Présentation

A l’approche de l’investiture de Trump le 20 janvier, nous publions plusieurs contributions de John Reimann parues sur le blog OaklandSocialist.

Contribution

Un indicateur de jusqu’où Trump sera prêt à aller pour déchaîner de véritables fascistes sur la société américaine sera de savoir s’il accorde la grâce présidentielle à Stewart Rhodes, le dirigeant des Oath Keepers [les Gardiens du Serment]. Rhodes est l’un des plus violents et dangereux parmi ceux qui ont été emprisonnés à la suite de l’insurrection du 6 janvier 2021.

Et je n’utilise pas le terme « fasciste » à la légère. Avec la menace des Oath Keepers, il y a aussi la menace d’un mouvement connu sous le nom de Dominionists ou comme un article récent dans The Atlantic les a référencé comme la Nouvelle Réforme Apostolique (New Apostolic Reformation – NAR ). Ce sont l’équivalent américain d’un groupe comme l’État Islamique (EI / Daesh). Ils ne vont pas aussi loin que l’EI à ce stade parce que la société dans le monde capitaliste industrialisé est différente de celle dans l’ancien monde colonial, mais ce qu’ils ont en commun, c’est la croyance que leur religion doit dominer la société.

Dans le cas de la Nouvelle Réforme Apostolique, ou NAR, ils croient que c’est la parole de Dieu, et la parole de Dieu seule, qui doit régner sur la société, ou pour être plus exact, leur interprétation de ce qu’ils croient être la parole de Dieu. En d’autres termes, ils s’opposent ouvertement à la séparation entre l’État et la religion. Ils croient que l’homosexualité est un péché, l’avortement est un meurtre, et en dessous, tout ce qui voit la société divisée selon des lignes de classe est mu par Satan. Cela signifie que tout cela est passible de la peine de mort, bien qu’ils ne puissent pas le préconiser ouvertement à ce stade. Il ne s’agit pas seulement d’un petit mouvement marginal. Selon The Atlantic, 40 % des chrétiens se considèrent comme des dominionistes ou des partisans de la Nouvelle Réforme Apostolique. Étant donné qu’environ 66 % des Américains se disent chrétiens, cela signifie qu’environ 25 % de la population du pays est partisan du dominionisme ou de la NAR. Quand vous liez cela à des organisateurs fascistes violents, comme les Oath Keepers et les Proud Boys, c’est là que vous pourriez obtenir une véritable base pour un mouvement fasciste de masse aux États-Unis.

Considérons maintenant quelques autres statistiques : on estime qu’il y a environ 20 millions de fusils d’assaut en circulation aux États-Unis. Il s’agit probablement d’une sous-estimation puisque il y a probablement des milliers d’armes fantômes en circulation, mais en tout cas on estime qu’environ 16 millions de personnes dans le pays possèdent un fusil d’assaut, ce qui signifie que des millions en possèdent plus d’un. Pourquoi n’importe qui aux États-Unis posséderait-il plus d’un fusil d’assaut pour autre chose que mener des attaques armées contre d’autres personnes dans le pays ?

La principale chose qui les retient est le fait qu’ils ne sont pas vraiment organisés. Des groupes comme les Oath Keepers peuvent fournir un cadre organisateur à grande échelle, et des capitalistes comme Elon Musk pourraient fournir les finances. Et le dominionisme peut fournir l’idéologie pour une telle organisation. Ces fanatiques religieux ont joué un rôle essentiel et ont fait élire Trump. Ce n’est pas seulement que nous le savons, c’est que Trump le sait aussi, et il joue toujours le jeu de sa base.

Il est difficile d’imaginer que le fascisme ait un pouvoir réel aux États-Unis, parce que le capitalisme américain n’a pas besoin de fascisme. Hitler et Mussolini sont arrivés au pouvoir lorsque le capitalisme était dans une crise absolue dans ces pays, et la classe capitaliste ne pouvait plus gouverner par le biais des moyens « démocratiques » normaux. Cela est loin d’être vrai ici aux États-Unis en ce moment. Alors qu’en Allemagne et en Italie [années 1920], la classe ouvrière était en position de se battre pour le pouvoir, ici aux États-Unis, la classe ouvrière est fragmentée, presque complètement désorganisée, et dans sa plus grande crise politique de mon existence. Ce qui s’est passé, comme l’a déjà dit Oaklandsocialist, c’est qu’un énorme vide s’est ouvert.

La question suivante est : quelles forces, le cas échéant, pourraient-elles se développer pour contrer la tendance au fascisme ?

Pour répondre à cela, nous devons examiner les dernières déclarations de politique étrangère de Trump. Il semble avoir des aspirations pour que les États-Unis dominent l’ensemble de l’Atlantique Nord, du Groenland au Canada et jusqu’au canal de Panama. Il s’agit également de contrôler le golfe du Mexique, qu’il souhaite rebaptiser le golfe d’Amérique.

D’où Trump a-t-il tiré cette vision ? On pourrait penser qu’elle vient d’un projet visant à contrôler un passage maritime du nord-ouest à travers l’Arctique, alors que la glace arctique fond en raison du réchauffement climatique. Cependant, je pense que c’est donner trop de crédit à Trump pour sa capacité à élaborer des stratégies. Ce que je soupçonne, c’est qu’il veut simplement imiter son mentor, Poutine, qu’il considère comme un génie et qui tente de contrôler l’ensemble de l’Europe du Nord. Trump veut l’imiter à une échelle encore plus grande. À côté de cela, la politique de Trump consistant à abandonner les alliés les plus importants des États-Unis, à savoir les capitalistes d’Europe occidentale, comme l’exprime l’OTAN.

Il est impossible de prédire comment tout cela va se dérouler en Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, sauf pour dire qu’il est difficile d’imaginer que cela ne déstabilisera pas gravement les relations internationales, ce qui signifierait mettre en péril les « intérêts » américains, c’est-à-dire les investissements américains sur ces autres continents. Et c’est là qu’entre en jeu le rôle de l’armée américaine.

Mark Esper, le précédent secrétaire à la Défense de Trump. Il fut l’un des « adultes dans la pièce » lors du premier mandat de Trump. Cette fois-ci, il n’y aura plus « d’adultes dans la pièce ».

Je suis en train de lire les mémoires de Mark Esper, qui fut le dernier secrétaire à la Défense de Trump lors de sa première administration. Esper était l’un des « adultes présents », c’est-à-dire l’un des plus sains d’esprit qui veillaient aux intérêts stratégiques de la classe capitaliste américaine lorsque Trump était au pouvoir la première fois. Ses mémoires mettent en évidence les liens étroits entre l’establishment militaire américain, les sommets du monde universitaire et les sommets de la classe capitaliste américaine. Esper lui-même, par exemple, est passé d’une carrière militaire à un travail pour des entreprises privées liées à la défense, puis de là à l’armée, pour devenir secrétaire à la Défense. D’autres qui ont travaillé sous Esper ont suivi le même chemin, y compris en passant par le monde universitaire. Esper montre également à quel point l’armée américaine est absolument centrale dans la politique étrangère américaine, ou en d’autres termes dans la promotion et la défense des intérêts des entreprises américaines dans le monde entier.

Dans ses mémoires, Esper souligne l’importance pour le commandement militaire de se conformer au contrôle civil, de respecter « l’état de droit » et la Constitution américaine. Il semble que cela soit dû en grande partie au fait que chaque commandant militaire ne pense qu’à son propre territoire. Cela interfère avec le développement et la coordination d’une stratégie militaire globale, c’est-à-dire d’une politique étrangère. C’est le commandement civil qui est capable de développer cette stratégie globale. Ou pour être plus exact, c’est un commandement civil sous le règne de la démocratie capitaliste qui est capable de le faire.

Je crois que ses opinions représentent celles de l’immense majorité de la structure de commandement de l’armée américaine. Cependant, il y a toujours eu une autre aile, une aile minoritaire, de l’armée américaine qui, dans le passé, était mieux représentée par des gens comme Michael Flynn, et qui est aujourd’hui mieux représentée par Pete Hegseth, qui semble maintenant presque certain d’obtenir la confirmation de sa nomination au poste de secrétaire à la Défense. Hegseth est un véritable nazi et aussi un flagorneur absolu de Trump. Il suivra très certainement ou encouragera toutes les tendances fascistes de la horde MAGA de Trump. Mais qu’en est-il de la majorité de la structure de commandement en dessous de lui ? Bien sûr, Hegseth peut, et va probablement se débarrasser de tous les généraux éminents qui s’opposent à lui, mais il est difficile de voir comment il peut purger toute la structure de commandement militaire. Il est vrai que toute cette structure de commandement a été inculquée dans son ensemble, à la nécessité absolue d’obéir aux ordres. Mais cela fait référence aux ordres qui proviennent du sommet par le biais du contrôle civil lorsque ce contrôle civil représente l’intérêt de la classe capitaliste américaine ou du moins des ailes principales de la classe capitaliste telles qu’elles comprennent leur intérêt.

Dans ses mémoires, Esper parle de l’importance d’une politique militaire, c’est-à-dire d’une politique étrangère qui « coordonne un plan pour renforcer les alliés et nouer des partenariats ». Tout comme la politique intérieure de Trump sèmera le chaos, sa politique étrangère le fera aussi. Cela inclut toutes ces alliances stratégiques que le gouvernement américain a construites et sur lesquelles il s’est appuyé depuis la Seconde Guerre mondiale. Que se passera-t-il si Trump lance vraiment une attaque militaire contre le contrôle du Panama sur le canal de Panama ? Le Panama et peut-être d’autres pays d’Amérique latine ne se tourneront-ils pas encore plus vers le capitalisme chinois ? Pensez ensuite à l’OTAN : l’ensemble de la structure de commandement militaire américaine en Europe du Nord doit être reliée par 1000 fils différents à ses homologues européens. Que se passera-t-il si Trump se retire sérieusement de l’OTAN ou même complètement et encourage réellement Poutine à lancer une attaque encore plus agressive contre l’Europe du Nord ? Ce ne sont là que quelques exemples de la manière dont la politique étrangère de Trump pourrait gravement nuire aux intérêts du capitalisme américain dans le monde entier.

Alors, comment la majorité de la structure de commandement militaire américaine, qui est intimement liée aux sommets de la classe capitaliste américaine, va-t-elle réagir à ce chaos créé par Trump, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays ? Cette structure de commandement a été fondée sur l’adhésion absolue au contrôle civil, qui serait dans ce cas le contrôle de Trump. Ils s’engagent également à exécuter les ordres de ceux qui sont au-dessus d’eux. C’est ce à quoi ils adhèrent à presque 100 %. Mais ce serait une situation entièrement nouvelle et différente, totalement sans précédent dans toute l’histoire des États-Unis. Ce qui était vrai dans le passé pourrait ne plus l’être à l’avenir.

Il est difficile d’imaginer comment un véritable coup d’État militaire, avec des chars déferlant sur Constitution Avenue et des soldats renversant le président, pourrait se produire. Mais d’une manière ou d’une autre, et il est impossible de prédire exactement comment, les prémices de cette structure de commandement commençant à jouer un rôle indépendant de la branche exécutive du gouvernement pourraient commencer à se développer, me semble-t-il.

Il y a aussi une autre question : Trump montre déjà des signes de grave déclin mental. Que se passerait-il s’il était victime d’un accident vasculaire cérébral ou même si ce déclin mental devenait si important qu’il ne pourrait plus exercer aucune des fonctions d’un président, y compris simplement prendre des décisions ? Qui sait ? Tout cela et bien plus encore constitue un saut dans l’inconnu.

16/01/2025.

Source : https://oaklandsocialist.com/2025/01/16/the-trump-administration-a-leap-into-the-great-unknown/

Traduction par nos soins.