Cet article est destiné à la revue Démocratie et Socialisme, qui est maintenant la revue de l’Après. NDR.

Le dessin illustrant cet article est d’Andrew Fyfe.

Dans le dernier D&S, j’écrivais que Trump était en difficulté, pour des raisons à la fois internationales (la résistance ukrainienne) et nationales (la résistance du peuple américain). Depuis, ces difficultés ont culminé, mais Trump, avec J.D. Vance et désormais sans et contre Musk, a contre-attaqué en utilisant la guerre et la situation internationale. Il ne faut en effet pas dissocier ces deux dimensions étatsunienne et mondiale si l’on veut saisir le cours de l’affrontement qui monte.

Dans la semaine avant le samedi 14 juin, Trump a pour ainsi dire déclaré la guerre à la Californie, en envoyant ICE (l’office de l’immigration, truffé de nervis d’extrême droite) et des Marines. Mais le 14, qui devait connaître le grand défilé « coïncidant » avec son anniversaire, a été un piteux fiasco pour ce qui est du défilé trumpiste, et une formidable déferlante pour ce qui est du peuple américain.

Il y a une difficulté pour évaluer le nombre de manifestants. Il n’y a pas aux Etats-Unis les « chiffres des syndicats » et les « chiffres de la préfecture ». Pas de chiffrages officiels. D’autre part, les milieux militants traditionnels ont tendance à sous-estimer la lame de fond, car celle-ci monte des profondeurs du corps social et se fait sur le terrain – un excellent terrain ! – de la démocratie pure et de la défense de la constitution, autour d’un mot d’ordre simple et clair : NO KING, qui peut se décliner au pluriel s’il s’agit de dénoncer les oligarques de la tech : NO KINGS.

Beaucoup de médias sont influencés par les chiffres des manifs dans les centres-villes des plus grandes villes comme New York, Chicago ou Los Angeles, qui sont de quelques dizaines de milliers, et passent à côté du fait qu’il y a aussi eu des manifs pratiquement dans tous les quartiers et des manifs proportionnellement plus nombreuses que celle de Times Square à New York, dans des villes tout à fait moyennes.

Les milieux militants de gauche radicale ou d’extrême gauche parlent de 5 à 6 millions de manifestants, ce qui est déjà énorme. Un comptage exhaustif, comportant par exemple les magnifiques trois vielles dames qui ont déployé leurs pancartes « No King » sur la côte Ouest de la plus occidentale des îles Aléoutiennes (Alaska, face à la Russie), a été publié le 16 juin par le Alt National Park Service, organisation ad hoc créée par les personnels des parcs nationaux en cours de liquidation, qui est reconnue dans les réseaux 50501 (« 50 manifs dans 50 Etats font un seul mouvement ») comme le meilleur recenseur, arrive au chiffre de 13,140 millions.

Ce chiffre englobe les manifs proprement dites mais aussi les centaines et centaines de piquets mobiles formés sur les routes et autoroutes et demandant, obtenant le plus souvent, les coups de klaxons de soutien, une pratique qui a été popularisée suite aux piquets mobiles de la grève de l’automobile fin 2023.

Il est essentiel d’insister sur la profondeur et l’ampleur de ce mouvement démocratique, qui est, à la base, fortement structuré sur les sections syndicales de l’AFL-CIO et du SEIU (syndicat des employés, dont les agents d’ICE avaient arrêté illégalement le secrétaire californien), et les organisations « communautaires » comme on dit aux Etats-Unis, noirs, latinos, féministes, LGBT … avec ce paradoxe qu’au sommet, les directions syndicales ne font pour ainsi dire strictement rien en matière de mobilisation, un constat qui, pour l’heure, vaut aussi pour les plus combatives comme l’UAW (automobile).

C’est par rapport à cette situation que l’intervention de Netanyahou en Iran et l’implication de Trump, envoyant sa « grosse bombe » sur les sites nucléaires iraniens puis proclamant un cessez-le-feu général, ont joué le rôle d’une reprise, en accéléré, du coup d’Etat rampant, de moins en moins rampant donc, de Trump contre la constitution américaine.

Si, en effet, il est totalement impossible de dire où en est à présent le programme nucléaire du régime des mollahs qui opprime les peuples d’Iran, une chose est claire : c’est Trump le principal profiteur de la « guerre de 12 jours ». Trump, avec Netanyahou qu’il soutient contre les poursuites judiciaires nombreuses et fondées qui le concernent, et avec Poutine, on va y revenir.

L’intervention elle-même est une violation de la constitution américaine concernant le pouvoir législatif, le Congrès. Et immédiatement après les « 12 jours », le vendredi 27 juin, la Cour suprême a décidé que « Lorsqu’un tribunal conclut que le pouvoir exécutif a agi illégalement, la réponse de ce tribunal ne peut pas être d’outrepasser ses pouvoirs », formule confuse et volontairement ambiguë d’où il ressort que si la Cour ne dit pas que le pouvoir exécutif (Trump) n’agit pas illégalement, elle dit quand même que les tribunaux outrepasseraient leurs pouvoirs s’ils sanctionnaient ces actes illégaux ! Et de poursuivre : les décisions des juges fédéraux de portée nationale « excèdent probablement » (autre formule confuse et ambiguë) leurs pouvoirs.

Cela signifie que les décrets anticonstitutionnels de Trump ne peuvent plus être supprimés ou contrecarrés par le pouvoir judiciaire, à commencer par son tout premier décret, du 21 janvier, abolissant le droit du sol contre la lettre de la constitution datant de 1789.

C’est une offensive d’anéantissement de l’Etat de droit qui, de concert avec Poutine, donne le La de sa destruction par l’union des droites en Europe et en Israël.

Cette attaque sans précédent rouvre les vannes de la violence trumpiste, sous forme d’abord de violence d’Etat, mais aussi de violence milicienne combinée à la violence d’Etat. Le 14 juin a d’ailleurs eu trois morts : une élue démocrate du Minnesota, Melissa Hortmann, et son époux, assassinés par un trumpiste fanatisé, et un manifestant de Salt Lake City, Arthur Folasa Ah Loo, tué par balle « par erreur » par la police lors d’échauffourées délibérément provoquées.

Trump vient de faire ouvrir un camp pour migrants kidnappés sur les champs et les plantations par ICE, en Floride dans les Everglades, désigné du nom abject de Alligator Alcatraz !

Les images des rideaux de fer encadrant des sortes des grandes cages ne laissent pas de doute : cela s’appelle un camp de concentration.

Voilà ce à quoi ouvre la poursuite du coup d’Etat, et dans ces conditions la question de la tenue et la sécurité des prochaines élections Mid Term au Congrès est bel et bien posée.

Cependant, là encore, la guerre de 12 jours n’a pas suffi à donner à Trump la fausse légitimité de la poursuite du coup d’Etat. Son complément de « légitimité », il est allé le chercher auprès des dirigeants européens, Macron, Merz, Starmer, Meloni, au sommet de l’OTAN à la Haye, qui s’est inséré juste entre le cessez-le-feu entre Iran et Israël et la décision de la Cour suprême permettant au pouvoir exécutif de s’asseoir sur le pouvoir judiciaire.

Tous les dirigeants européens – sauf l’espagnol Sanchez – ont joué le jeu de la servilité la plus crasse. Mais c’est là un poker menteur, car l’engagement à ce que les dépenses militaires atteignent 5%¨du PIB des Etats européens membres de l’OTAN, pris par tous sauf par l’Espagne, n’est pas assimilable à une capitulation devant les exigences de Trump, comme l’ont écrit bien des commentateurs. En effet, il s’explique avant tout par le fait que les puissances européennes ont perdu confiance dans l’allié américain. Cet objectif marque donc leur volonté de se réarmer éventuellement sans, voire contre, cet allié qui n’en est plus un.

Reste que la comédie de La Haye a conforté Trump dans son coup d’Etat de moins en moins rampant et de plus en plus ouvert aux Etats-Unis, ce qui est lamentable, et s’explique par la peur bien plus grande des forces sociales et démocratiques qui pourraient le renverser, que de Trump lui-même.

Et la même chose vaut pour son allié n° 1 : Poutine. Il est lourd de sens que la comédie de Macron voulant garder les Etats-Unis dans l’OTAN et en Europe se soit directement poursuivie par l’orchestration d’une longue conversation téléphonique entre Macron et … Poutine. Ce qui est vécu comme une trahison par les Ukrainiens arrive alors même que Trump suspend les livraisons de missiles de défense.

Chacun aura remarqué que Poutine n’a pas porté secours à l’Iran. De fait, Trump, qui n’a pas réussi à ce jour à provoquer la défaite de l’Ukraine, a aussi utilisé l’attaque contre l’Iran comme un moyen, plus efficace que l’Ukraine, de dévisser la Russie de la Chine. Le sommet des « BRICS+ » se tenant les 6 et 7 juillet à Rio de Janeiro, il est à noter que Xi Jinping n’y sera pas, la Chine étant représentée par Li Qiang, premier ministre ; ce qui, pour le moins, dénote une crise à Beijing à propos de l’orientation internationale, à savoir : jusqu’à quel point couvrir Poutine, ou pas ?

Les courbettes et les coquetteries des dirigeants européens, Macron le premier, à Trump et à Poutine, n’apportent aucune issue à la double menace trumpiste et poutinienne sur l’Europe. Poutine va tenter d’enfoncer les lignes ukrainiennes et un « cessez-le-feu » en Ukraine dans ces conditions ouvrirait la voie à une attaque russe dans la Baltique. Mais ce n’est pas d’un grand plan de réarmement nourrissant l’accumulation du capital militaro-industrialo-financier, à horizon 2035, et, pour la France, axé sur le nucléaire, qui répond aux vrais besoins en armement immédiat de la guerre antifasciste en Ukraine. Ce sont des drones en quantité illimité, des défenses antiaériennes et des avions non programmés aux Etats-Unis, dont a besoin l’Ukraine, pour battre Poutine et ouvrir la voie à sa chute. De même, une Europe démocratique digne de ce nom forcerait le blocus de Gaza pour stopper le massacré génocidaire, ouvrant la voie à la chute de Netanyahou. Bachar el Assad est bien déjà tombé !

Ainsi donc, ce survol de l’état immédiat de la « question Trump », qui est une question mondiale, nous conduit à dessiner ce que devrait être une politique étrangère et militaire démocratique pour l’Europe et pour la France, à mettre donc en débat dans le Nouveau Front Populaire relancé par la dynamique du 2 juillet.

Il est essentiel de saisir le mouvement dans ces développements et le nouveau dans la situation mondiale : croire que nous serions dans une répétition de la guerre de G.W. Bush en 2003, avec une domination étatsunienne unilatérale, serait se condamner à ne pas comprendre le moment présent ni donc le futur proche. Trump joue la place des Etats-Unis dans la multipolarité impérialiste, avec Poutine et Xi Jinping – ou Li Kekiang ou un autre ? -, désordre multipolaire dirigé contre les peuples : ils menacent de génocide les Ukrainiens et les Palestiniens et détruisent l’Etat de droit partout. Désordre multipolaire porteur de guerre, à travers même les ententes conflictuelles des grands impérialismes. Ceux d’Europe ne brillent guère. Mais les peuples européens, eux, ont un immense rôle à jouer.

Mais pour conclure, revenons aux Etats-Unis, car les choses vont vite. Alors que se joue au Congrès, sur le fil du rasoir, le vote d’un budget qui prend massivement aux pauvres pour donner aux riches, et qu’ainsi le Congrès tente de se rappeler à Trump, un nouveau fait politique, éclatant, a apporté une autre donne : la très large victoire du socialiste démocratique Zohran Mamdani à la primaire désignant le candidat démocrate à la mairie de New York. Ne croyez pas un mot de la campagne faisant de lui un « agent du Hamas ». C’est un partisan des deux Etats en Israël/Palestine et un adversaire du régime de Bachar el Assad par son épouse, syrienne. Trump déclare déjà qu’il veut arrêter ce « communiste ». Ainsi, après avoir déclaré une petite guerre préliminaire à la Californie, il menace New York. Les orages approchent.

Vincent Présumey, le 3 juillet 2025.