L’aide à l’enseignement privé confessionnel est une institution de la Vème République, par Robert Duguet

Réponse aux fondateurs du Réseau pour une École Émancipatrice et Laïque (R.E.E.L.)

Introduction

En juin j’ai reçu le texte intitulé : « Réseau pour une École Émancipatrice et Laïque (R.E.E.L.) », réseau intersyndical de militant syndicalistes laïques. Je n’y ai pas répondu alors, puisque la dissolution de la chambre par le président Macron et la situation qui s’en suit a largement mobilisé les militants. Néanmoins aujourd’hui je pense qu’il est important de faire connaître cette initiative, même si on peut avoir quelques divergences de point de vue que j’expose ci-dessous.

L’après Vème République va forcément reposer la question du financement de l’enseignement privé confessionnel. Il faudra être là pour rompre le Concordat de 1959 et prendre notre revanche sur la honteuse capitulation de 1984.

Amitiés laïques.

RD, 08-09-2024

Discussion de l’initiative du REEL

Il y a beaucoup d’éléments intéressants dans votre texte, toutefois quand on parle de laïcité on en revient toujours au pont central du financement sur fonds publics de l’enseignement privé confessionnel à 90%. Rappeler des principes et poser la question comment faire pour relancer le combat laïque ?

La question de « la liberté de l’enseignement »

Vous écrivez :

« L’abrogation de la loi Debré (1959) qui autorise l’octroi de subventions publiques à l’école privée. Comment l’État peut-il affirmer sa laïcité en énonçant, d’une part, que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (Loi de 1905, article 2), quand il finance les écoles confessionnelles sur le budget de l’Éducation Nationale ?

Nous revendiquons la nationalisation de l’enseignement privé dans un service public unifié de l’éducation nationale, et la fonctionnarisation de ses personnels. »

Puis aussi :

« Par la Loi de 1905, la laïcité à l’école publique s’est peu à peu imposée, malheureusement sans remettre en cause l’existence d’écoles privées (loi Falloux, 1850). »

L’adverbe malheureusement signifie qu’il fallait, du temps de nos pères laïques et républicains sociaux, puis du mouvement ouvrier condamner l’existence d’écoles privées. Il n’a jamais été question pour le syndicalisme unitaire, qui a fondé le mouvement laïque, de remettre en question l’existence de l’école confessionnelle. Le faire reviendrait à porter atteinte à la liberté de culte, forme particulière de la liberté absolue de conscience (Article 1 de la loi de séparation).

Rappelons un point d’histoire : cette question de la liberté de l’enseignement a été tranchée à l’issue d’un long débat de plusieurs mois sur le projet de loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. A l’encontre de Maurice Allard, député du Var, qui considère qu’on ne doit pas s’arrêter au milieu du gué et susciter un nouveau schisme dans l’Église, Jean Jaurès défend, contre une partie de sa propre base politique, non la lutte contre l’Église mais le principe de séparation. L’Église chez elle et l’État chez lui, disait Victor Hugo. Il met en garde contre la terrible erreur de la constitution civile du clergé de 1790, superbement analysée dans son Histoire socialiste de la Révolution Française, qui n’a abouti qu’à dresser une partie de la paysannerie dans la guerre civile contre la République. Il rappelle Condorcet, véritable père fondateur des principes de l’instruction publique qui, en même temps s’était battu pour la liberté des cultes minoritaires. Le principe de liberté absolue de conscience garantit que la République protège la liberté de culte mais est complétée par l’article 2 de la loi : « la République ne salarie et ne subventionne aucun culte ». Appliqué au domaine scolaire cela veut dire : rien ne doit interdire aux tenants d’un culte de constituer une école, ce que les laïques fondateurs rejetaient catégoriquement c’est son financement public. En ce sens le mot d’ordre fondateur du CNAL (Comité National d’Action Laïque) « fonds publics à l’école publique ! fonds privés à l’école privée » de 1960 reste d’actualité.

D’où partons-nous aujourd’hui ? Le mouvement laïque, constitué dans le rayonnement de l’ancienne FEN, a essuyé en 1984 une défaite historique qui précéda sa liquidation par le courant « socialisant » (UID Unité Indépendance et Démocratie) aux ordres de Mitterrand. Ce n’est pas la majorité de l’actuelle FSU, qui au demeurant a sauvé, c’est à son honneur, la continuité du syndicalisme unitaire et démocratique, qui est en position de reprendre le combat laïque. L’histoire pèse encore fortement sur ce qui procède du courant Unité et Action, en son temps dirigé par le PCF.

Ceux qui veulent reprendre le combat laïque sont aujourd’hui face à un champ de ruines. On a même aujourd’hui des élus qui octroient à l’enseignement privé des subventions qui vont même au-delà de ce que la législation anti-laïque prévoit. Le catholique social François Bayrou tenta le coup de dépasser le cadre de la loi Falloux, pourtant loi anti-laïque, et d’octroyer des aides supplémentaires à la construction d’établissement confessionnel (loi Bourg-Broc). Il se ramasse un million de manifestants dans la rue en janvier 1994. Malgré l’absence de représentation politique de la laïcité, le mouvement d’en bas répond ! Les rapports sociaux nés de la Révolution de 1789 existent encore dans la conscience de notre peuple…

La loi Savary procédait des accords imposés par le gouvernement Mauroy-Mitterrand avec la hiérarchie catholique après 1981. Il s’agissait de trouver un compromis historique avec l’Église, se situant dans la continuité de la loi Debré, qui prit la forme d’une prétendue « unification laïque » avec l’école confessionnelle, la fonctionnarisation de ses maîtres et la reconnaissance du caractère confessionnel de l’école dans le projet de chaque établissement.

Cette politique mit le feu aux poudres et jeta les « deux France » l’une contre l’autre. Les laïques ne pouvaient accepter et la hiérarchie catholique non plus, car la fonctionnarisation de ses maîtres abandonnait à l’État la gestion de ses maîtres. Le résultat fut une défaite historique des laïques, du syndicalisme enseignant et de ses œuvres, la disparition du CNAL, la validation et l’extension des lois anti-laïques par les gouvernements qui suivirent. Alors que la position qu’avait pris la FEN, et surtout le SNI historique, venait de son opposition aux institutions de la Vème République. Sous Mitterrand 1er et 2, tout le monde s’est couché…

Le financement de l’école privée confessionnelle est une institution de la Vème République.

C’est sous la Vème République que la remise en cause de la laïcité de l’école et de l’État que nous voyons de nouveau les religions revenir dans l’espace public. Quand vous citez le mot de De Gaulle du 8 octobre 1949 : « L’église n’a jamais renoncé et ne renoncera jamais à son droit d’enseignement. Nous tenons à cette liberté comme à la prunelle de nos yeux », il est face à une République qui est toujours laïque, dans laquelle l’État est indifférent aux options religieuses ou philosophiques de ses concitoyens.

Certes, il y a eu sous la IVème République une attaque sur les marges, elle résultait en fait de la place du courant social-chrétien dans la Résistance au nazisme et dans les débuts de la IVème République. Germaine Poinso-Chapuis, résistante, puis députée aux constituantes, première ministre femme de l’histoire de la République, nommée à la santé, elle fait attribuer par son décret du 22 mai1948 des bourses d’études aux enfants de mineurs du Nord et du Pas de Calais scolarisés dans des écoles catholiques. Soulignons d’ailleurs au passage que dans le train de mesures sociales adopté par le CNR dans la clandestinité, la laïcité n’en fait pas partie. L’heure est à réconcilier ceux qui ont la rose au poing avec le réséda, symbole de la droite catholique. La référence au poème ô combien symbolique de Louis Aragon « Celui qui croyait au ciel, et celui qui n’y croyait pas » illustre l’accord historique derrière Charles De Gaulle.

L’attaque frontale contre la laïcité vient avec la Vème République : une affaire qui vient de loin. Dès son discours célèbre de Bayeux (1946), De Gaulle affirme son projet bonapartiste contre « le régime des partis » face à une République en voie de recomposition. Il n’accepte pas la Constituante. Dans le domaine qui concerne la laïcité il s’agit de réconcilier le trône et l’autel, fondement d’un pouvoir « monarchique », selon sa propre formule qu’il se flatte d’avoir rétabli en 1958. Général issu du nationalisme intégral de Charles Maurras, il introduit une brèche contre les principes de la Révolution Française. En quelque sorte un retour au Concordat. L’actuel président Macron a rappelé à plusieurs reprises la nécessité de réparer le « lien abîmé » entre l’État et l’Église par la loi de 1905.

Des pistes de réflexion :

Les outils que nous avions à notre disposition pour défendre la laïcité globalement n’existent plus. Il faut rappeler la trahison historique de la loi Savary : ce point mérite un développement. Nos lignes de défense ont été enfoncées. Les gouvernements impliquant le PS et le PCF se sont adaptés au cadre posé par De Gaulle en 1959, un régime concordataire finançant l’enseignement confessionnel au nom d’une « liberté de l’enseignement » financée.

La première ligne de défense, c’était le syndicalisme unitaire. Au début de la guerre froide la CGT éclate, les enseignants maintiennent en 1947 une Fédération indépendante dans la perspective de la recomposition du syndicalisme confédéré. La FEN permit durant plusieurs décennies de défendre les conquêtes laïques ainsi que la défense des libertés démocratiques à l’Est comme à l’Ouest. La question est posée aujourd’hui d’un syndicalisme de combat, unitaire, laïque, intégrant la démocratie et le droit de tendances, et ce en lien avec le syndicalisme confédéré.

Il faut en finir avec l’idée laïque d’exception française, qui sert de point d’appui aux courants souverainistes ou d’extrême droite qui chantent le cocorico trois couleurs. Elle est saluée par Jules Ferry, du moins après la Commune, dans sa dimension européenne. C’est John Locke dans sa « Lettre pour la tolérance » (1674) qui théorise pour la première fois la question des deux sphères, privée et publique. Donc le régime politique fondé sur la nécessité de la séparation de l’Église et de l’État. Locke défend, contre toutes les églises, que nous ne naissons pas membre d’une église. Nous sommes à l’heure du retour du religieux dans la sphère publique, que les idéologies de type néo-fasciste, dont l’islamisme défendent.

Voilà quelques éléments de réflexion que m’inspirent votre texte. Le point d’achoppement pour moi, c’est la question de la remise en cause de l’existence de l’école confessionnelle. Toutefois cela ne remet pas en question la nécessité de constituer un réseau de combat pour la laïcité.

RD