Soudan – La répression contre le printemps du peuple (DR)

Pendant des semaines, l’intelligence collective des dizaines de millions de manifestants, ayant pris en compte les terribles leçons des révolutions de 2011 notamment en Syrie et en Égypte, avait réussi à imposer par sa massivité le rassemblement au grand jour des exploités, des femmes, de la jeunesse et de la démocratie, chassant tant Bouteflika qu’Omar el Bachir.

Nous sommes entrés dans une autre phase.

A Khartoum, l’odieux général Mohamed Dagalo dit Hemeti (1), numéro 2 de la junte militaire dite «de transition», a «pris les choses en main». 108 morts ont été décomptés, jetés dans les eaux du Nil. Des dizaines et sans doute plus depuis. Les milices d’Hemeti sont celles qui se sont faites la main au Darfour. Le viol est leur arme de guerre n°1.

Mais tout le pays est en grève générale. Les milices tiennent la rue, le peuple est en grève. La principale organisation constituée depuis le début des «évènements», l’Association des professionnels du Soudan, issue des syndicats de l’enseignement, de la santé et des travaux publics, appelle à la «grève générale» et à la «désobéissance civile», lesquelles sont massivement suivies, avant même tout appel d’ailleurs. En ce dimanche 9 juin, les manifestants tentent de ressortir au grand jour.

A Alger, le tournant est moins brusque mais tout de même : brutalité et arrestations s’accumulent, et Kamel Eddine Fekhar, militant des droits de l’homme et défenseur de la minorité mozabite, est mort en prison. Selon ses avocats, la santé de Louiza Hanoune, arrêtée en relation avec les enquêtes contre les principaux potentats des clans Mediene-Bouteflika, par un pouvoir qui n’a aucune légitimité à arrêter qui que ce soit, se dégrade.

Funérailles du militant des droits de l’homme et de la minorité mozabite Kamel Eddine Fekhar (DR)

En même temps les militaires au pouvoir ont renoncé à organiser des élections présidentielles. Le peuple ne veut pas de telles élections. La vraie démocratie à laquelle il aspire passe par une assemblée constituante et par la formation de comités élus à tous les niveaux, détruisant l’appareil d’État militaro-mafieu.

La question de l’État, la question des armes, revient au centre de la situation. L’immense majorité veut la démocratie, elle doit pouvoir se battre. L’alternative la moins violente est celle-ci.

De même que la France arme l’Arabie saoudite pour l’aider à tuer au Yémen (où les milices de Hemeti fournissent un gros contingent aux côtés des Saoudiens), le régime soudanais est soutenu notamment par la Chine, la Russie (voir la dernière séance à huis clos du Conseil de sécurité du 5 juin), l’Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis et l’Égypte – intéressant regroupement qui dément tous les fantasmes soi-disant anti-impérialistes!

Mais, devant le constat de la résistance populaire ultra-majoritaire, les chefs d’État africains ont dépêché le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, pour une «médiation» ce vendredi. Il a fait se rencontrer le «conseil de transition» militaire, au pouvoir, et l’Alliance pour la Liberté et le Changement, représentation politique formée à partir de l’Association des Professionnels, agrégeant avec elle trois partis – deux groupements religieux hostiles ou issus de ruptures avec les Frères musulmans liés au pouvoir, et le Parti communiste, ainsi que, fait important, des délégués des guérillas du Darfour, du Sud-Kordofan et du Nil bleu. Cette alliance a accepté le principe de la médiation éthiopienne, mais, pour bien montrer ce qu’il est en est réellement, les nervis Janjawid ont kidnappé deux de ses représentants, dont le dirigeant syndical des employés de banques en grève, au sortir de la réunion!

Toutes les puissances impérialistes ont aidé ce régime et celui d’Algérie, et leur modèle en matière de restauration (provisoire) qu’est l’Égypte, à s’armer, à s’équiper en matériel de «maintien de l’ordre», à torturer, à bloquer les frontières, leur renvoyant des migrants et des réfugiés, et à mener la soi-disant «lutte anti-terroriste».

Le premier devoir internationaliste digne de ce nom est donc de combattre pour la solidarité avec les peuples soudanais et algérien, en visant au blocage de l’aide logistique et financière de toutes les grandes puissances envers eux, quelques soient leurs larmes de crocodiles.

Ce devoir est mis en avant dans l’appel, essentiellement syndicaliste, que nous avons publié. Il est un exemple de ce que devrait faire, à plus grande échelle, un mouvement syndical international indépendant. La CSI (Confédération Syndicale Internationale, qui regroupe l’essentiel des organisations syndicales mondiales et est donc une immense force … sur le papier) ne fait que de l’humanitaire et ne sait ni ne veut appeler à la lutte, cependant que la FSM (Fédération Syndicale Mondiale, ce qui reste de l’ancienne fédération « communiste » siégeant à Prague avant la fin de l’URSS, puis à Damas avant 2011 et depuis à Athènes) soutient les régimes menacés, leurs tortionnaires et l’étatisation de leurs syndicats. Mais on trouvera des signatures du monde entier au bas de cet appel. Avec une exception notable: la France !

Pour réparer ça, Aplutsoc appelle ses amis, camarades et lecteurs à signer tout de suite cet appel, en mentionnant vos mandats syndicaux : écrivez-nous et nous enverrons les signatures. Mais à présent il faut aller plus loin, plus fort. Une vraie internationale manque cruellement. Mais elle ne naîtra pas de l’expression de regrets, mais de combats réels. En voici un, urgent, essentiel.

Des armes pour les manifestants, pas pour les miliciens !

Dehors les régimes militaires ! Khartoum, Alger, solidarité !

(1) Sur le « général » Hemeti.

Ce «général» n’a jamais fait partie de l’armée «régulière», et il s’est élevé en prenant la tête des milices Janjawid rebaptisées «Rapid Support Forces». Il a envoyé des commandos au Yémen pour soutenir le régime saoudien, et il s’est présenté en gardien des frontières au service de l’Union Européenne.

Ses milices comporteraient aussi dans leurs rangs des «soldats» tchadiens, et il aurait commencé à prélever sa rente sur l’exploitation de gisements aurifères au Nord du Darfour, ce qui n’est pas sans ressemblance avec les louches affaires franco-tchado-benallienne au Nord du Tchad …