Vincent Présumey, 26 avril 2025, sur le Monde Diplomatique d’avril 2025.
Présentation.
Le Monde diplomatique d’avril 2025 contient un gros dossier titré Y a-t-il une menace russe ? La réponse, selon le Diplo, à cette question est non ; mais il y a bien une menace, selon lui : la menace européenne – j’ai bien écrit européenne, pas américaine. Je résume là ce qui n’est pas forcément dit en toutes lettres, mais qui constitue la seule et invariable conclusion à laquelle est acheminé le lecteur.
Je suis conduit à analyser ce dossier car des camarades me l’ont demandé, compte tenu de la haute autorité qui est encore celle du Diplo dans bien des milieux militants, qui le prennent pour une revue scientifique autorisée dont la parole est d’or, une sorte d’oracle. Je crois qu’en fait, ces milieux militants ont des certitudes ébranlées et que le Diplo est l’exemple même d’une institution, une autorité, qui vient les rassurer en leur donnant un phrasé historico-géopolitique à même, temporairement, de rétablir leurs certitudes en leur chantant une représentation du monde qui s’est ancrée en eux dans leur jeunesse : la menace de guerre est toujours occidentale, la Russie ne peut par essence pas être impérialiste (même si Poutine est très méchant), etc.
Comme avec la crise bioclimatique, il s’agit de la politique de l’autruche : il est douloureux de reconnaître que la guerre vient ; il est gênant d’avoir à s’interroger sur quelque chose comme la lutte armée antifasciste, bonne pour les images d’Epinal du passé mais pas pour le présent où la paix sous l’égide de l’ONU serait la meilleure des choses dans le meilleur des mondes possibles – certes.
Le dossier du Diplo comporte deux articles des dirigeants du journal, Pierre Rimbert et Serge Halimi, sur l’Europe et sur l’Alliance atlantique ; un gros hors-d’œuvre signé Jeffrey Sachs, un personnage qui méritera qu’on examine son pedigree ; une synthèse de la ligne rédactionnelle par Hélène Richard ; et quelques pièces rapportées, l’ensemble faisant système.
L’Europe, voilà le danger !
Pour commencer, l’annonce en première page de ce dossier, non signée, pose, de manière en fait assertorique, non démontrée et indiscutée – ce qui restera, sous l’habillage « objectif », la méthode suivie dans l’ensemble du dossier – trois affirmations clefs.
Premièrement, « Arrosée de subventions publiques, toute l’économie du Vieux continent [la majuscule à Vieux est du Diplo] battra désormais au rythme des forges à canons, au détriment de la protection sociale, notamment des retraités. »
Voilà au moins un point d’accord, mais c’est un point d’accord fondamental, du Diplo avec Macron : si un effort en armements est nécessaire, comme il ne faut pas augmenter les impôts, autrement dit comme il ne faut pas faire payer les riches, il servira à finir de casser protection sociale et services publics. Toute politique alternative en la matière est un champ impensé et donc indiscuté pour le Diplo (voir, par contre, à ce sujet, le dernier numéro d’Alternatives économiques, titré Des chars ou des retraites ? Le faux dilemme. : keynésianisme, Welfare state ont eu à voir avec les dépenses d’armement, hé oui …).
Deuxièmement, ce tournant belliciste, belliqueux, « décidé sans consultation populaire », des puissances européennes, « survient au moment même où s’engagent les pourparlers de paix en Ukraine ». Vous avez bien lu : des pourparlers en Ukraine !
Le Diplo appelle donc, comme Poutine et Trump, leurs discussions théâtrales et complices, directes ou par émissaires interposés, dont l’Ukraine n’est ni le lieu ni l’acteur, « pourparlers de paix ». En fait, depuis leur ouverture, l’Ukraine est encore plus bombardée, les morts civils vont crescendo. Donc, au moment précis où Trump et Poutine, les deux personnages non nommés de ce préambule, œuvreraient pour la paix, l’Union européenne voudrait la guerre. Ce n’est pas écrit comme ça, c’est au lecteur de laisser infuser cela en lui, car ici, c’est le Diplo, on s’y exprime diplomatiquement : mais ça veut dire ça et rien d’autre.
Troisièmement, c’est chez les baltes et les polonais qu’on s’imagine (qu’on a « une perception » en langue Diplo) que la Russie menace, mais les dirigeants de l’UE, « déboussolés par le nouveau cours de la politique étrangère américaine », sont, quoique déboussolés, des fourbes : ils en font un « énième prétexte » pour « accélérer une intégration de plus en plus discutée ».
Trois fibres sont ainsi flattées dès l’édito : la plus légitime est la fibre sociale, à juste titre inquiète des annonces de Macron et Bayrou, mais à aucun moment, le Diplo ne lui dira qu’on pourrait faire payer les riches, car il l’oriente dans la direction des deux autres fibres ici caressées, à savoir la fibre russophile, héritage de trois générations de « culture communiste », et la fibre souverainiste, héritage néo-gaullien pointant vers l’extrême droite, les deux héritages se cumulant dans la « culture Diplo » : le tout pour placer, au moment précis où l’Axe néofasciste Trump/Poutine s’en prend à l’Europe, cette même Europe comme ennemie n°1 !
Serge Halimi : avec Trump, pas grand-chose de nouveau !
La clef politique concerne donc l’Europe, ce pour quoi je passe maintenant au commentaire des articles des deux chefs du journal, le tandem Halimi/Rimbert.
Halimi traite ou semble traiter des Etats-Unis et de leur rapport à l’Europe. Une formule clef résume son « analyse » de la politique de Trump : « A l’Ouest rien de nouveau … ». Pour les yankees, les européens sont des vassaux onéreux, ça a toujours été ainsi. Trump n’apporte donc aucun tournant, juste quelques inflexions : « La variable Trump durcit néanmoins le rapport de force ».
Cela pour deux raisons, envers lesquelles Halimi cache mal sa sympathie, sa compréhension : Trump n’aime pas le libre-échange, et il est agacé par ces dirigeants européens qui escomptaient qu’il ne serait pas élu à la présidence des Etats-Unis, éprouvant même envers Zelensky une « exaspération sincère » (sic).
Pas de tournant avec Trump : manifestement, les couches profondes du peuple américain, y compris dans une partie de l’électorat républicain, ne sont pas de cet avis, qui, déjà à deux reprises, ont commencé à manifester, par millions, en dénonçant fascisme, dictature, monarchie, autocratie …
On ne trouvera pas ici, ni par ailleurs dans le Diplo, la moindre analyse sérieuse du trumpisme, de MAGA, des courants religieux (Christian Nationalists, New Apostolic Reformation …), de son alliance avec Musk, du rôle de Vance, de la combinaison néofasciste des idéologies libertarienne, masculiniste, accélérationniste : rien de rien. Nous n’avons chez Halimi – Monsieur Etats-Unis au Diplo - qu’une compréhension pleine d’empathie envers le trumpisme comme réaction à l’establishment démocrate new-yorkais et californien, woke et bourgeois.
A fortiori, rien sur les liens structurels, mafieux et policiers, et fort anciens, entre Trump, la Heritage foundation et le FSB : narratif occidental, forcément !
Il se trouve, et ici surgit la Russie chez Halimi, que celle-ci, maline, a bien vu son intérêt, en somme un beau matin après le nouvel avènement de Trump, qu’elle n’aurait donc ni préparé ni anticipé :
« Moscou a vite mesuré l’avantage qu’il pouvait retirer de la détestation par la nouvelle administration américaine de la mondialisation néolibérale, de son ordre juridique et du progressisme culturel qui l’a accompagnée. Un rapprochement entre la Russie et les Etats-Unis de M. Trump peut désormais être imaginé sur une base à la fois « réaliste » – priorité aux intérêts des grandes puissances sans se soucier de leur régime intérieur ou du droit international – et réactionnaire – exaltation de la famille, des identités sexuelles traditionnelles, d’une vision idéalisée de l’histoire nationale. »
Les deux dernières lignes de cette citation sont la SEULE mention, dans tout le dossier du Diplo, du contenu « réactionnaire » du rapprochement Trump/Poutine. Mention très édulcorée qui présente comme conservatisme un néo-fascisme de plus en plus dynamique.
Le style « diplo » de fausse objectivité laisse à penser que ce contenu-là n’a tout de même pas l’approbation de M. Halimi, mais à vrai dire nous n’en savons rien (d’autres de ses articles montrent une grande compréhension envers l’homme du peuple trumpiste à l’identité menacée …).
En ce qui concerne la lutte de Trump contre la « mondialisation néolibérale » – expression bateau désignant ce qui fut, pendant trois décennies, la cible des antilibéraux, des altermondialistes et de la gauche dite radicale – le lecteur tirera ses propres conclusions, à savoir qu’elle a du bon, et que les derniers représentants de celle-ci, les chefs d’Etat européens, sont les seuls adversaires véritables.
L’article se conclut donc sur l’Europe : que l’on se rassure, ses dirigeants sont tellement des incapables nourris à la sauce néolibérale qu’ils ne feront que grommeler contre Trump et Poutine et que, dernière phrase, « On peut déjà parier que même le désastre de la guerre d’Ukraine dans lequel les Américains ont entrainé l’Union européenne ne la conduira pas à redresser durablement la nuque. »
C’est Rimbert qui traite du redressement de la nuque de l’UE, mais avant de passer à lui, notons cette affirmation en deux lignes : la « guerre d’Ukraine » viendrait des Américains (ceux d’avant Trump, quand ils étaient mondialistes néolibéraux !) qui y ont entrainé l’Europe.
C’est là exactement un « narratif », comme aiment à le dire Halimi et Rimbert quand ils veulent pourfendre les Démocrates américains ou les sociaux-démocrates européens, ce sport facile qu’ils adorent pratiquer : un « narratif ». Mais de qui, ce « narratif » ? De Trump et de Poutine.
Pierre Rimbert : Françaises-Français, n’écoutez pas ces salauds de baltes !
Sous le titre « Faire la guerre pour faire l’Europe », Pierre Rimbert démarre en fanfare :
« Le mardi 11 mars 2025, les pourparlers bilatéraux entre Russie, Etats-Unis et Ukraine reprennent en Arabie saoudite : à cinq mille kilomètres de Bruxelles. Pour la première fois depuis le printemps 2022 s’ouvrent la perspective d’un cessez-le-feu et, peut-être, celle de la paix. Ecartés des discussions, déboussolés par la conduite de leur turbulent papa américain, obnubilés par leur grand réarmement, les dirigeants du Vieux Continent |cette fois, les deux majuscules sont de Rimbert] assistent en spectateurs aux discussions qu’ils ont refusé d’engager. Pourtant, ce jour-là, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen parade en séance plénière du Parlement européen ; « C’est le moment de l’Europe. » »
Rimbert commence par un beau lapsus : des pourparlers à trois sont trilatériaux, pas bilatéraux. Mais en fait Trump et Poutine excluent l’Ukraine qu’il faut cependant faire mine a minima d’associer pour qu’elle cède, ce qu’elle n’a pas fait à ce jour. La perspective de la paix serait ouverte pour la première fois depuis 2022 : manifestement, ni la vague initiale, férocement réprimée, de manifestations en Russie, ni les débuts de crise dans l’armée russe fin 2022, n’ont eu cette signification pour P. Rimbert qui n’y a sans doute même pas pensé, tant la défaite russe et la paix sont incompatibles à ses yeux. Donc, les épousailles Trump/Poutine annoncent « la paix » : comment mieux dire qu’elles sont bienvenues ?
Mais il y a les perturbateurs, ces dirigeants européens à la fois si bêtes – ils prennent Trump pour leur « papa » ! – et si fourbes – ils veulent en profiter pour prétendre que c’est leur tour de s’affirmer !
Déjà, en février 2022, ils étaient fourbes, puisqu’ils ont utilisé l’invasion russe de l’Ukraine pour essayer de relancer l’intégration européenne. Il semble que ce soit elle la vraie ennemie pour M. Rimbert.
L’UE a, pour lui, commis deux crimes en 2022.
Le premier : les sanctions économiques visant la Russie et le « sevrage express du gaz russe » qui, punition, ont fait « exploser l’inflation en Europe et sombrer l’Allemagne en récession ».
Les difficultés économiques expliquées par la méchanceté européenne envers la Russie, il fallait y penser. Exit le processus global de fragmentation du marché mondial, balisé bien avant la guerre par la crise de 2008, le Brexit, le premier moment Trump, la première guerre tarifaire avec la Chine, le Covid, la crise du fret, processus dans lequel s’inscrit la guerre russe contre l’Ukraine et ses conséquences et que le second Trump fait s’emballer. Exit aussi, d’ailleurs, les effets des politiques néolibérales endogènes, comme la politique de réduction des recettes publiques de Macron menée depuis 2017 …
Au passage, notons que le « sevrage » envers le gaz russe est en réalité très loin d’être complet, le quart du gaz européen environ étant toujours russe. Mais qu’il était « bon marché » (dixit Rimbert), ce gaz russe ! L’inflation par les prix énergétiques avait pourtant commencé fin 2020, sous impulsion … russe. Bref : le style diplo du Diplo se distingue ici de plus en plus par l’indifférence totale envers les faits.
Second crime de l’UE commis à partir de 2022 : avoir adhéré à la politique « irréaliste » de Zelensky, qui n’est autre que l’aspiration du peuple ukrainien, Zelensky ou pas Zelensky, à voir l’envahisseur, fasciste, tortionnaire, violeur et destructeur, chassé de la totalité du pays -aspiration des Ukrainiens, et aussi des Tatars de Crimée.
Si c’est irréaliste, cela veut dire qu’il faut accepter l’occupation des régions de Donetzk, Louhansk, d’une grande partie du Sud, et de la Crimée. C’est suggéré, mais aucun autre sens n’est possible – c’est le style diplo : on n’écrit pas noir sur blanc qu’il faut céder à Poutine, mais on explique que les dirigeants européens sont fous de ne pas avoir contraint l’Ukraine à céder.
Selon l’Institut Kiel, l’aide militaire européenne à l’Ukraine a représenté, de 2022 à 2024 inclue, 62 milliards d’euro (celle des Etats-Unis 64 milliards), soit 0,2% du PIB total. La réalité souligne une inconsistance, une contradiction européenne, effective, mais ce n’est pas celle dénoncée par P. Rimbert : c’était en fait peu et pas assez pour permettre de repousser l’invasion après la fin de l’année 2022. Par ailleurs, les exportations d’armes françaises ont fortement augmenté, mais sans rapport avec l’Ukraine, vers les pétromonarchies et vers l’Inde. Les fournitures d’armes américaines ont, de plus, été taries par le Congrès du déclenchement de l’offensive impuissante de l’armée ukrainienne (juste après l’écocide de la rupture du barrage sur le Dnipro, en juin 2023) à mi 2024. A partir d’octobre 2023 l’aide à Israël, proportionnellement plus importante, perturbe l’aide à l’Ukraine. Washington, Bruxelles et les capitales européennes ne voulaient pas d’une occupation de toute l’Ukraine mais avaient encore plus peur d’une défaite de Poutine. Ces réalités sont totalement absentes dans le Diplo.
Les deux crimes de l’UE, singulièrement de la France et de l’Allemagne, qui auraient soi-disant coupé les ponts économiques avec la Russie et surarmé l’Ukraine en appuyant l’objectif d’une défaite russe – deux points qui sont donc l’un et l’autre faux – ont été inspirés, ajoute P. Rimbert, par les pires pays du continent : « les plus antirusses et plus atlantistes », ceux qui ont « rebâti leur identité nationale sur un anticommunisme, une russophobie et un néolibéralisme intransigeants » : les baltes, notamment, et les anciens pays du pacte de Varsovie.
L’ignorance crasse de la réalité historique atteint ici son comble, en se calquant sur le récit russo-poutinien qui diabolise baltes et ukrainiens – sur lesquels M. Rimbert a plus d’une fois divagué, dans le Diplo, à propos de leur « nazisme ». Il y a dans cette ignorance – typiquement française – un écho du mépris colonial de l’impérialisme russe envers ces peuples, dont l’identité nationale n’a certainement pas eu à se redéfinir en 1991 car elle avait survécu aux pires persécutions depuis des décennies.
Ce poison balte contamine la France et l’Allemagne et là est le problème pour Rimbert : en 2008, France et Allemagne (et Etats-Unis aussi, ce qu’il oublie au passage) avaient refusé l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN (et de la Géorgie, ajouterais-je). Ils avaient rudement bien fait, estime-t-il. Il est pourtant contradictoire d’expliquer en même temps que France et Allemagne, avant d’être atteints du virus balte, se sont victorieusement opposés à l’extension de l’OTAN, et que c’est la peur de cette extension pourtant évitée qui a motivé l’invasion russe de l’Ukraine. Si l’on ajoute à tout cela une certaine fixette sur la personne de Mme Kaja Kallas, estonienne et haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, nous ne sommes pas loin d’une théorie du complot balte …
Les atlantistes, en effet, ne sont plus à Washington, mais autour de la mer Baltique, et ce sont eux qui ont entrainé la France et l’Allemagne « à l’avant-garde de la nouvelle raison d’Etat supranationale européenne » : il y aurait donc un projet « supranational », ourdi par les vils atlantistes de la Baltique, mais heureusement, Trump et Poutine œuvrent pour la paix !
Cette vision fantasmatique de M. Rimbert va avec une posture pseudo-héroïque : Rimbert fait face, voyez-vous, aux « vapeurs d’union sacrée », tel Jaurès, tel Liebknecht ! Heureusement, le ridicule ne tue pas : car cette défense d’une sorte de souverainisme français et allemand contre le mondialisme supranational, atlantiste et … balte, sent très fort, en vérité, la vapeur d’une très vielle union sacrée bien rance et bien chauvine.
Remarques sur la question européenne.
On aura noté une hésitation, une contradiction, dans la description des Etats européens par Halimi et Rimbert. Tantôt ce sont de toute façon des incapables pour qui les Etats-Unis sont leur « papa » (sic : ça, c’est du Rimbert), tantôt ce sont des manœuvriers redoutables, surtout quand les baltes s’en mêlent n’est-pas, qui profitent de la guerre pour s’engager dans un terrible et mystérieux projet supranational, mondialiste, globaliste et néolibéral, que Poutine et Trump, certes un tantinet conservateurs, veulent éviter au monde en réalisant « la paix en Ukraine » – une paix « réaliste », avec zones occupées, déportations de leurs habitants, russification, etc. : en langue diplo du Diplo, pour dire ça on dit « réaliste », mais c’est beau quand même puisque c’est la paix, n’est-ce pas ? Et ne faut-il pas être méchant comme un balte pour ne pas y croire ? Et bête comme un chef d’Etat néolibéral franco-allemand pour se faire embobiner par ces damnés baltes ?
Telle est la Weltanschauung d’Halimi-Rimbert. Que des secteurs militants par ailleurs lettrés et cultivés puissent voir dans cette sauce autre chose que ce qu’elle est – une construction idéologique euphémisant la menace néofasciste et donc faisant son jeu en adaptant ses éléments de langage, est quand même regrettable, mais ayons malgré tout confiance dans l’usage de la raison …
Il devrait être évident que cette vision des puissances européennes à la fois malfaisantes et totalement incapables de faire quoi que ce soit (une contradiction que nous retrouvons dans l’article adjuvant d’Anne-Cécile Robert) est une contradiction dans les termes, qui suffirait à invalider l’ensemble de ce dossier du Diplo.
Dans la réalité, il y a en effet contradiction : les impérialismes européens sont pris à la gorge par l’Axe Trump/Poutine. Il est très possible que Macron, Merz et Starmer, pour ne rien dire de Meloni déjà toute proche de Trump (et du coup le devenant envers Poutine !), ou leurs homologues, n’arrivent pas à faire face, car l’unité européenne s’impose aux peuples, mais s’oppose aux mécanismes existant du capital et des Etats.
Ceci appelle de la part de la gauche et du syndicalisme un combat pour des dépenses sociales, écologiques et de défense, sans sacrifice d’aucun des trois secteurs, en faisant payer les riches et en mettant la démocratie politique aux postes de commande.
Inversement, Trump et Poutine poussent à l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite dans toute l’Europe, pour les servir. La première contribution à la paix véritable serait une aide européenne immédiate et massive à l’Ukraine assortie d’une no fly zone. Le fait est que Macron, Merz, Starmer …, sont poussés à envisager de telles mesures, avec des contradictions, en se prenant les pieds, en reculant après chaque pas en avant. Le fait est aussi que les trusts de l’armement lorgnent sur les profits des commandes d’Etat. Le combat de la gauche et du syndicalisme devrait être d’agir pour des gouvernements assumant toute cette politique en relation avec les exigences sociales et écologiques. Sur que cela couterait moins cher que ce que prévoient les lois de programmation militaire actuelles et le plan ReArm Europ.
Jeffrey Sachs, le grand privatiseur sacré géopoliticien de la paix !
Revenons au Diplo. Le plat de résistance du dossier est un article de Jeffrey Sachs, qui reprend un discours qu’il a fait lors d’un colloque au Parlement européen le 19 février dernier. Le Diplo nous explique en chapeau sur cette contribution : « Bien qu’elle ne recoupe pas en tous points les positions du « Monde diplomatique », elle signale l’ampleur de la dissonance entre les propos publics des dirigeants occidentaux et leur appréciation réelle de la situation. »
J. Sachs est donc censé représenter l’appréciation réelle des « dirigeants occidentaux », dont il commence par expliquer qu’il les a tous bien connus depuis quatre décennies. Et c’est à ce titre – porte-parole des « dirigeants occidentaux » – que le Diplo lui donne la parole. Mais les « dirigeants occidentaux » ne sont-ils pas, tout du moins en Europe, des fourbes doublés d’incapables mus par un diabolique plan supranational ? Or, il se trouve que la position de Sachs sur « la paix » – son titre est « Géopolitique de la paix » – et les positions de Rimbert et Halimi se recoupent, et même qu’elles se recoupent « en tous points », en fait. Comment est-ce possible ?
C’est possible très simplement, du fait que J. Sachs représente non le point de vue des « dirigeants occidentaux », mais des dirigeants étatsuniens actuels – de celles des forces étatiques et diplomatiques qui, aux Etats-Unis, soutiennent Trump. Voila le pot-aux-roses.
Jeffrey Sachs n’est pas n’importe qui : le parangon des néolibéraux imposant des réformes meurtrières, à la Bolivie en 1985, à la Pologne en 1989, à la Russie en 1992. Il n’est pas paradoxal qu’un tel personnage soit devenu, de longue date, un porte-parole des intérêts du Kremlin : la transformation des sommets de la bureaucratie en oligarchie affairiste et mafieuse a été son affaire, il les connait bien, il est leur complice – et vous pouvez imaginer le reste, n’est-ce pas. Sa « géopolitique de la paix » est donc au service des intérêts d’une couche clef du grand capital international. Et elle ne conduit en rien à la paix.
Ainsi donc, quand un néolibéral de premier plan parle comme Trump et Poutine, il devient pour le Diplo l’oracle de la Vérité dite en coulisse !
C’est un « narratif », relevant de l’idéologie dominante la plus courante et en même temps de la réécriture de l’histoire, que nous sert J. Sachs, apte à permettre aux férus de « géopolitique » d’avoir l’air renseignés, que je résumerai en quelques épisodes, qui forment le roman géopolitique le plus courant aujourd’hui, hélas, de manière à peu près complète.
Le point de départ est la plus grande légende géopolitique, et la plus répandue, qui soit : l’OTAN et les Etats-Unis auraient promis à Moscou, lors de la chute du mur de Berlin, que l’OTAN ne s’étendrait pas à l’Est. J. Sachs parle même d’un « accord de coopération » qui aurait été trahi. Admirons le toupet : il serait bien en peine de nous procurer le texte dudit « accord » …
Voici ce qu’en dit Mikhail Gorbatchev dans ses mémoires :
« Nous [James Baker, émissaire du président américain, et Gorbatchev, en février 1990] étions en désaccord sur un point déterminant : le statut politique et militaire de l’Allemagne unifiée. Baker tenta de me convaincre des avantages de son maintien au sein de l’OTAN au regard de la « neutralisation ». Ses arguments se résumaient ainsi : la préservation d’une présence militaire en Allemagne et la participation de cette dernière à l’OTAN donnaient aux États-Unis et à l’Occident certains leviers de contrôle de la politique allemande. En cas de neutralité, et donc de retrait de l’Alliance atlantique, l’Allemagne pourrait une nouvelle fois devenir un générateur d’instabilité sur le continent. (…) [Baker à Gorbatchev : ] En supposant que la réunification ait lieu, qu’est-ce qui serait préférable pour vous : une Allemagne unifiée en dehors de l’OTAN, sans troupes américaines, ou bien une Allemagne unifiée qui garderait des liens avec l’OTAN, mais avec la garantie que la juridiction et les troupes de l’Alliance ne s’étendraient pas à l’est de la frontière actuelle [à savoir, en Allemagne, la frontière RFA/RDA] ? Cette seconde possibilité devint le noyau du compromis ultérieur sur le statut politique et militaire de l’Allemagne (…). » (Mikhaïl Gorbatchev, Mémoires, éditions du Rocher, 1997).
Encadrer l’impérialisme allemand qui allait assimiler la RDA et s’imposer comme le premier investisseur étranger dans tout l’ancien bloc soviétique (Russie comprise), était une fonction et un objectif tout à fait sérieux de Washington, d’ailleurs ouvertement exprimé et appuyé par le président français de l’époque, fort réticent sur la réunification allemande, François Mitterrand. Il ne fallait pas d’Allemagne trop « incontrôlable » : pour les mêmes raisons, la réunification procédera par le découpage de la RDA en Länder adhérant séparément à la RFA et non par l’élection d’une assemblée constituante souveraine refondant l’Allemagne. L’URSS s’est ralliée à la position américaine et a accepté officiellement en juillet 1990 le maintien de l’Allemagne, en tant que RFA agrandie, dans l’OTAN. Il y a en réalité eu accord Washington/Moscou pour encadrer l’Allemagne, avec l’aide de l’OTAN, et là, un texte d’accord existe bel et bien.
Le deuxième épisode du roman géopolitique de J. Sachs est présenté comme une « trahison » de son accord imaginaire : c’est l’extension de l’OTAN à partir de 1999. Mais cet épisode fait suite à un autre épisode, tout à fait capital et totalement absent des récits « géopolitiques » dominants, dont J. Sachs ne dit pas un mot.
Le premier affrontement russo-ukrainien, à l’initiative de Moscou, s’est en effet produit en 1992-1993. La pression russe, répondant au refus ukrainien du rouble comme monnaie commune (ce qui aurait permis une privatisation directement russe de l’industrie ukrainienne) a comporté le contrôle de structures militaires et étatiques, les chantages sur le prix du gaz et la stimulation des premières menaces sécessionnistes. L’Ukraine avait alors pris le contrôle des armes nucléaires stratégiques soviétiques se trouvant sur son territoire – elle était la 3° puissance nucléaire mondiale !
Ce sont les pressions de l’OTAN, du FMI et de la Banque mondiale qui l’ont contrainte à concéder à Moscou la cession de tout cet arsenal. L’Ukraine a cédé le 14 janvier 1994 par un accord cosigné avec Moscou et Washington, qui sera ensuite transposé fin 1994 dans le mémorandum de Budapest impliquant aussi la Biélorussie et le Kazakhstan, garanti directement par les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
En lieu et place de toute négociation transparente sur la dénucléarisation de l’Europe et du monde, nous avons donc eu une opération de préservation et de restauration de la seule Russie en tant que puissance nucléaire globale, avec l’aide décisive des pays de l’OTAN !
Cet épisode clef, qui contredit totalement la doxa dominante sur l’OTAN et la Russie, secourue au moment de sa plus grande faiblesse stratégique, lui assurait ses bases militaires de Crimée, les frontières ukrainiennes étant garanties par les signataires …
Mais de tout cela, Jeffrey Sachs n’est pas au courant, n’est-ce pas. En fait, la ligne de l’élargissement de l’OTAN a été donnée en janvier 1994, précisément, par le président Clinton, une fois la question de la restauration russe et de la neutralisation ukrainienne avec bases russes sur le territoire ukrainien, réglée. Ce sera l’entrée à l’OTAN de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque en 1999, puis de l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie, la Slovénie, la Roumanie et la Bulgarie en 2004.
Bien que les frottements sérieux entre la Russie et les Etats-Unis aient commencé lors de la guerre du Kososo en 1999 puis à propos de l’invasion de l’Irak (seconde guerre du golfe) en 2003, il ne s’agit pas du tout d’un « encerclement de la Russie » et celle-ci ne le prend pas ainsi à cette date : un « Acte fondateur » OTAN-Russie est signé en 1997 et cadre les adhésions de 1999, et il n’est nullement remis en cause par Poutine au début de sa présidence. Bien au contraire, les débuts de Poutine se font sous le signe de la communion avec G. Bush junior dans la « lutte contre le terrorisme » islamique, cautionnant la guerre coloniale de terreur en Tchétchénie. L’opposition à la seconde guerre du golfe est partagée avec l’Allemagne et la France. Si un pays est « encerclé » par l’élargissement de l’OTAN, c’est en réalité l’Allemagne, les adhésions de 2004 précédant délibérément l’élargissement de l’UE aux mêmes pays. UE mise hors-jeu une première fois en 1995 lors des accords de Dayton (Etats-Unis) sur la Bosnie-Herzégovine.
En Russie, ce sont les nationalistes néofascistes du LDPR et les « communistes » du KPRF, l’un et l’autre oppositions officielles de droite et de gauche et composantes du système de pouvoir poutinien, qui protestent. Poutine choisira de faire sien la thématique du soi-disant « encerclement de la Russie », lié à une menace « occidentale » d’avachissement des mœurs patriarcales, dans un discours de 2007.
C’est aussi en 2007 que les Etats-Unis annoncent leur intention d’installer des éléments de leur dispositif antimissiles, déjà présent au Massachussetts, au Groenland et au Royaume-Uni, sur le continent européen en Pologne (dix intercepteurs) et en République tchèque (un radar), officiellement contre une menace iranienne.
L’ensemble de la gauche antilibérale occidentale a, à l’époque, de manière pavlovienne, considéré que la cible était la Russie. Que les contradictions entre Etats-Unis et Russie soient alors en train de grandir est incontestable, mais croire qu’elle était une cible fait fi d’un « détail » technique : quoi qu’on pense de cette relance des dépenses militaires par Bush, les dispositifs antimissiles sont par nature défensifs (tout en étant susceptibles d’induire un déséquilibre stratégique). Or, la Russie va, elle, commencer à installer des missiles offensifs Iskander, susceptibles d’accueillir des charges nucléaires, dans le territoire de Kakiningrad.
La totalité de ces faits, comme ceux concernant le mémorandum de Budapest, sont évacués du narratif de J. Sachs et du Diplo. Très clairement pourtant, le refroidissement de 2007-2008 a été préparé par les intrusions de plus en plus violentes de la Russie en Ukraine, dès 2004, en Géorgie et en Asie centrale, culminant dans la guerre de Géorgie en 2008. Sous le récit selon lequel les « ONG occidentales » fomenteraient des « révolutions oranges » (les dites ONG étaient présentes, mais ce récit invisibilise le mouvement propre des populations) on a la volonté de reconstituer la domination de l’espace post-soviétique rebaptisé « monde russe ». Tout cela, inexistant chez J. Sachs, pour qui tout n’est que « trahison occidentale » et, accessoirement, « folie » du président géorgien de l’époque, Saakachvili (incontestablement un agité, mais faire de lui un deus ex machina est ridicule).
Poutine voudrait reconstruire l’empire russe ? « propagande puérile » ! On admirera le culot de telles affirmations contrefactuelles présentées comme vérités indubitables de la « géopolitique de la paix » !
Le tournant s’approfondit après 2008 sous le poids de la situation financière et économique mondiale. Tournant russe mais aussi résistance démocratique et nationale des peuples de l’ancienne URSS qui ne veulent pas être reconquis : ce facteur n’existe pas chez Sachs et le Diplo. Les Ukrainiens, comme sujet historique, comme subjectivité nationale construite par l’oppression, n’existent pas (ou alors sous forme diabolisée). Ce déni implicite, tout à fait naturel chez un ami des grands de ce monde et un grand organisateur de privatisations comme J. Sachs, oracle pour le supposé antilibéral Diplo, fonde la vision complotiste de l’histoire ukrainienne depuis 2013 que présente ensuite son discours.
Le Maidan, la chute de Ianoukovitch ? Complot américain, coup monté. Ainsi, si l’ingérence russe est une « propagande puérile », le complot occidental universel n’a, lui, rien de « puéril » et, naturellement, des millions de manifestants pendant des mois, cela n’existe pas.
Ensuite, bien entendu, nous avons droit aux « accords de Minsk », qui ont justifié un cessez-le-feu précaire dans le Donbass (pas un mot sur l’occupation de la Crimée !) – Donbass où « les bombardements font des milliers de morts » (lesquels ? on admirera l’imprécision voulue qui laisse la place aux fakes de la propagande russe sur le prétendu génocide des « russophones »). Sachs, comme Hélène Richard dans son propre article, se garde bien de présenter le contenu des accords de Minsk : maintien de l’occupation russe de facto de Donetzk et de Louhansk dans une future Ukraine décentralisée où, par leur truchement, la Russie aurait eu un droit de veto sur la politique étrangère du pays. Il s’agissait d’un compromis colonial typique, qui ne pouvait tenir.
Après la légende des accords de Minsk, violés comme il se doit par l’Ukraine au service de « l’Occident », J. Sachs nous sert pour finir le story telling des accords de paix qui auraient failli être signés au printemps 2022 par la médiation turque, mais que « le Royaume-Uni » aurait empêchés. Ces négociations où l’Ukraine avait le couteau sous la gorge avaient en fait commencé près de Tchernobyl, et la Russie n’avait pas l’intention d’arrêter son offensive. Ce que regrette Sachs, c’est que les Ukrainiens aient résisté.
Sachs nous raconte que les dirigeants des Etats-Unis ont provoqué la Russie en voulant implanter l’OTAN en Ukraine, alors qu’ils ont refusé de le faire et qu’il est lui-même un représentant de cette orientation de l’impérialisme américain qui triomphe actuellement avec Trump.
Hélène Richard, digest et doxa …
Compte-tenu des éléments déjà présentés ici, je peux me permettre de passer rapidement sur l’article d’Hélène Richard qui est le premier dans l’ordre de présentation du dossier, et qui récapitule en fait toute la doxa dominante du Diplo, laquelle est très largement la doxa dominante tout court, contrairement à ce qu’elle veut faire croire.
Hélène Richard fut une journaliste qui, voici quelques années, se rendait sur place et pouvait avoir quelque empathie pour les Ukrainiens qu’elle rencontrait. C’est fini. En bon petit soldat d’Halimi-Rimbert, elle débite de manière stéréotypée le même récit que Sachs, dans lequel l’expansionnisme russe est une fiction à la Macron/Glucksmann mais où « l’expansion euro-atlantiste » est bien réelle, alors que la politique des impérialismes européens a été déterminée par la volonté de collaboration avec l’impérialisme russe.
Je citerai simplement la perle peut-être la pire d’Hélène Richard : la preuve que Paris et Berlin ont saboté ces si merveilleux accords de Minsk, c’est qu’ils ont « laissé Kiev faire de la récupération du contrôle de la frontière un préalable à l’organisation d’élections locales -pensant que le Kremlin se satisferait d’un enlisement. » Imaginons que l’Allemagne ait pris le contrôle de l’Alsace-Moselle par le truchement de milices séparatistes composées de soldats sans insignes de la Bundeswehr, qu’un accord de cessez-le-feu envisageant des élections sans que cette ingérence armée ne prenne fin ait été signé, et qu’une « journaliste » d’un grand organe de la « géopolitique » vienne expliquer que, quand même, ces Français sont de sacrés bellicistes quand ils disent qu’il faudrait que leur pays reprenne le contrôle de la frontière avant que des élections aient lieu, et qu’il n’aurait quand même pas fallu les « laisser faire » !
Quel culot, ces Ukrainiens, à vouloir des élections qui ne se fassent pas sous la menace des mitraillettes !
H. Richard nous rabâche une antienne : « La Russie n’est pas l’Allemagne des années 1930 … » A vrai dire, elle nous la rabâche avec une telle insistance qu’on se prend à douter de sa véritable conviction à ce sujet. A trop vouloir faire du zèle …
Pour conclure.
Pour finir, signalons l’article de Sébastien Gobert. Il est le seul dans lequel l’Ukraine et les Ukrainiens existent comme acteurs ayant leur agentivité propre. Mais du coup, il apparait comme une caution à la ligne générale qui prévaut totalement par ailleurs, qu’il ne permet pas de contredire.
En outre, sa présentation des luttes partidaires internes à l’Ukraine ignore un facteur capital dont l’importance a augmenté depuis le 24 février 2022, celui des courants de gauche ou socialisant dans la société civile, et y compris dans l’armée, des syndicalistes, des féministes, des écologistes, des LGBT … tous engagés dans la lutte armée contre l’invasion et dans la lutte sociale contre le gouvernement ukrainien.
Ce grand continent, car c’en est un, est l’impensé, l’inconnu, d’une majorité des cadres militants de la gauche et du syndicalisme, qui sont, à cet égard, responsables et coupables de leur ignorance – il faut le leur dire !
Les rares fois où des références aux syndicats ukrainiens percent le mur du silence, c’est pour reprendre sélectivement des informations données par les militants internationalistes pro-ukrainiens organisés notamment dans le RESU, le Réseau Européen de Solidarité avec l’Ukraine, sur les luttes contre les attaques visant le droit du travail. Ces références « oublient » toujours l’autre demande des syndicats ukrainiens, qui vient en premier lieu : livrez-nous des armes.
Il est urgent, il est plus que temps, camarades, de se réveiller. Il y a un Axe néofasciste qui nous prend en étau, sur deux fronts et de l’intérieur aussi – dans ce combat, les forces démocratiques des peuples américain et russe sont avec nous. Et le premier front de la guerre antifasciste est en Ukraine.
Raconter et se raconter qu’il n’y a pas de menace russe et que Trump contribue à la « démondialisation », c’est se désarmer volontairement dans la guerre antifasciste dont je ne dirai pas qu’elle vient, car, sous toutes ses formes qui ne sont pas seulement militaires mais qui le sont aussi, elle est déjà là.
Si vous pensez barrer la route au RN en euphémisant la réalité d’un Axe néofasciste mondial et la place qu’y tient Poutine, vous vous mettez le doigt dans l’œil.
VP, le 26/04/25.
Post Scriptum : cerise sur le gâteau.
Ayant bossé le dossier « pas de menace russe mais une menace européenne » (on peut l’appeler comme ça, non ?) du Diplo d’avril, j’avais négligé l’édito de Benoit Bréville. Il est pourtant croquignolet et mérite à ce titre quelques lignes.
Sous le titre « L’Internationale des censeurs », il s’agit apparemment d’une protestation contre la censure « anti-Woke », ou prétendument anti- « antisémitisme », qui sévit aux Etats-Unis et à laquelle ressemblent de plus en plus des orientations prises en Europe dont la France de Macron.
Mais est-ce réellement le but de cet édito ? Tout est dit de ce qu’il en est vraiment dans le premier paragraphe :
« Un axe étrange prend forme. Non pas celui du « Mal » qui rassemblement les « ennemis » de l’Ocident. Ni celui qui irait de M. Donaldt Trump à M. Vladimir Poutine. Mais une alliance plus large : l’Internationale des censeurs, où se coudoient autocrates, démocrates et bureaucrates. »
Ainsi, le sentiment d’indignation démocratique contre la censure et ses prétextes hypocrise est détourné, dans cet édito, pour nous faire rentrer dans la tête une seule chose : l’Axe Trump-Poutine ça n’existe pas, il n’y a pas d’Internationale réactionnaire qui tienne entre eux, il n’y a que des tendances réactionnaires menées par les vrais ennemis dans lesquels figurent, notez-le bien c’est écrit, les démocrates, sans majuscule, ce qui veut dire les partisans de la démocratie …
Les formules du type « Internationale réactionnaire » ou « Axe néofasciste » ont été employées, en France, par Sophie Binet, dirigeant de la CGT, notamment lors du congrès de la FSU à Rennes et depuis. Nous assistons à un combat organisé pour les mettre au rabais, soit en ne parlant surtout pas de fascisme ou de néofascisme, ne soit en ne mettant surtout pas Poutine dans l’énumération des chefs d’Etat en cause (en le remplaçant par divers sous-fifres, comme Meloni, etc.). Cet édito participe pleinement de cette opération, en nous enfonçant dans le crane que non, il n’y pas d’axe Trump/Poutine.
Au compte de qui ?
Extrait d’un texte tout à fait de circonstance sur Mediapart :
„Heureusement que l’Union Européenne est là pour“... augmenter massivement les dépenses d’armement, envoyer en Ukraine des troupes européennes d’interposition pour faire respecter l’accord impérialiste Trump-Poutine au nom duquel l’Ukraine se verra dépouiller d’une partie de ses ressources rares pour rembourser trois fois plus que l’aide US et que Poutine conservera les territoires occupés en Ukraine sans avancer plus loin , ce qui tombe bien pour Poutine , bloqué qu’il est depuis 2014 sur ces mêmes territoires…Encore bravo pour votre lucidité !
Présumey emploie le terme de „fasciste“ à tort et à travers pour mieux nous vendre la nécessité d’une défense européenne et d’une armée européenne , au prix d’une explosion mondiale des dépenses d’armement, utilisant Trotsky pour justifier cette explosion….. en effet, „la politique militaire prolétarienne “ est mise en avant pour le SEUL cas de fascisme victorieux à la Hitler où à la Mussolini …..Or, aucun fascisme aux USA même si Trump peut l’être „fasciste“ dans sa tête, des millions de travailleurs et jeunes se mobilisent contre Trump et la classe ouvrière est debout (malgré ses directions souvent complices), Trump est donc bien loin de pouvoir transformer la classe ouvrière en „une poussière d’individus impuissants face à l’exploitation et l’oppression“ ( l’essence du fascisme !)
QUE DE CONTORSIONS pour nous fourguer son campisme derrière les impérialismes européens ( GB, France, Allemagne….L’Italie quant à elle est rejetée pour son propre campisme derrière l’impérialisme américain ) !
TOUTE guerre impérialiste est TOUJOURS au détriment de TOUS les peuples, NON aux crédits de guerre au service de l’impérialisme confronté à la crise irrémédiable de son système , vive l’Internationalisme prolétarien, contre TOUTE alliance avec la bourgeoisie, ses partis, ses institutions (cf le gouvernement de Front populaire derrière Kerensky en février 1917) , pour des Gouvernements ouvriers, seuls à même de rassembler TOUTES les catégories populaires et la jeunesse ( cf le Gouvernement ouvrier tripartite mis en place en Russie en Octobre en 1917, avec Lénine et Trotsky).
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Il aura fallu trois ans, si je compte bien, d’exaltation, de récitations et copiés-collés sur nos forums (et encore, dans l’intérêt des conditions même d’un libre débat entre militants ouvriers, nous ne publions pas ses messages qui répètent toujours la même chose sans tenir compte jamais des arguments qui ont pu lui être opposés), à M. Coquema (parce qu’on vous a évidemment reconnu sous votre pseudo), pour réaliser que la PMP chez Trotsky, ça existe, et hop, immédiatement, pour la falsifier : la PMP ne serait valable « que » (en majuscules) contre le « fascisme », et de nous expliquer que ni Trump ni Poutine ne sont fascistes, n’est-ce pas, puisqu’ils n’atomisent pas les organisations ouvrières (demandez aux mineurs du Donbass ce qu’ils en pensent, et d’autre part, lisez « Project 2025 »), donc que les combattre, comme font par exemple les Ukrainiens, c’est contraire aux prescriptions. Défense de s’armer contre Trump et Poutine ! Laissons Macron s’en occuper !
Et c’est ainsi qu’au passage, cette imbécilité sans limite fait AUSSI, et pleinement, le jeu de Macron …
NB pour la modération des forums du site : j’ai objectivement autre chose à faire dans ma vie que de gérer le cas Coquema fut-ce sous pseudo.
VP.
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long article de décryptage roboratif et fort utile ! j’ai cessé de lire le MD depuis plusieurs années, leur campisme effréné devenant de plus en plus insupportable et générateurs d’infostox !
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Commentaire reçu de Luigi
Le Monde diplomatique, parait-il, « nous arrête pour réfléchir ».
Mais il réfléchit surtout, mois après mois, la propagande poutinienne. En mai, un article intitulé « La victoire sur le nazisme vue de Kiev » et signé par Eric Aunoble et Yurii Latysh, nous raconte comment à coups de destructions de monuments aux morts de la grande guerre patriotique (dénomination russe de la deuxième guerre mondiale) et autres déboulonnages des héros du parc de la Gloire-Eternelle (au centre de Kiev), les Ukrainiens travaillent à effacer, eux-mêmes, leur contribution à la victoire sur le nazisme.
Le Diplo nous détaille une pleine page 16 de cette bataille mémorielle. Il nous révèle que cette « mémoire outragée, profanée », est anéantie sous la direction d’autorités locales manipulées par les partis d’extrême droite Pravyi Sektor, la jeunesse nationaliste Sokil, ou du groupe d’ultra droite Valknut. Les rares Ukrainiens qui résisteraient à cette offensive le feraient sans succès et il leur en cuirait.
Tout cela pour conclure que « le récit nationaliste glorifiant Bandera et l’UPA prend le pas sur un récit plus présentable. »
Le Diplo nous l’avait bien dit, les Ukrainiens d’hier, sous le drapeau de Staline, étaient, peut-être, de braves gars, ceux d’aujourd’hui sont des nazis.
Quant à la convergence Trump-Poutine ce n’est qu’un « faux semblant ». Cette fois, c’est une professeure à la George Washington University, Marlène Laruelle, qui s’y colle en page 7 sur cinq colonnes également.
Il est de première nécessité que les campistes, un moment désorientés par les bontés de Trump et de ses « négociateurs » envers Poutine sur le dos et le ventre des Ukrainiens, se rassurent. Ce n’est pas une « collusion » car « on peut s’influencer, s’admirer même, sans s’allier … »
Peu importe que la droite chrétienne de MAGA, fasse de Poutine par sa défense des valeurs « traditionnelles », un héraut de la chrétienté. Peu importe que Douguine célèbre Trump comme un chef de la contre-révolution pour laquelle il combat auprès de Poutine. Peu importe que les idées techno-réactionnaires des « Lumières obscures » (Dark Enlightment) soient l’idéologie la mieux partagée par Elon Musk, JD Vance, Peter Thiel (Facebook, Paypal…) et le transhumanisme russe du « cosmisme » qui vise un homme augmenté par la conquête de mars, du cosmos, de l’infini… et au-delà .
Peu importe surtout le nouveau désordre du monde sur lequel sont en train de s’entendre Poutine et Trump en s’échangeant des morceaux d’Europe et des morceaux du continent américain. Et peu importe que, de longue date, les déboires financiers de Trump dans les casinos et l’immobilier l’aient rendu débiteur de l’oligarchie russe.
En revanche les différences, tactiques, conjoncturelles, réelles ou supposées, sur les rapports de la Russie et des Etats-Unis avec la Chine ou les Etats du Moyen-Orient, sont présentées comme des oppositions majeures.
La question rhétorique du titre :« Y a-t-il un axe Washington-Moscou », laisserait, selon le Diplo, « le Kremlin perplexe ». Mais cette perplexité n’est pas partagée par la rédaction du Monde diplomatique qui sait, de source sûre, que l’idée d’un Trump acquis à la cause russe est une pure construction propagandiste. Et nous en administre la preuve ultime : « la manière un peu empressée dont les médias occidentaux ont relayé cette idée ».
Attendons, de pied ferme, la livraison de juin pour une nouvelle et empressée offensive Poutino-trumpienne du média phare du campisme occidental.
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