Après le coup d’État de l’armée chilienne et de la CIA du 11 septembre 1973, la question des leçons du Chili fut stratégique. La leçon évidente était que la politique d’Unité populaire ou de Front populaire avait laissé, comme en Espagne en 1936, le corps des officiers comploter à ciel ouvert, créant ainsi les conditions de la défaite. Mais l’alternative, déjà, n’aurait pas été un second Cuba – je parle du Cuba gelé par sa stalinisation, pas de l’authentique révolution cubaine de 1959 – mais l’approfondissement de la démocratie, c’est-à-dire la destruction de l’appareil d’État capitaliste par les larges masses auto-organisées – elles l’étaient de plus en plus – et armées – elles ne l’étaient pas. Quelle qu’ait été l’histoire politique des auteurs, le petit livre Front populaires d’hier et d’aujourd’hui, de Charles Berg et Stéphane Just, ne manque pas d’acuité et d’actualité. Au nom de la démocratie, la leçon inverse fut tirée par le PC italien qui théorisa alors ce qu’il faisait déjà depuis longtemps, à savoir le « compromis historique », dont l’aboutissement sera la liquidation des partis issus du mouvement ouvrier en Italie.

Aujourd’hui, les leçons du Chili sont non moins importantes. Attention, la défaite n’a pas l’ampleur de celle de septembre 1973, mais comme alors, c’est la lutte des classes sur tout le continent qui se joue en partie ici : les Trump, Bolsonaro, Milei et Kast veulent généraliser leur domination, pour l’instant non assurée et en péril aux États-Unis même.

La leçon du Chili en 2025 rejoint au fond celle de 1973 : on ne peut aller de l’avant si l’on refuse de détruire l’appareil d’État capitaliste, mais la condition de cette destruction réside dans la compréhension qu’il s’agit de démocratie et pas de « radicalité ». Il ne s’agit ni de refaire Cuba, ni encore moins le Venezuela !

Leçon plus précise encore : toute arrivée au pouvoir, par la voie des urnes soutenue par l’explosion de la rue comme ce fut ici le cas [2018-2019], de forces de « gauche », « radicales » et « insoumises » aussi bien que « réformistes » et « social-libérales », n’aboutira pas à la victoire, mais à la défaite, si les larges masses mobilisées n’entreprennent pas la destruction démocratique de l’appareil d’État capitaliste. Et aucun déballage verbal gauchiste n’y changera rien. De l’extrême gauche au centre gauche, la défaite est au bout du chemin (y compris sous la forme Maduro, où c’est « la gauche au pouvoir » qui constitue la dictature capitaliste), même si elle est toujours provisoire étant donné la formidable résilience des larges masses.

Il faut donc aider le mouvement réel à faire ce qu’il tend à faire, mais, à ce jour, n’a réalisé que très rarement. Le Hirak algérien a rencontré ce mur, aucune force politique organisée ne cherchant à l’aider à le renverser : organiser lui-même, en prenant la place de l’appareil d’État et en engageant donc sa destruction, l’élection d’une assemblée constituante. Récemment encore, au Népal comme à Madagascar, les révolutions « GenZ » ont montré qu’elles sont capables de renverser le pouvoir en place, mais pas encore d’organiser par elles-mêmes un autre pouvoir et un autre État.

D’où l’importance, bien entendu, du facteur subjectif organisé : non pas les très nombreux embryons autoproclamés de partis révolutionnaires qui sont autant d’obstacles, mais l’action commune et le libre débat impulsé par des centres politiques et des réseaux permettant d’aller vers la représentation politique directe de la majorité exploitée et opprimée.

D’où l’importance, sur cette voie, des évolutions politiques en cours, dans le feu de la bataille démocratique de masse, aux États-Unis, de New York à Seattle : les formes concrètes du « parti ouvrier » ou du « troisième parti » se développent dans les cadres du Parti démocrate, l’un des deux grands partis capitalistes, et en les faisant sauter : c’est le mouvement réel, n’en déplaise à l’agressivité sectaire.

Et la France est précisément un État clef, impérialiste quoique déclassé, où la question du remplacement de l’appareil d’État de la V° République par une assemblée constituante imposée par l’auto-organisation, constitue le seul débouché démocratique possible de la longue crise de régime actuelle. C’est à résoudre cette équation qu’Aplutsoc s’attache et appelle.

VP, le 22/12/2025.