Par Karel Kostal, acteur du printemps de Prague et militant de la gauche social-démocrate tchèque.

J’ai pu capter des fragments de messages qui ont été lancés dans la soirée du samedi 23 janvier 2021 à Samara, à 900 km au sud de Moscou. « Nous sommes le peuple », « Russie réveille-toit »,  « мы народ », « Россия просыпайся. » Ces mots d’ordre, transmis par les réseaux indépendants, ont-ils été lancés aussi dans d’autres villes ? Ce jours-là , 65 villes russes ont exprimé leur soutien à Navalny.

« Nous sommes le peuple » est un mot d’ordre de libération nationale par excellence. En tant que pensée de l’histoire, elle n’apparaît qu’à l’époque où la réalité a achevé le processus de sa formation et s’est accomplie. En tant que pensée du peuple, elle n’apparaît qu’au moment où les hommes et les femmes décrètent : « Nous n’avons pas peur. »

« Nous sommes le peuple » est le cri d’un peuple opprimé. Par qui le peuple russe est-il opprimé aujourd’hui ? J’ai entendu dans toutes les villes contestataires Libérez Navalny », « Libérez les prisonniers politiques.» J’ai entendu « A bas Poutine », j’ai entendu « A bas la junte du Kremlin » à Khabarovsk, « A bas la junte fasciste du tribunal », devant le palais de justice de Samara.

Je n’ai pas tout vu, je n’ai pas tout entendu, la Russie est un vaste empire, et qui est peuplé de Russes.

Le peuple biélorusse, opprimé à l’échelle de l’histoire par la Russie tsariste et par la Russie de Staline, n’a pu voter pour la première fois au suffrage universel qu’après la dislocation de l’URSS. Le 9 août 2020, Loukachenklo se fait élire par le bourrage des urnes, et le 11 août 2021, le peuple est dans la rue : « Liberté de la presse », « Elections honnêtes…cette fois », et après la mobilisation historique du 16 août « Libérez les prisonniers politiques. »

Les mots d’ordre « Nous sommes le peuple » et Жыве Беларусь » « Que vive la Biélorussie » sont toujours là, malgré plusieurs milliers d’arrestations. Les drapeaux blanc rouge blanc, interdits par Loukachenko, flotte toujours au vent dans les manifestations interdites.

A l’échelle de l’histoire, la Biélorussie est un pays russifié. La langue biélorusse n’a été « reconnue » officiellement par les puissants de ce monde qu’après la dislocation de l’URSS. Pour le vassal de Poutine Loukachenko, le biélorusse est un dialecte du folklore des gens du voyage. Le président biélorusse parle russe. Les blindés qui patrouillent dans les villes sont de fabrication de l’époque du Pacte de Varsovie. En Biélorussie, l’oppresseur parle russe. Et c’est précisément pour cette raison que pour le peuple biélorusse le réveil du peuple russe est un événement sans précédent.

Plusieurs sites biélorusses indépendants clairement anti Loukachenko et anti Poutine, qui diffusent quasiment en permanence sur le territoire biélorusse, sont audibles aussi, cela va de soi, sur le territoire polonais et russe. Plusieurs sites polonais anti Poutine et anti Loukachenko (et anti Kaczynski) sont audibles en Biélorussie, en Pologne et en Russie. Depuis samedi dernier, les sites russes anti Poutine sont plus audibles en Pologne et en Biélorussie.

Ce matin, plusieurs sites biélorusses diffusent « Лукашенко и Путин против народов.» Loukachenko Poutine contre les peuples. La parole est biélorusse, les commentaires (désagréables pour Loukachenko et Poutine) sont russes. Le biélorusse a une intelligibilité mutuelle de 75 % avec le russe et de 41 % avec la langue polonaise.

Les peuples opprimés russe, biélorusse et polonais n’ont pas besoin de traduction automatique pour se comprendre. De quoi ont-ils besoin dans l’immédiat ? Que des messages de soutien arrivent, que des messages de fraternité arrivent, que par-delà les frontières des condamnations des violences policières arrivent ! 

Karel Kostal.