Le congrès de l’Union syndicale Solidaires s’est tenu les 23-26 avril à Toulouse. Avant tout, il est permis de penser que le moment émouvant de ce congrès fut l’intervention des représentantes de l’organisation ukrainienne « Sois comme Nina », un mouvement des personnels de santé fondé et principalement animé par des femmes, qui mène la lutte à la fois contre l’invasion impérialiste russe et contre la gestion néolibérale et bureaucratique de la santé publique en Ukraine, crée des syndicats et appelle les personnels à se syndiquer. Présence exemplaire, démonstration d’internationalisme en acte qui doit être saluée et qui justifie le travail international de cette organisation.

Mais quel contraste avec ce qui ressort globalement de ce congrès (résolutions adoptées, interviews données par exemple sur Médiapart par ses dirigeantes et dirigeants) : la grisaille, la routine ! Quelles perspectives ? Proposer « à l’ensemble des forces syndicales de discuter de la construction de la riposte face aux mauvais coups qui se préparent. » Pourquoi, selon Simon Duteil (Médiapart du 21 avril) avons-nous pour l’heure perdu contre Macron sur les retraites ? « … peut-être parce qu’il n’y a pas eu une assez grande auto-organisation des travailleurs », à cause d’un « plafond mental » par lequel « les gens » se disaient que le gouvernement n’allait pas céder : « On n’a pas réussi cette bataille mentale … ».

Au lieu de mener une bataille unitaire pour centraliser et par là généraliser l’affrontement qui se cherchait contre Macron, mener une « bataille mentale » contre les travailleurs … De fait, Solidaires depuis des années n’apporte strictement rien de plus dans les intersyndicales que ce que font déjà toutes les directions syndicales nationales, c’est-à-dire entériner l’unité sur les revendications quand elle est imposée et éviter un affrontement central susceptible de vaincre.

Mais il y a là un écart abyssal d’avec les ambitions et les idées initiales à l’origine de l’existence de Solidaires depuis la naissance de SUD PTT en 1989. Et c’est dans ce cadre que se place un constat d’échec grave, celui de la place du secteur privé (l’essentiel du salariat faut-il le rappeler …), dans Solidaires : SUD Industrie, en opposition frontale, et la Fédération SUD Commerce mise dehors d’une manière invraisemblable et dont l’ingérence de l’Union elle-même – avec l’appui de syndicats du public – dans son champ de compétence est préjudiciable aux travailleurs d’Amazon comme aux livreurs qu’elle a réussi à organiser ces dernières années, à laquelle s’applique bien le terme de bureaucratique : un simple coup d’œil sur les publications du camarade Laurent Degousée, un de ses animateurs qui se retrouve par ailleurs dans l’obligation de saisir les Prud’hommes contre Solidaires (quel symbole à l’approche des élections dans les TPE !), qui l’emploie, indique pourtant une activité de construction syndicale, de grèves et de batailles judiciaires concrètes et incessantes de la part de cette structure.

Le refus d’un fonctionnement bureaucratique ou simplement routinier a toujours été affirmé comme l’identité de Solidaires, mais force est de constater que rien n’immunise réellement, et certainement pas l’idéologie revendiquée, contre cela, que la présence de nombreux syndiqués considérant le syndicat comme leur affaire.

Un autre élément de crise latente réside dans l’espèce de dédain déçu manifesté par les dirigeants de Solidaires envers le thème de la réunification syndicale et la réalité actuelle de discussions de plus en plus sérieuses et à différents niveaux entre la CGT et la FSU. Or Solidaires, à sa création, disait vouloir apporter un renouveau global au syndicalisme. Ce renouveau ne viendra certainement pas par l’autoreproduction des niches existantes. Bien sûr, si l’on réfléchit à la participation de Solidaires à ce rapprochement uniquement en termes organisationnels, on voit bien que ça coince : la fédération de Solidaires ayant le plus de réalité dans la lutte des classes réelle, c’est SUD Rail et la direction de la CGT Cheminots ne veut pas de mise en cause de son pouvoir acquis, qui s’effrite lentement. Dans Solidaires, la marginalisation du secteur privé et l’affaiblissement de SUD PTT et Santé-Sociaux mettent en exergue SUD Éducation et Solidaires Finances publiques, ce qui dessine un avenir de petites niches adossées sur les derniers bastions de salariés à statut, abondamment productrices de discours idéologiques. Un avenir, ça ?

Il y aurait pourtant mieux à faire. Si l’on veut un renouveau, et pas la routine, pourquoi ne pas poser maintenant, frontalement, la question de la réunification syndicale en France, dans un cadre confédéral renouvelé ? Il faut en tous cas en discuter.

VP, le 26/05/2024.