycott constituant comme l’exprime notre appel à l’initiative de deux réseaux politique (Aplutsoc et Cerises de Pierre Zarka). Nous sommes avec le mouvement de notre classe pour démanteler les institutions bonapartistes de la Vème république. La question est celle des passerelles transitoires pour y parvenir, c’est à dire donner une expression politique dans le combat pour une constituante. Quant à l’analyse du POI, de la tendance Claire et du POID, elle participe toujours du vieux logiciel de 1981… on ne peut pas faire comme si les masses n’avaient pas fait l’expérience des gouvernements de gauche, qui, au pouvoir ont fait mieux que la droite (voir le gouvernement de l’ex-« trotskyste » Jospin).
On ne mène pas la même discussion… C’est totalement vain aujourd’hui de chercher un candidat unitaire de gauche propre sur lui. Le mouvement est ailleurs.
Voir le texte de Vincent Présumey ce matin sur Aplutsoc.
Cordialement
Robert
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Je ne cherche pas « un candidat unitaire propre sur lui ». Cette démarche est celle du piège de la 5ème République.
J’attends du mouvement pour l’unité qu’il dépasse ce paradigme et mette en vue une large EQUIPE qui, faisant campagne, choisira par consensus le corvéable dont le nom sera sur le bulletin.
Ruffin peut être celui qui rassemble cette EQUIPE et ne sera pas candidat.
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Je reviens sur la notion d un boycott constituant que je trouve floue et j invite l auteur à l expliciter.
Selon moi un boycott est un renoncement individuel qui prend des dimensions collectives lorsqu il est utilisé comme un.moyen de pression et peut créer un rapport de forces.
Dans la situation actuelle d éparpillement des forces d opposition au neoliberalisme/ suppression de la propriete privée des moyens de production – il y a tres peu de candidat.e.s!-
et je ne vois pas de rapport de force anti néo libéralisme qui pourrait efficacement peser sur l élection présidentielle pour la faire capoter.
Un boycott n empêchera pas l élection d un ou d une candidat.e même avec une forte abstention.
D autre part constituant, qu est ce à dire? Un boycott qui pourrait déclencher un.mouvement suffisamment puissant pour imposer une constituante?
Je reviens à ce je dis plus haut
Mais imaginons cette hypothèse
Avec quels leviers pour l imposer?
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