De toute évidence, les 100 000 morts sont dépassés à Gaza, et ce sont très majoritairement des civils, de tous âges. Les 2,3 millions d’habitants ont leurs habitations détruites, sont soumis à la famine, au stress et aux maladies. Le discours d’une partie des ministres israéliens est ouvertement génocidaire depuis octobre 2023 et le petit territoire de Gaza est soumis à un découpage militaro-policier visant à entasser la population, dans les pires conditions d’insalubrité, dans ce qui ne peut qu’être appelé un camp de concentration, le plan étant de chasser les uns – mais vers où ? – et de tuer les autres.

Par conséquent, le mot « génocide » correspond aux faits, même s’il est impossible de dire à quel moment la quantité devient qualité et donc quand exactement se situe l’instant où il y a génocide. Les termes de crimes contre l’humanité, urbicide, massacre de masse, sont également justifiés, mais c’est le terme « génocide » qui fait débat et il y a à cela une raison.

Cette raison, c’est que plusieurs courants politiques et une foule d’individus, notamment dans le mouvement dit propalestinien, parlent de « génocide » depuis le 7 octobre 2023 – c’est-à-dire depuis la provocation pogromiste du Hamas qui a permis le déploiement progressif de l’horreur présente. Le premier cessez-le-feu durable a été suivi, depuis son viol par Netanyahou le 18 mars 2025, d’un redoublement de massacres et de violences qui visent aussi à chasser le peuple palestinien de Cisjordanie, de sorte qu’on peut parler ici d’épuration ethnique au sens connu depuis l’ex-Yougoslavie, en 1992-1995. En fait, les courants et personnes en question ne parlent pas de « génocide » depuis le 7 octobre 2023, mais depuis bien avant. Par essence pour eux, « Israël » et « les sionistes » sont génocidaires. Il arrive qu’on voie des écrits expliquant que « le génocide » a commencé en 1947. Il s’agirait alors d’un génocide continuel depuis 78 ans !

Les mêmes ne voient pas de génocides ailleurs. Ils ont fermé les yeux sur l’urbicide de Marioupol qui, en nombre de victimes, est probablement proche de Gaza, et nient que les Ukrainiens soit menacés de génocide par le néofascisme russo-poutinien. Les Tutsis, les Ouighours et les Rohingyas les indiffèrent – bien que ces deux derniers groupes soient, comme la majorité des Palestiniens, musulmans, ils sont consciencieusement ignorés par les fétichistes du Génocide Sioniste Eternel. On aura compris que nous avons là une forme contemporaine majeure de l’antisémitisme, qui ne s’assume pas comme tel – souvent sincèrement – mais qui en reproduit tous les traits fantasmatiques et complotistes en les attribuant aux « sionistes ».

Il faut donc bien distinguer le « génocide sioniste » fantasmatique du génocide réel engagé par Netanyahou, qui, lui, ne relève pas d’une essence « sioniste » ahistorique fantasmée, mais de l’offensive globale de l’Axe Trump/Poutine et a pour corollaire le risque de génocide des Ukrainiens, la chasse aux migrants et la destruction de l’Etat de droit en Europe et en Amérique. L’un ne doit pas obscurcir l’autre et vice-versa.

Eclaircissements et discussions ne sont pas facilités par la définition juridique des génocides de l’ONU, dont le niveau de généralité permet de faire de très longues listes de « génocides » à géométrie variable, bien que cette confusion provienne initialement du fait que Raphael Lemkin, concepteur du terme et de la notion, tout en identifiant clairement le génocide des nazis commis envers les Juifs, discernait la dynamique génocidaire plus large du nazisme à l’échelle européenne. Beaucoup d’intervenants dans ces « débats » font, sciemment ou spontanément, un sophisme consistant à s’appuyer sur la définition juridique pour accréditer en fait que « les sionistes » commettraient l’équivalent de la Shoah. Ce qui n’est pas le cas : chaque génocide doit être reconnu, pour être mieux condamné, dans sa spécificité propre.

Ainsi, constater que des soldats israéliens « font des cartons » sur des Gazaouis affamés tentant d’accéder aux distributions de nourriture fonde pleinement le fait de comparer cette attitude inhumaine à celle de SS rentrant dans le ghetto de Varsovie. Un tel constat ne relève pas en lui-même du fantasme « antisioniste »-antisémite et vaut condamnation morale totale de ce que fait l’armée israélienne. Mais l’une des spécificités est que si de tels faits sont connus pratiquement le jour où ils se produisent, c’est parce qu’il se trouve d’autres soldats israéliens pour les rapporter avec honte et des journaux, comme Haaretz, pour en rendre compte, et des mouvements comme Standig Together pour s’indigner : il n’y avait évidemment rien de tel, est-il besoin de le dire, dans l’Allemagne nazie. L’usage de la raison dans le compte-rendu et dans l’interprétation des faits est rendu d’autant plus nécessaire que s’impose l’indignation.

Il existe un moyen assez simple, quoique triste, de repérer, au moment présent, ceux pour qui le mot « génocide » est un fétiche recouvrant un antisémitisme conscient ou non, et non pas la désignation d’une réalité et d’un peuple à défendre et à sauver, les Palestiniens. Le passage du seuil génocidaire est de plus en plus reconnu comme franchi, y compris par des chefs d’Etat européens et des gens qui au nom du « droit d’Israël à se défendre », ont jusque là cautionné les massacres. Il est d’autre part reconnu par des Juifs sionistes ou non, hostiles à la politique et aux actes du gouvernement israélien, mais qui se récriaient en entendant ce terme utilisé comme une sommation faite aux Juifs, et qui maintenant l’emploient, fut-ce en euphémisant quelque peu (« risque génocidaire », « danger génocidaire », « dynamique génocidaire »). Hé bien, ceux pour qui « génocide sioniste » est un fétiche sont en colère que d’autres qu’eux emploient ce terme. Ils trépignent, s’énervent en disant « vous le dites trop tard », etc., au lieu de s’appuyer sur ces prises de positions en nombre croissant pour défendre et sauver les Palestiniens. Ce faisant, ils montrent que la défense des Palestiniens n’est pas leur vrai souci, malgré l’affichage identitaire des keffiehs et des drapeaux …

Il y a génocide, au moins début de génocide, et le pouvoir israélien l’affiche de plus en plus ouvertement. La conclusion pratique et démocratique est qu’il faut l’empêcher. Il faut donc exiger l’envoi de forces. Pas un bateau avec Rima et Gretta, des forces armées, pour casser le blocus et sauver le peuple palestinien de Gaza. De même qu’il faut armer l’Ukraine. C’est cela, combattre le génocide. Force est de constater que le « mouvement propalestinien » … n’y a pas pensé !

Il est vrai qu’aucun gouvernement capitaliste n’est jamais intervenu pour stopper un génocide à ses débuts ou durant son déroulement. Ce fut vrai de la Shoah et du Samudaripen (les Tsiganes) pendant la seconde guerre mondiale : arrêter ces génocides n’était pas le but de guerre, ni de Roosevelt, ni de Churchill, ni de Staline. Vrai aussi au Ruanda en 1994 : le seul envoi de troupes, par la France, visait à aider les génocidaires, pas les victimes du génocide.

Il n’empêche que le moment actuel exige ce combat et lui est propice. Alors ?

VP, le 11/07/25.