J’ai commencé à écrire le présent travail comme une sorte de parcours biographique concernant Gerry Healy, qui devait donc être logiquement titré Gerry Healy. Ce qui l’avait suscité est la parution, en 2024, chez Pluto Press, d’un livre de l’universitaire irlandais Aidan Beatty, The Party is always right. The Untold Story of Gerry Healy and British Trotskysm, qui tente de faire une mise au point d’ensemble sur ce personnage, le pire personnage de l’histoire du trotskysme.
Pourquoi cet intérêt ? Eh bien, il y a une ombre de Healy et du « healysme » en France, provenant du souvenir que ce courant fut, pendant une quinzaine d’année, l’organisation « sœur » de l’OCI, le courant « lambertiste », une sorte de réplique outre-Manche qui aurait eu beaucoup de traits communs avec lui, mais « en pire » – en bien pire. Ce n’est toutefois qu’une ombre, une rumeur : une information sérieuse sur le « healysme » nous manque. Réciproquement, le point de vue français est quasiment absent dans l’abondante littérature de langue anglaise sur le sujet, Aidan Beatty compris.
Sur le plan historique et de la réflexion sur les formes d’organisation, le sujet apparaît important, mais spécifique : une fraction-secte « nationale-trotskyste » qui a fini par exploser car son chef, vrai autocrate, a été convaincu de harcèlements sexuels. Cela, bien avant que ce type d’atteintes aux personnes ne soit un « vrai sujet » : en 1985.
L’une des rares, peut-être la seule, politesse exquise de Gerry Healy, bien involontaire, fut d’avoir cassé sa pipe presque en même temps que l’URSS, le 14 décembre 1989. Dans les nécrologies qui parurent alors, l’un des titres les plus frappants fut trouvé par Alan Thornett, figure du syndicalisme ouvrier britannique et militant trotskyste : The Ceaucescu of the British Trotskyist movement (Socialist Outlook, février 1990). Ceaucescu, le petit Staline roumain, venait alors juste d’être renversé, et prestement liquidé pour qu’il ne parle pas.

Formule d’autant plus frappante que, dans son article nécrologique, A. Thornett n’en mesurait pas lui-même toute la portée : dire que le mouvement trotskyste a pu avoir quelque part un « Ceaucescu », autrement dit qu’il a pu y avoir des « Staline » dans le mouvement trotskyste, soulève de redoutables questions, car cela revient à l’envisager comme une réplique, à plus petite échelle, des États staliniens dits « ouvriers », des organisations cloisonnées voire des sortes de prisons dont certaines ont pu être totalement dominées par un tyran.
Healy fut un cas extrême mais nous savons bien que, en tant que monstruosité, il s’inscrit dans le cadre d’une espèce, dont il a poussé certains traits à un degré insupportable. Là était pour moi le problème à étudier.
Mais en cours de route, j’ai été conduit à lire d’autres publications dans la nombreuse bibliographie anglaise disponible sur le net, dont je mentionnerai des ouvrages au fur et à mesure, puis un livre que je me suis procuré, car Aidan Beatty s’y référait à diverses reprises et il avait attiré mon attention : My Search for Revolution. How we brought down an abusive leader, de Clare Cowen, Kindle Edition, paru en 2019. Ce récit autobiographique émouvant d’une femme qui a vécu 20 ans de sa vie sous l’emprise de Healy et a contribué à le vaincre et à s’affirmer elle-même comme personne, comme militante et comme féministe, en brisant l’appareil que Healy avait construit – qu’elle et ses amies pensaient préserver, mais qu’elles ont en fait brisé, et elles s’en sont d’autant mieux portées ! – a retourné profondément mon approche.
En effet, ce travail avait été commencé dans le prolongement de plusieurs de mes articles sur l’histoire du trotskysme, notamment de l’OCI française, mais aussi sur celle d’autres courants et, récemment, de Pablo. Mais je découvrais que la chute finale du healysme, dont l’histoire commence dans un cadre commun à celles que j’avais traités précédemment, fut un évènement d’une importance qui va bien au-delà, mais qui fut ignoré, inaperçu voire minimisé : c’est la révolte, terriblement difficile au départ, d’un groupe de femmes qui a détruit un appareil politique bureaucratique.
Ce changement de perspective globale s’est imposé à moi alors que ce travail était déjà largement rédigé, des origines à la fin des années 1970. Mais le récit des évènements terminaux en modifie la signification d’ensemble et en fait un chapitre important d’une histoire principalement féministe, relevant du combat pour l’émancipation des femmes, et de toute l’humanité, envers la domination masculine.
Je n’ai pas tout réécrit dans cette perspective telle qu’elle s’est imposée – principalement ce préambule, car l’approche historique qui prend le cours des évènements dans leur ordre chronologique reste tout à fait indispensable, et la perspective féministe prend ici sa centralité non au début, mais à la fin, de l’histoire. Cependant, je peux dire aux lectrices et aux lecteurs que, je l’espère, leur intérêt devrait grandir, comme il a grandi pour moi, quand approche la crise finale ; et qu’elles et ils peuvent d’ailleurs, s’ils le souhaitent, commencer par lire les dernières sections, à partir de la grève des mineurs de 1984-1985, pour reprendre ensuite l’ensemble depuis le début.
Il n’était, du coup, moralement plus question d’intituler ce travail Gerry Healy, bien que sa construction chronologique suive le parcours politique de Gerry Healy. J’aurai aimé l’appeler Aileen Jennings, car c’est elle la victime, la combattante, la tombeuse du healysme, c’est elle qui mérite des fleurs et l’hommage de l’histoire. Mais c’était inexact, car ceci n’est pas du tout une biographie de Aileen Jennings. J’ai donc opté pour une cote mal taillée, et trouvé ce titre : Gerry Healy contre les femmes. Même pas Les femmes contre Gerry Healy, qui aurait convenu à toute la partie qui commence avec la grève des mineurs, puisque ce qui la précède est la genèse, l’essor et la putréfaction parasitaire de ce phénomène bureaucratique à gestation progressive qu’il faut bien appeler le « healysme ». Et à vrai dire, l’oppression des femmes dans cette histoire a été combattue par certaines, mais pas par toutes : Healy a aussi eu des sectateurs femmes, des sectatrices !, passionnées et indécrottables (la plus célèbre est Vanessa Redgrave).
Par choix politique et parce qu’elles méritent un immense respect, les trois portraits surplombant ce travail sont ceux des trois femmes, ses victimes, qui l’ont vaincu : Aileen Jennings, Clare Cowen, Dot Gibson. Des photos de Healy sont placées plus bas. Et cette publication, terminée début mars, est rendue publique ce 8 mars qui suit de quelques mois, en France, le « procès Pélicot ».
VP.
Posadas, après 1962, avait lui aussi commencé à qualifier tout le monde, jusqu’aux Tupamaros, d’agents de la CIA.
J’aimeJ’aime
tandis que les Brigades Rouges en Italie étaient réellement financées et armées par Moscou via la Tchecoslovaquie
J’aimeJ’aime
Traduction de l’article nécrologique rédigé par Alan Thornett :
Gerry Healy, le Nicolas Ceausescu du mouvement trotskyste britannique
Par Alan Thornett
Thomas Gerard Healy est mort le 14 décembre 1989 à l’âge de soixante-seize ans. Pendant trente ans, il fut secrétaire général de l’organisation devenue la Socialist Labour League (SLL), puis le Workers Revolutionary Party (WRP), et l’un des leaders du Comité International de la Quatrième Internationale (CIQI).
Dans les années 1980, il avait contribué davantage à discréditer le mouvement trotskiste et la gauche en général que quiconque se réclamant de ce mouvement, malgré d’autres prétendants sérieux à cette distinction.
Gerry Healy arriva d’Irlande en Grande-Bretagne en 1928 et il fut recruté par le Communist Party of Great Britain (CPGB), déjà dégénéré. Cette expérience forgea sa politique vers le sectarisme et la bureaucratie et elle jeta les bases du monstre politique dégénéré qu’il devint.
Le CPGB a toujours eu une tendance au sectarisme et à la bureaucratie. En 1928, après quelques hésitations initiales, il suivit avec enthousiasme l’Internationale Communiste dans son virage ultra-gauche de la troisième période, dans lequel il dénonça les sociaux-démocrates comme des sociaux-fascistes. Ce virage se poursuivit de 1928 à 1934. Le CPGB devint l’un des partisans les plus serviles de Joseph Staline parmi les partis communistes occidentaux.
Le virage de Joseph Staline vers la troisième période s’inscrivait dans le cadre politique de l’Internationale Communiste stalinisée, celle du socialisme dans un seul pays, l’idée que le socialisme pouvait être construit dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) en exploitant la division internationale du travail, mais il y greffa une série de politiques radicalement ultra-gauches.
Celles-ci causèrent les plus grands ravages en Allemagne, où l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler fut facilitée par l’opposition de Joseph Staline à toute action de front uni avec le parti social-démocrate de masse contre la montée du fascisme. Les sociaux-démocrates furent dénoncés comme pires que des fascistes.
En Grande-Bretagne, le CPGB dénonça le parti travailliste comme étant un parti fasciste et il dénonça les syndicats comme étant des organisations anti-ouvrières, rompant ainsi radicalement avec la tactique de travail dans les organisations de masse prônée par Vladimir Lénine et appelant à la création de syndicats rouges indépendants des Trades Union Congress (TUC).
Gerry Healy fut exclu du CPGB en 1937. Il affirma que cette exclusion était le résultat de son opposition aux politiques de la troisième période, mais celles-ci avaient été abandonnées trois ans plus tôt au profit de la ligne interclassiste du Front Populaire.
L’exclusion de Gerry Healy était probablement davantage liée au virage à droite du CPGB. Il rejoignit la Workers International League (WIL), nouvellement créée, qui œuvrait au sein du parti travailliste et de l’Independent Labour Party (ILP), dont il devint rédacteur en chef de son journal. De toute évidence, il apporta une contribution significative, plaidant pour la poursuite du travail dans le parti travailliste et pour l’organisation de la gauche.
L’année suivante, trois des quatre groupes trotskistes fusionnèrent pour former la Revolutionary Socialist League (RSL), la WIL refusant d’y adhérer. Cependant, les effets de la guerre déstabilisèrent les autres groupes et, en 1943, la WIL et ce qui restait de la RSL fusionnèrent pour former le Revolutionary Communist Party (RCP) dirigé par Jock Haston.
En 1947, le RCP était divisé en interne sur la question de son adhésion au parti travailliste. En 1948, la minorité du RCP dirigée par Gerry Healy commença à adhérer au parti travailliste, avec la publication d’une revue intitulée Socialist Outlook. Lorsque le RCP fut finalement dissous en 1950, la majorité des militants rejoignirent le groupe fondé par Gerry Healy, le Club.
Gerry Healy procéda ensuite à plusieurs purges de style stalinien visant à lui conférer le contrôle politique total de ce qui était désormais la section britannique de la Quatrième Internationale trotskiste. Tony Cliff et Ted Grant furent expulsés tous les deux. Gerry Healy instaura le type de régime interne qu’il allait maintenir jusqu’à la fin de sa vie politique.
En 1953 et en 1954, le mouvement trotskyste international se divisa autour de la ligne de Michel Pablo et de la direction internationale, qui se laissa emporter par des éloges sans réserve sur le caractère révolutionnaire de la direction de Tito en Yougoslavie. Gerry Healy, influencé par l’émergence d’un courant de soutien à Michel Pablo dans son organisation, effectua un brusque revirement politique, rompant avec les positions de soutien à Tito et se ralliant à James Patrick Cannon et au Socialist Workers Party (SWP) des Etats Unis, qui adoptait une ligne trotskiste orthodoxe contre Michel Pablo et le stalinisme. Ce fut la création du CIQI.
Le groupe de Gerry Healy établit une base dans le parti travailliste et il mena un travail positif dans les syndicats, ce qui permit aux trotskystes britanniques de sortir de leur isolement. Après le discours de Nikita Khrouchtchev de 1956 dénonçant les procès de Moscou, ils recrutèrent des militants du CPGB. Ce succès conduisit à la création de la SLL en 1959. Elle continua d’œuvrer au sein du parti travailliste pendant plusieurs années.
En 1963, la SLL contrôlait les Jeunes Socialistes, l’organisation de jeunesse du parti travailliste. Les Jeunes Socialistes furent exclus du parti travailliste après une vaste campagne de défense. Ce fut une formidable opportunité pour le trotskysme, mais Gerry Healy se tourna bientôt vers un projet sectaire de construction d’un groupe révolutionnaire extérieur et opposé aux structures des organisations de masse.
La SLL connut une croissance rapide et, au milieu des années 1960, elle était le courant dominant du trotskisme en Grande-Bretagne. D’autres courants, autour de Ted Grant, qui s’était opposé à l’entrée au parti travailliste au début des années 1960, et de Tony Cliff, qui caractérisait le régime de l’URSS comme un régime de capitalisme d’état, étaient des courants minoritaires.
La SLL a réalisé d’importants progrès dans les syndicats, sur les docks de Liverpool, sur les chantiers de Londres, dans l’industrie mécanique et dans l’industrie automobile, notamment à l’usine British Leyland de Cowley. Cependant, comme ses prédécesseurs, la SLL était une secte dominée par le leadership de Gerry Healy.
Sa politique syndicale était biaisée. Il soutenait qu’il était possible de construire un parti en Grande-Bretagne non pas en intervenant dans les organisations de masse de la classe ouvrière, mais de l’extérieur, de manière individuelle, en intervenant dans les luttes et en recrutant des travailleurs légitimement hostiles aux trahisons de leurs leaders. Aucune distinction n’était faite entre l’aile gauche et l’aile droite de la bureaucratie syndicale et la stratégie du front unique était ignorée.
En 1963, une majorité du mouvement trotskyste international se réunifia pour former le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI). La SLL en Grande-Bretagne et l’Organisation Communiste Internationaliste (OCI) en France, désormais une organisation importante présentant des déformations sectaires et bureaucratiques similaires à celles de la SLL, restèrent en dehors du SUQI, dans le CIQI. Le CIQI n’était pas une véritable internationale, c’était une imposture. Ses prétendues sections étaient toutes subordonnées à la SLL ou à l’OCI.
Bien que de petite taille, la SLL était désormais bureaucratisée, avec une direction impitoyable, séparée de ses militants. Gerry Healy avait désormais deux objectifs, une ligne sectaire pour la construction du parti en Grande-Bretagne et la destruction des révisionnistes du SUQI. Pour les atteindre, il recourut de nouveau au stalinisme et à ses principales méthodes, mensonges, calomnies, intimidations et violences.
Au mois de décembre 1966, Gerry Healy ordonna à une bande de voyous de la SLL de tabasser Ernest Tate, un partisan du SUQI, qui vendait un pamphlet intitulé « Gerry Healy reconstruit la Quatrième Internationale », devant un meeting de la SLL à Conway Hall. Il s’agissait d’actes de terrorisme au sein du mouvement trotskiste, annoncés à l’avance dans le bulletin de la SLL, « nous n’hésiterons pas à traiter avec la plus grande prudence la poignée d’agents du SUQI qui diffusent des calomnies auprès de la fausse gauche en Angleterre ». Lorsque plusieurs journaux de gauche défendirent Ernest Tate, Gerry Healy les menaça de poursuites judiciaires, une réplique des méthodes employées par les staliniens contre les trotskistes à une époque antérieure.
Ceux qui défendirent cette initiative furent qualifiés de calomniateurs de la SLL et la direction de la SLL informa les militants de la SLL que la SLL était assiégée par des ennemis prêts à tout pour la discréditer, mais la SLL, poursuivant son action syndicale avec constance, continua de croître. Un groupe de base fut créé, l’All Trade Unions Alliance (ATUA). Ce groupe offrait de réelles perspectives, mais il souffrait du sectarisme de la SLL.
Gerry Healy lança une campagne pour la création d’un quotidien de la SLL, collectant d’importantes sommes d’argent auprès de ses militants. Le quotidien Workers Press, paru en 1969, mit fin à toute politique objective. L’organisation disparut dans un activisme effréné, enregistrant le plus fort taux de rotation de militants jamais enregistré pour une organisation trotskyste, un phénomène aggravé en 1973 par la dissolution de la SLL et le lancement du Workers Revolutionary Party (WRP), dont le nombre de militants devait augmenter.
Fort de quatre mille militants, il s’efforça de s’inspirer d’une organisation de masse. Les gains réalisés dans les syndicats donnèrent lieu à un rassemblement de l’ATUA à Manchester, rassemblant quatre mille participants, puis à un autre à l’Empire Pool l’année suivante, rassemblant dix mille participants, mais, à mesure que les chiffres augmentaient, la politique déclinait. Des campagnes effrénées de recrutement furent lancées, fixant des objectifs quotidiens de recrutement aux sections. Les militants furent invités à parler à leurs voisins dans les bus et à leur demander de les rejoindre.
En 1971, Gerry Healy s’était séparé de ses collègues internationaux de l’OCI française. Cette scission était peu politique, il s’agissait de deux appareils bureaucratiques qui ne pouvaient plus cohabiter. Lors d’une réunion du comité central de la SLL, Gerry Healy exigea de Pierre Lambert une réponse par oui ou par non à la question suivante, « Le matérialisme dialectique est-il la théorie de la connaissance du marxisme ». Face au refus de Pierre Lambert, la délégation de l’OCI fut contrainte de partir.
Alors que la SLL devenait de plus en plus isolée et vulnérable aux critiques, les méthodes staliniennes furent étendues. En 1972, Bala Tampo, leader syndical sri-lankais et partisan du SUQI, fut accusé par Gerry Healy d’être un agent de la Central Intelligence Agency (CIA). Plus tard, Joseph Hansen, un des leaders du SWP des États-Unis, fut accusé d’être un agent du Federal Bureau of Investigation (FBI). Cette méthode abjecte fut ensuite largement utilisée en Grande-Bretagne. Dans les usines automobiles de Cowley, Gerry Healy disait que les militants du groupe rival de l’International Marxist Group (IMG) travaillaient pour la police.
En 1973, la politique du WRP avait atteint des proportions insensées. Gerry Healy prédisait l’effondrement imminent du système capitaliste. Lorsque le gouvernement d’Edward Heath a imposé la semaine de trois jours pour économiser le carburant pendant la crise pétrolière, Gerry Healy a annoncé que nous étions au bord d’un coup d’état militaire et Workers Press a titré « compte à rebours vers la dictature ». Quelques mois plus tard, nous avions un gouvernement travailliste.
Depuis Cowley, nous avons lancé une contestation politique de cette situation et, de plus en plus, de l’ensemble du cadre politique du WRP. En quelques semaines, nous avons été traqués et calomniés en tant qu’agents de police. Un camarade a été passé à tabac par Gerry Healy lui-même. En 1974, nous avons été expulsés avec deux cent militants.
Ces expulsions ont porté un coup fatal au WRP, même s’il a persisté pendant dix ans. Workers Press s’est effondré et Newsline a été créé, abandonnant tout vestige de principes politiques.
Gerry Healy s’était tourné vers les états pétroliers réactionnaires du Moyen-Orient, leur promettant une couverture médiatique sans réserve en échange d’argent. À la fin des années 1970, il soutenait non seulement Mouammar Kadhafi en Libye, mais aussi l’exécution de militants du Parti Communiste Irakien (PCI) par le régime irakien. Plus tard, il accepta de l’argent pour avoir identifié des opposants irakiens.
En 1985, le WRP fut disloqué par une lettre de l’assistante personnelle de Gerry Healy, l’accusant d’être impliqué dans des abus sexuels systématiques contre des militantes de l’organisation. Gerry Healy fut expulsé et le groupe se désintégra lorsque des détails apparurent sur des abus sexuels flagrants contre un grand nombre de militantes de l’organisation et sur une corruption financière effroyable.
Malgré les crimes de Gerry Healy et le discrédit qu’ils jetèrent sur le trotskisme et la gauche en général, quelques fanatiques du WRP, notamment Vanessa et Corin Redgrave, restèrent auprès de lui et publièrent un magazine, le Marxist, qui se distingua rapidement par son soutien inconditionnel à Mikhaïl Gorbatchev.
D’autres groupes formèrent de petits groupes, l’un publiant la Newsline et un autre se faisant appeler International Communist Party (ICP). Tous les deux poursuivirent la politique de Gerry Healy sans lui. Le groupe qui a expulsé Gerry Healy et qui publie maintenant Workers Press a formulé une critique partielle de ses idées politiques, mais il n’a pas réussi à la mener à bien ni à élaborer une ligne politique alternative pour la lutte des classes en Grande-Bretagne.
Les funérailles de Gerry Healy ont été célébrées conjointement par le Marxist Group et par le groupe qui diffusait Newsline. Il y a même eu, comme il se doit, une lutte sectaire lors des funérailles, au cours de laquelle les organisateurs ont physiquement exclu l’ICP. Gerry Healy aurait totalement approuvé.
Contrairement à Joseph Staline ou à Nicolas Ceausescu, Gerry Healy n’a jamais détenu le pouvoir d’état. Il a appris la tyrannie au sein du mouvement stalinien et il l’a exercée dans les groupuscules du mouvement trotskiste, ce qui a gravement nui au développement de la tradition marxiste révolutionnaire en Grande-Bretagne. La meilleure conclusion à tirer de sa mort est de veiller à ce qu’il n’y ait plus jamais de place pour des militants de son espèce qui pourraient à nouveau commettre de tels dégâts.
Traduction réalisée par Bernard Fischer.
J’aimeJ’aime
Gerry Healy et le trotskysme britannique
Par Sean Matgamna
Jeudi 5 Juin 2008
Durant les deux décennies de grand militantisme ouvrier, du milieu des années 1950 au milieu des années 1970 environ, l’organisation socialiste révolutionnaire la plus importante en Grande-Bretagne était la Socialist Labour League (SLL).
La responsabilité fondamentale de l’échec de la gauche incombe donc à la SLL et à son leader Gerry Healy. La SLL a dominé le monde de la politique révolutionnaire durant cette période, éclipsant même des organisations comme Militant et le Socialist Workers Party (SWP) et bloquant le développement du petit groupe Workers’ Fight, précurseur de l’Alliance for Workers Liberty (AWL).
C’était l’époque où il était probablement possible pour les marxistes de réaliser une véritable percée dans la refonte du mouvement ouvrier de masse ou, à défaut, de créer une grande organisation révolutionnaire liée organiquement à ce mouvement.
Une telle percée n’a pas eu lieu. Alimentée par la radicalisation massive de la jeunesse à la fin des années 1960, une large diffusion d’idées généralement révolutionnaires s’est produite parmi la jeunesse des classes moyennes, mais trop souvent d’idées de nature populiste, anarchiste ou maoïste, hostiles ou méprisantes envers la véritable classe ouvrière, la seule existante, et son mouvement. Une variante de cette politique d’ambivalence et de demi-mépris de la classe ouvrière réelle a pris la forme d’une glorification condescendante des héros de la classe ouvrière lorsqu’ils s’engageaient dans l’action militante et d’un abandon de leur engagement lorsqu’ils ne le faisaient pas. Une autre variante, celle du SWP, combine cette glorification avec une focalisation globale sur la construction du parti comme substitut de la classe ouvrière.
Des sectes ont été créées, mais aucune organisation révolutionnaire sérieuse ancrée dans la classe ouvrière n’a été créée. La secte la plus importante durant cette période décisive fut la SLL. Elle devint le Workers Revolutionary Party (WRP) en 1973.
Même lorsqu’il mena, dans les années 1950, un travail sérieux et constructif au sein du mouvement ouvrier, le groupe de Gerry Healy était organisationnellement autoritaire et, par conséquent, intellectuellement atrophié. De plus, il existait dans l’organisation des courants politiques très disparates, sous-développés et incohérents, les frères Banda, par exemple, étaient toujours à moitié maoïstes, équilibrés par le rôle de dictateur bonapartiste de Gerry Healy.
Le trotskisme officiel, depuis Léon Trotsky, est un amalgame instable de l’hostilité de Léon Trotsky au stalinisme et de son soutien réticent aux staliniens révolutionnaires, Mao, Castro, Hô Chi Minh et Tito, et aux états staliniens qu’ils ont établis, expressions déformées de la révolution socialiste mondiale. Partout, ce trotskisme a été intrinsèquement instable. Chaque élément de ce trotskisme contradictoire existait dans l’organisation de Gerry Healy, dans un état de conflit latent ou manifeste. L’organisation apprit à vivre avec ses incohérences en se dotant d’un dictateur organisationnel qui était aussi le tribunal idéologique de dernier recours. C’était Gerry Healy.
Le rôle de Gerry Healy était ici une condition préalable à la survie d’une organisation aux contradictions politiques aussi profondes que ce groupe trotskiste orthodoxe.
La domination de Gerry Healy sur son organisation était une domination incontestée, soutenue par une terreur à la fois idéologique et physique contre quiconque osait être en désaccord avec lui ou avec la tendance politique de la couche dirigeante de l’organisation qu’il soutenait, pour le moment. Par exemple, la SLL est devenue maoïste pour soutenir la révolution culturelle chinoise en 1967.
Dans les années 1960, la SLL s’est progressivement détachée du parti travailliste, c’est-à-dire du mouvement ouvrier britannique, et, bien qu’elle soit restée dans les syndicats, son activité y a davantage ressemblé au stalinisme de la troisième période qu’à un travail sérieux. Elle a recruté et exploité de nombreux jeunes militants.
Gerry Healy était un homme très instable, qui avait tendance à croire ce qu’il voulait, d’autant plus qu’il vieillissait dans une organisation dans laquelle chacun de ses caprices faisait loi. Au centre d’une machine où personne ne pouvait le contraindre à prendre en compte ce qu’il voulait ignorer, Gerry Healy a lentement perdu la raison et il s’est réfugié dans une vision du monde centrée sur lui-même.
Par exemple, à la fin des années 1960, la SLL distribuait des tracts qui affirmaient que les manifestations contre la guerre du Vietnam, qui rassemblaient cent mille manifestants, étaient une conspiration de la presse visant à soutenir les organisateurs de la marche contre les grands marxistes comme Gerry Healy. Pourtant, la machine de la SLL survécut, devenant une secte de plus en plus fermée et alimentée par la jeunesse et elle se développa. Ce n’est pas un hasard si, au début des années 1970, sa principale base professionnelle se trouvait parmi les acteurs et autres professionnels du théâtre.
La SLL publia un quotidien à partir de 1969 mais, de plus en plus, elle évolua dans un monde onaniste dans lequel les défilés et les spectacles théâtraux étaient plus importants pour l’organisation que tout autre chose. Au début des années 1970, le SWP, alors plus sensé, disposait d’une marge de progression substantielle. Une caractéristique déconcertante du SWP maintenant est qu’il ressemble de plus en plus à la SLL des années 1960.
Gerry Healy a toujours été enclin à une suffisance paranoïaque et à une peur paranoïaque de l’état et son trouble mental est devenu totalement incontrôlable. Une panique terrible l’a saisi lors de la grève des mineurs de 1974, qui a conduit à la démission du gouvernement conservateur. À un moment donné, les militants de l’organisation de Gerry Healy ont reçu l’ordre de cacher leurs documents, car un coup d’état militaire était imminent.
Gerry Healy a alors découvert que d’autres trotskistes qui s’opposaient à lui, comme Joseph Hansen, ancien secrétaire de Léon Trotsky, étaient en réalité des agents secrets du gouvernement américain, du gouvernement russe ou des deux. Un déluge de mensonges et de fantasmes étranges fut déversé pour les démasquer.
Une vaste campagne mondiale, les partisans de Gerry Healy disposaient de petits groupes dans de nombreux pays, fut lancée pour expliquer une grande partie de l’histoire tourmentée du trotskisme comme une histoire d’espionnage alambiquée. Le monde entier et une grande partie de l’histoire récente furent réinterprétés comme une affaire d’agents et d’agents doubles. Dans le cadre de l’explosion de sa paranoïa, Gerry Healy devint un philosophe.
Menant la vie d’un millionnaire, voire d’un pacha, alors que les militants de l’organisation se retrouvaient souvent à court de ressources et que les organisateurs à temps plein souffraient parfois de la faim, Gerry Healy se concentrait de plus en plus sur l’exposé d’un jargon pseudo-marxiste et pseudo-hégélien qui, malgré son jargon sur la dialectique, rappelait la dianétique de Ron Hubbard, autour de laquelle l’Église de Scientologie s’est construite. Ce jargon se mêlait étrangement à ses préoccupations politiques persistantes et les limites étaient souvent franchies. Il n’était pas rare que la presse du WRP dénonce un militant comme étant à la fois un agent de police et un idéaliste philosophique.
À la fin des années 1970, l’organisation était en grave déclin, financièrement surendettée et menacée d’effondrement, et Gerry Healy vendit l’organisation à la Libye, à l’Irak et à certains émirats arabes pour en faire un outil de propagande et une agence de recrutement pour espionner les dissidents arabes et les sionistes en Grande-Bretagne. L’or arabe afflua dans cette organisation réduite et isolée. Des presses furent achetées, plus modernes que celles sur lesquelles étaient alors imprimés les journaux bourgeois. Pour échapper aux syndicats londoniens de l’imprimerie, elles furent installées à Runcorn, dans le Cheshire, anticipant d’une décennie le déménagement de Rupert Murdoch de Fleet Street à Wapping.
Elles produisirent une propagande arabo-chauvine grossière louant Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi et dénonçant Israël et le sionisme. Numériquement encore en déclin sérieux et progressif, l’organisation construisit néanmoins un empire immobilier de librairies et de centres de formation dans toute la Grande-Bretagne. Pour gagner leur vie, se qualifiant toujours de trotskistes, ils justifiaient publiquement l’assassinat de militants du Parti Communiste Irakien (PCI) par Saddam Hussein en 1980 et ils fournissaient des rapports sur les arabes basés à Londres et les capitalistes juifs. Cette organisation, comme nous l’avions affirmé à l’époque, payant notre insistance par un coûteux procès en diffamation intenté au nom de l’actrice Vanessa Redgrave, ne pouvait plus être considérée comme faisant partie du mouvement ouvrier. En fait, elle était encore largement acceptée comme faisant partie du mouvement ouvrier, mais c’est une autre histoire.
L’acte final eut lieu au mois d’octobre 1985. Gerry Healy, qui avait dirigé l’organisation par la terreur personnelle, avait alors soixante-douze ans, affaibli par l’âge et un cœur fragile. Il fut soudainement dénoncé comme violeur de camarades d’une vingtaine d’années et expulsé de l’organisation. Nous ne savons pas encore exactement ce qui s’est passé mais, alors que Gerry Healy hésitait entre la retraite et la fonction de gourou, le WRP a implosé. Confronté à un déclin continu et, malgré l’or arabe, à une nouvelle crise financière, l’appareil du WRP s’est divisé. Gerry Healy lui-même se préparait probablement à une purge. Le WRP s’est effondré dans un accès d’hystérie longtemps contenue. Les sous-groupes que Gerry Healy avait maintenus sous contrôle se sont rués les uns contre les autres et contre Gerry Healy, qui avait exploité puis déçu leurs espoirs politiques.
Ceux qu’il avait opprimés pendant de nombreuses années, utilisés comme boucs émissaires et instruments corrompus et démoralisés, se sont alliés aux frères Banda, quasi-maoïstes, ses lieutenants depuis trente-cinq ans, et ils ont chassé Gerry Healy. C’était satisfaisant, mais ce n’était pas agréable à voir. Avec Vanessa Redgrave, une actrice splendide, politiquement à court de quelques pages nécessaires à un scénario complet, dans le rôle de Cordelia de son Lear, Gerry Healy a fui la colère de ses enfants politiques. Il est mort au mois de décembre 1989, fervent partisan de Mikhaïl Gorbatchev. Affirmant jusqu’au bout son droit de croire ce qu’il voulait, il s’imaginait que Mikhaïl Gorbatchev applique le programme de Léon Trotsky dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Ainsi, l’histoire de Gerry Healy aurait une fin heureuse.
A la fin, et bien avant, l’histoire de Gerry Healy était une succession d’épisodes du théâtre du grotesque, véritable univers politique et personnel de Gerry Healy. Il affirmait avoir des origines irlandaises paysannes de Galway. La première fois que je lui ai parlé, il m’a raconté que son père avait été abattu par les forces d’occupation terroristes britanniques, les Blacks and Tans, en 1920. Il a raconté cette histoire comme tirée d’un répertoire, d’une manière qui m’en a fait douter. Trop évidente, elle suggérait par inadvertance qu’il n’avait pas une connaissance approfondie des grands événements de l’Irlande et de son histoire et Gerry Healy était un menteur notoire. L’histoire est reprise par Paul Feldman. Pour ce que cela vaut, des militants du Parti Communiste Irlandais que j’ai connus à la fin des années 1950 disaient que Gerry Healy était originaire de Liverpool. Gerry Healy y était militant du Parti Communiste de Grande Bretagne jusqu’au milieu des années 1930.
Gerry Healy dirigeait d’abord, dans les années 1940, la faction du Revolutionary Communist Party (RCP) favorable à l’adhésion au parti travailliste, puis le principal groupe trotskiste britannique, à la fin des années 1940 et tout au long des années 1950. Il était un simple secrétaire de section, représentant local de la tendance trotskiste orthodoxe internationale dirigée par le trotskyste américain James Patrick Cannon et par Michel Pablo et Ernest Mandel en Europe.
La majorité des idées politiques de Gerry Healy étaient des idées politiques toutes faites. Même les articles et documents qui paraissaient sous son nom étaient parfois, peut-être surtout, écrits par d’autres, Sam Gordon, George Novack et Michel Pablo.
Lorsque j’ai rejoint la SLL, au début de l’année 1960, l’organisateur de Manchester, Ted Knight, m’a confié qu’il avait été impressionné par la publication par Gerry Healy, à la fin de l’année 1956, d’une brochure sur la révolution hongroise en une seule nuit. Le texte était probablement arrivé par la poste le matin même.
Surnommé Red Ted par la presse, leader du conseil municipal de Lambeth juste après l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, Ted Knight, guidé par Gerry Healy, allait jouer le rôle de Robin face au Batman de la fausse gauche incarné par Ken Livingstone dans le fiasco des gouvernements locaux auquel ils ont conduit le parti travailliste à Londres.
Gerry Healy a joué le rôle qu’il a joué dans le trotskisme britannique à partir du milieu des années 1940, non pas en dépit, mais grâce à son indifférence aux idées politiques. Un homme politique presque identique, Pierre Lambert, a dominé une grande partie du trotskisme français à la même période. Gerry Healy, comme Pierre Lambert, était peu soucieux des idées politiques.
Dans les années 1940 et 1950, le monde posait de gros problèmes aux trotskystes traditionnels et la majorité des leaders politiques du mouvement s’effondrèrent, démoralisés, confus ou perplexes. Gerry Healy et Pierre Lambert devinrent centraux, parce qu’ils ne se préoccupaient des idées que pour leurs conséquences organisationnelles immédiates et parce qu’ils pouvaient proposer des mesures à prendre sur la base de calculs à court terme, sans aucun scrupule politique ou intellectuel.
Gerry Healy soutint James Patrick Cannon lors de la scission de la Quatrième Internationale en 1953, lorsque James Patrick Cannon lança une guerre contre le pablisme, dénonçant les leaders de la Quatrième Internationale comme étant laxistes envers le stalinisme et lançant le trotskysme orthodoxe antistalinien. Après sa séparation d’avec James Patrick Cannon au début des années 1960, affirmant son indépendance politique, la politique de Gerry Healy fut clairement adaptée aux besoins organisationnels, au lieu que les questions organisationnelles soient réglées en fonction de la politique.
Si James Patrick Cannon, l’ancien mentor de Gerry Healy, aimait à dire, après Léon Trotsky, que le programme faisait le parti, Gerry Healy réinterpréta ce principe directeur comme signifiant qu’il fallait élaborer un programme qui maximisera la croissance du parti, « les besoins organisationnels du parti font le programme ». Le disciple le plus important de Gerry Healy fut Tony Cliff.
En apparence, Gerry Healy était extraordinaire. Petit et potelé, il avait une tête énorme, disproportionnée et haute en couleur, avec seulement quelques mèches de cheveux, comme si elles avaient été peintes au crayon à sourcils. Son visage était large et charnu, avec des traits fins, ses petits yeux constamment rouges et douloureux, rappelant, comme l’a écrit Brian Behan, un ancien associé, celui d’un jeune cochon.
Ce qu’il m’a toujours rappelé, c’est la description par Karl Marx, dans « la guerre civile en France », de l’homme politique français Adolphe Thiers, l’un de ceux qui ont réprimé la Commune de Paris, « un gnome monstrueux ».
Il dominait son organisation par une force de caractère brutale et débridée, insensible à la raison comme à la décence. Les cadres du groupe étaient les produits d’une sélection à travers une série interminable de rituels sadomasochistes sauvages, impliquant à un moment ou à un autre la mise au pilori, la traque, la dénonciation et l’auto-prostration de la majorité des militants. Gerry Healy a ainsi construit une machine essentiellement dépolitisée. C’était une illustration caricaturale du stalinisme, malgré son trotskysme verbal.
La mutation de la SLL fut une grande tragédie pour la classe ouvrière britannique. Une grande partie de l’histoire de cette organisation s’explique par la personnalité de Gerry Healy. Le fait que la plus importante organisation prétendument révolutionnaire de Grande-Bretagne ait pris cette forme mérite une explication plus large et plus approfondie, mais c’est un sujet majeur en soi.
Paul Feldman (*) a écrit une contribution à cette explication en résumant l’histoire mensongère de la SLL et du WRP au cours de ses deux dernières décennies. Corinna Lotz (*) a écrit un récit personnel des quatre dernières années de Gerry Healy, alors qu’elle était sa secrétaire et son infirmière.
Bien qu’elle soit mal informée politiquement, par exemple, elle pense que Vladimir Lénine était secrétaire du parti bolchevik, et qu’elle croyait naïvement en Gerry Healy, dont le texte est imprégné de son charabia philosophique, Corinna Lotz livre un récit touchant de Gerry Healy dans ses dernières années en tant que charlatan-gourou pour des comédiens riches et idiots, Maharishi Gerry et Ron Healy réunis en un seul, parcourant le monde vers des lieux intéressants avec le nom de Vanessa Redgrave sur sa carte de visite.
Corinna Lotz dresse le portrait fantaisiste d’un vieil homme courageux luttant pour sa vérité contre des ennemis redoutables, y compris les plus invincibles, la vieillesse et la maladie. Elle m’a fait oublier un temps, même si des souvenirs indélébiles d’adolescence me le rappellent, que cet homme avait passé vingt-cinq ans à harceler politiquement, financièrement, émotionnellement et sexuellement, et à exploiter des jeunes qui pensaient qu’il représentait l’héritage de Léon Trotski, envers lequel sa véritable relation était celle de Caïn envers Abel.
Lorsque Corinna Lotz a décrit Gerry Healy gémissant intérieurement peu avant de perdre connaissance et de mourir, j’ai ressenti ce que l’humanité et les conventions recommandent de ressentir face à de telles choses, même si Gerry Healy aurait été le premier à mépriser ce genre de faiblesse, puis mes véritables sentiments envers le vieux reptile ont refait surface, dans des spéculations involontaires sur le sens des derniers mots du gourou.
Cet appel de dernière minute était-il une prière ? Le vieux pourvoyeur de religion dialectique est-il finalement devenu un religieux authentique, ou bien l’interprétation correcte serait-elle comparable au cri désespéré du Christ sur la croix, « pourquoi m’as-tu abandonné ». Pensait-il entretenir une relation privilégiée avec le guide suprême céleste ?
Si l’on exclut ces possibilités, nous retrouvons l’esprit des derniers mots d’Edward Robinson à la fin de Little César. Dans le rôle de Rico, le petit gangster, il titube, une balle dans la poitrine, haletant de stupeur d’être, après tout, mortel. C’est la fin de Rico et la fin de Gerry Healy fut tout aussi misérable, trente ans trop tard.
* « Gerry Healy, une vie révolutionnaire », par Corinna Lotz et Paul Feldman [Lupus Books, 1994]
Source :
https://www.workersliberty.org/story/2008/06/05/gerry-healy-and-british-trotskyism
Traduction par Bernard Fischer.
J’aimeJ’aime