Le mouvement des gilets jaunes a envoyé aux médias et aux députés un communiqué comprenant une quarantaine de revendications. (Lire ci-dessous)

Mouvement social Soutenu à l’heure qu’il est par plus de 80% du peuple français, il renoue avec la méthode des cahiers de doléances qui préparera les conditions politique de l’explosion de 1789 et de la liquidation de la monarchie de droit divin. Un certain nombre de représentants officiels du mouvement ouvrier de ce pays, partis ou syndicats, ne veulent y voir que les éléments d’extrême-droite, Rassemblement National de Marine Le Pen ou souverainistes à la Dupont Aignan qui cherchent à greffer sur ses aspirations sociales un débouché populiste à l’italienne.

Ces craintes liées aux derniers conforts d’une aristocratie ouvrière – positions confortables sous les lambris de la République – pour l’instant ne veulent pas prendre en compte que ces couches du salariat et de la petite bourgeoisie ruinée sont totalement abandonnées à leur sort. J’entendais hier sur la radio le témoignage d’un agriculteur sur sa situation matérielle, expliquant qu’il arrivait à comptabiliser jusqu’à 80 heures de travail par semaine, sans pouvoir dégager un salaire pour le faire vivre, lui et sa famille : mieux, pour ce mois de novembre, il ajoutait que c’était sa propre mère retraitée qui avait fait les courses d’alimentation du ménage. Combien de ces hommes et femmes, revêtant le gilet jaune sont aujourd’hui dans une situation aussi dégradante.

Alors oui, si on lit ce catalogue de revendications, certains ne manqueront pas de souligner le caractère parfois contradictoire de ce qui est revendiqué : un peuple, lassé par les stratégies des journées d’actions syndicales et les défaites successives essuyées depuis 1995, se met en mouvement avec toutes ses illusions, ses faiblesses idéologiques et organisationnelles. D’autant que le mouvement ouvrier officiel ne joue plus sa fonction de formateur de ce qu’on appelait autrefois la conscience d’appartenir à une classe sociale, en capacité de reconstruire la société sur des bases émancipées de l’exploitation capitaliste. Dans ce clair-obscur, pour reprendre l’image d’Antonio Gramsci, peuvent surgir de nouveaux monstres, si le mouvement ouvrier ne reprend pas l’initiative ; sa place est dans l’accompagnement du mouvement des gilets jaunes et la convergence. Il me semble que c’est là la ligne à construire.

Hélas, il semble que certains courants d’extrême gauche soient frappés par une myopie qui confine à l’imbécilité. Ainsi la Tribune des Travailleurs, organe du POID (Parti Ouvrier Indépendant Démocratique) de la semaine dernière caractérisait le mouvement des gilets jaunes comme globalement manipulé par les fascistes. Le principal dirigeant de ce parti, Daniel Glückstein écrit : « Sous le gilet jaune, l’ouvrier reste un ouvrier, et le patron un patron. Sans parler de ceux dont la chemise brune dépasse sous le gilet jaune… » Et il ajoute en note : « Uniforme des SA, sections d’assaut du parti hitlérien en Allemagne dans les années 1920 et 1930. » Voici donc la grande majorité des gilets, si l’on suit la logique de l’éditorial, transformés en sections d’assaut de Röhm. Suit une page entière de témoignages individuels recueillis dans la presse locale (quelles sources !) traduisant des propos ou actions racistes, antisémites. Prenez une manifestation ouvrière de la CGT, ou de FO et interviewez à titre individuel des participants : il y en aura certainement qui vous dirons qu’ils ne supportent plus leurs voisins de palier parce qu’ils cuisent leurs merguez sur la terrasse le dimanche matin en écoutant trop fort de la musique arabe. Cette présentation non seulement n’est pas sérieuse, elle traduit une orientation qui n’a pas grand-chose à voir avec le trotskysme. Avec Daniel Glückstein, on était très habitué à des citations très précises de l’orthodoxie marxiste. Ajoutons celle-ci de 1916, soit un an avant la grande révolution russe. C’est Lénine qui parle :

« …quiconque attend une révolution sociale pure ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et des mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement. Sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible. Et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais objectivement, ils s’attaqueront au capital et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée et à première vue sans unité, pourra l’unir, l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous, bien que pour des raisons différentes, et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme… »

Jusqu’où ira ce mouvement ? Nul ne le sait à l’étape actuelle. L’année 1788 a été celle des Cahiers de Doléances, mouvement d’un peuple écrasé par une crise économique et sociale, qui débouche sur la Constituante, mouvement par lequel le peuple souverain redéfinit par lui-même le cadre du pacte social. Il y aura les ouvriers de 1848, la Commune, le Front Populaire, la Libération puis 1968. Les aspirations sociales de la grande révolution, œuvres toujours inachevées par la victoire des possédants, vivent dans notre conscience collective.

Sommes-nous à ce moment de rupture ?

Zéro Sans Domicile Fixe (SDF), retraites et salaire maximum, découvrez la liste des revendications des Gilets Jaunes

Le mouvement a envoyé aux médias et aux députés un communiqué comprenant une quarantaine de revendications, Jeudi 29 Novembre 2018.

Les revendications des Gilets Jaunes dépassent désormais officiellement la seule question des prix du carburant. Dans un long communiqué envoyé aux médias et aux députés, Jeudi 29 Novembre 2018, la délégation du mouvement liste une série de revendications qu’il souhaite voir appliquées.

« Députés de France, nous vous faisons part des directives du peuple pour que vous les transposiez en loi. Obéissez à la volonté du peuple. Faites appliquer ces directives », écrivent les Gilets Jaunes. Des porte-paroles de la délégation doivent être reçus, Vendredi 30 Novembre 2018 à 14 heures, par le premier ministre, Edouard Philippe, et le ministre de la transition écologique, François de Rugy.

Augmentation du Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance (SMIC) à mille trois cent euros nets par mois, retour à la retraite à soixante ans ou abandon du prélèvement à la source, la liste comprend de nombreuses mesures sociales, mais également des mesures concernant les transports, comme la fin de la hausse des taxes sur le carburant et la mise en place d’une taxe sur le fuel maritime et le kérosène. Vous trouverez ci-dessous cette liste non exhaustive de revendications.

Paru initialement ici


Le relevé des doléances…

  • Zéro SDF
  • Davantage de progressivité dans l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire davantage de tranches.
  • SMIC à mille trois cent euros nets par mois
  • Favoriser les petits commerces des villages et des centres-villes. Cesser la construction des grosses zones commerciales autour des grandes villes qui tuent le petit commerce et davantage de parkings gratuits dans les centres-villes.
  • Grand plan d’Isolation des logements pour faire de l’écologie en faisant faire des économies aux ménages.
  • Que les gros, Mac Donald’s, Google, Amazon et Carrefour, payent beaucoup d’impôts et que les petits artisans payent peu d’impôts.
  • Même système de sécurité sociale pour tous, y compris les artisans et les auto-entrepreneurs). Fin du Régime Social des Indépendants (RSI).
  • Le système de retraite doit demeurer solidaire et donc socialisé. Pas de retraite à points.
  • Fin de la hausse des taxes sur le carburant.
  • Pas de retraite en dessous de mille deux cent euros.
  • Tout représentant élu aura le droit au salaire médian. Ses frais de transports seront surveillés et remboursés s’ils sont justifiés. Droit au ticket restaurant et au chèque-vacances.
  • Les salaires de tous les français ainsi que les retraites et les allocations doivent être indexés sur l’inflation.
  • Protéger l’industrie française. Interdire les délocalisations. Protéger notre industrie, c’est protéger notre savoir-faire et nos emplois.
  • Fin du travail détaché. Il est anormal qu’une personne qui travaille sur le territoire français ne bénéficie pas du même salaire et des mêmes droits. Toute personne étant autorisée à travailler sur le territoire français doit être à égalité avec un citoyen français et son employeur doit cotiser à la même hauteur qu’un employeur français.
  • Pour la sécurité de l’emploi, limiter davantage le nombre de Contrats de travail à Durée Déterminée (CDD) pour les grosses entreprises. Nous voulons plus de Contrats de travail à Durée Indéterminée (CDI).
  • Fin du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE). Utilisation de cet argent pour le lancement d’une industrie française de la voiture à hydrogène, qui est véritablement écologique, contrairement à la voiture électrique.
  • Fin de la politique d’austérité. On cesse de rembourser les intérêts de la dette qui sont déclarés illégitimes et on commence à rembourser la dette sans prendre l’argent des pauvres et des moins pauvres, mais en allant chercher les quatre-vingt milliards d’euros de fraude fiscale.
  • Que les causes des migrations forcées soient traitées.
  • Que les demandeurs d’asile soient bien traités. Nous leur devons le logement, la sécurité, l’alimentation ainsi que l’éducation pour les mineurs. Travailler avec l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour que des camps d’accueil soient ouverts dans de nombreux pays du monde, dans l’attente du résultat de la demande d’asile.
  • Que les déboutés du droit d’asile soient reconduits dans leur pays d’origine.
  • Qu’une réelle politique d’intégration soit mise en œuvre. Vivre en France implique de devenir français, cours de langue française, cours d’histoire de France et cours d’éducation civique avec une certification à la fin du parcours.
  • Salaire maximum fixé à quinze mille euros par mois.
  • Que des emplois soient créés pour les chômeurs.
  • Augmentation des allocations pour les handicapés.
  • Limitation des loyers. Davantage de logement à loyers modérés, notamment pour les étudiants et les travailleurs précaires.
  • Interdiction de vendre les biens appartenant à la France, barrages et aéroports.
  • Moyens conséquents accordés à la justice, à la police, à la gendarmerie et à l’armée. Que les heures supplémentaires des forces de l’ordre soient payées ou récupérées.
  • L’intégralité de l’argent gagné par les péages des autoroutes devra servir à l’entretien des autoroutes et routes de France ainsi qu’à la sécurité routière.
  • Le prix du gaz et l’électricité ayant augmenté depuis qu’il y a eu privatisation, nous voulons qu’ils redeviennent publics et que les prix baissent de manière conséquente.
  • Fin immédiate de la fermeture des petites lignes ferroviaires, des bureaux de poste, des écoles et des maternités.
  • Apportons du bien-être à nos personnes âgées. Interdiction de faire de l’argent sur les personnes âgées. L’or gris, c’est fini. L’ère du bien-être gris commence.
  • Maximum de vingt-cinq élèves par classe de la maternelle à la terminale.
  • Des moyens conséquents apportés à la psychiatrie.
  • Le référendum populaire doit entrer dans la constitution. Création d’un site lisible et efficace, encadré par un organisme indépendant de contrôle où les personnes pourront faire des propositions de loi. Si une proposition de loi obtient sept cent mille signatures, cette proposition de loi devra être discutée, complétée et amendée par l’assemblée nationale qui aura l’obligation, un an jour pour jour après l’obtention des sept cent mille signatures, de la soumettre au vote des français.
  • Retour à un mandat de sept ans pour le président de la république. L’élection des députés deux ans après l’élection du président de la république permettait d’envoyer un signal positif ou négatif au président de la république concernant sa politique. Cela participerait donc à faire entendre la voix du peuple.
  • Retraite à soixante ans et, pour toutes les personnes ayant travaillé dans un métier usant le corps, maçon ou désosseur par exemple, droit à la retraite à cinquante-cinq ans.
  • Un enfant de six ans ne se gardant pas seul, continuation du système des aides PAJEMPLOI jusqu’à ce que l’enfant ait dix ans.
  • Favoriser le transport de marchandises par la voie ferrée.
  • Pas de prélèvement à la source.
  • Fin des indemnités présidentielles à vie.
  • Interdiction de faire payer aux commerçants une taxe lorsque leurs clients utilisent la carte bleue. Taxe sur le fuel maritime et le kérosène.

Notes de la rédaction :

  1. La revendication portant sur la reconduite « dans leur pays d’origine » des déboutés du droit d’asile est expressément réactionnaire et inhumaine. Néanmoins, sa paternité revient tout autant à la droite et à l’extrême droite de ce pays qu’à la gauche dite gouvernementale qui ont rivalisé d’efforts ces vingt dernières années pour remettre en cause le droit d’asile. Idem pour la proclamation « Vivre en France implique de devenir français« . La place de ces revendications réactionnaires illustre comment la désertion de la gauche « dédaigneuse et hautaine » vis à vis du mouvement des Gilets jaunes, loin d’aider à une clarification politique positive, laisse un boulevard à l’extrême droite.
  2. La revendication fourre-tout de fusion du régime général de sécurité sociale et du RSI témoigne de la confusion organisée dans ce pays autant par la droite et le patronat qui se lamentent sans cesse « des charges, des charges » que de la politique du PS ayant promu et initié la CSG (impôt payé par les salariés sur les salaires allant dans le budget général de l’Etat, non fléché sur les dépenses sociales et dont l’entière finalité vise à exonérer les patrons de toute « charge » sociale..) en lieu et place des cotisations (prélèvement direct sur la richesse créée allant dans un pot commun appartenant aux salariés et destiné aux dépenses sociales…et faisant payer les patrons…).