J’arrive à la conclusion de cette saga estivale, écrite juste avant la nouvelle étape de la crise politique française puisque c’est en ce moment même que Macron reçoit la délégation du NFP.

Les analyses, soumises à discussion, données dans cette série d’articles, ont pour sens de nourrir la discussion la plus importante, celle sur ce que doit être une organisation démocratique apte à permettre aux exploités et opprimés de s’organiser politiquement.

Telle est l’optique unique de la réflexion menée ici. C’est à l’aune de l’avenir qu’elle est menée. Ce qui, faut-il le préciser, réponds à deux objections possibles : celle du « règlement de compte » et celle de la nécessité de faire une croix, voire mettre une dalle, sur le passé proche. L’auteur de ces lignes n’est pas un purgé de LFI dont il n’a jamais fait partie, mais il a eu, comme tout militant impliqué dans la lutte sociale, affaire à ce mouvement, et ne manque pas d’amis et de camarades qui s’y sont impliqués, et quelques ennemis aussi il faut bien le dire.

LFI est au centre de la situation : sa diabolisation est le principal mauvais prétexte à la tentative d’interdire un gouvernement NFP. Et cette diabolisation convient très bien à ses dirigeants. J’espère que mon épisode 4 en particulier, aide à comprendre pourquoi : LFI est en réalité une force stabilisatrice de la V° République. Point décisif, car le combat pour l’avenir, c’est le combat pour le pouvoir et la démocratie. C’est de ce point de vue, pas seulement pour faire le point « après », mais pour demain, et le proche demain, que cette analyse est nécessaire.

Les amateurs de critiques de LFI, s’ils m’ont lu, auront peut-être remarqué que je ne suis pas allé sur le terrain de l’attaque envers son supposé « communautarisme ». Je ne pense pas que LFI soit la représentation politique ni non plus l’expression clientélaire des musulmans de France, ce qui est une vision souvent teintée de racisme.

Je constate que LFI est aujourd’hui en position de force électorale dans deux types de territoires : certains centres-villes et des quartiers et banlieues dont le 93 est le type le plus important, une implantation qui reproduit un peu celle du PCF autrefois mais en intégrant les changements sociologiques, culturels et religieux. Mais l’on constate aussi que LFI y est confinée, et que son discours actuel stigmatisant la « France des bourgs » (et allant jusqu’à traiter Ruffin de raciste pro-RN dans les emportements de certains militants !), ne lui permettra pas d’en sortir. Près de chez moi, le passage (entraînant tout le NFP) en 3° position sur la circonscription de Montluçon, et la perte de la Creuse au profit du RN, sont des faits emblématiques.

L’élargissement de l’électorat mélenchonien à la présidentielle de 2022, non anticipé par LFI quelques mois avant, est venu d’un mouvement spontané de l’électorat de gauche traditionnel, qui a de moins en moins de chances de se saisir à nouveau de ce vote étant donné les évolutions actuelles avec le NFP. Du propre point de vue électoral et présidentialiste, Mélenchon est en train de devenir un candidat de moins en moins bon (il l’aurait été en 2017 !) et de plus en plus mauvais, pour barrer la route à Marine Le Pen dans le scenario qui est pourtant le sien.

Le discours de Mélenchon tenu le soir de la dissolution, juste avant mais avant, que le NFP ne s’impose comme le cadre obligé de l’existence de LFI, donne la ligne fondamentale, réaffirmant la méthode populiste de « construction du peuple » mais en redéfinissant celui-ci comme par essence « urbain » et, théoriquement, multiculturel (ignorant d’ailleurs, soit dit en passant, la multiculturalité de ladite « ruralité » supposée monochrome !).

Ce discours est instructif car il montre quels sont les invariants par rapport auxquels d’autres données peuvent varier, dans l’idéologie constitutive du mouvement, susceptible de se mouvoir entre des symboles, affects et postures « gauchistes » aussi bien que « souverainistes ». Tout ce qui relève de la démocratie est ici purement instrumental, pas fondamental.

Ainsi de la laïcité. L’évolution, non argumentée de manière théorique comme Mélenchon sait pourtant le faire (si ce n’est quelques dissertations sur la « créolisation » dont on peut se dispenser, franchement, de faire l’exégèse), allant d’une affirmation laïque identitaire et rattachée à l’idée nationale française, d’une façon proche du Printemps républicain par exemple, à une laïcité plurielle se voulant tolérante et à l’affirmation selon laquelle cette même nation française serait par essence islamophobe (Ersilia Soudais), est évidemment une modification. Mais ni au départ, ni à l’arrivée (provisoire ?), nous n’avons dans la verticale populiste de position de principe sur la laïcité, parce qu’il n’y en a pas sur ce dont la laïcité est un élément : la démocratie.

Qu’une République démocratique, sociale, écologique, doive respecter toutes les consciences et, partant, les protéger de tous les cléricalismes, et par là être laïque, peut à la rigueur être affirmé verbalement, mais n’est pas une position réellement intégrée dans le corpus populiste, qui n’en a cure car il ne procède pas de la démocratie en ce que celle-ci part du démos, donc d’en bas. C’est aussi pourquoi des militants laïques conséquents peuvent avoir été charmés par tels discours de Mélenchon, qui sait en faire, d’il y a quelques années, mais déçus de l’absence de principes en la matière.

La question de la laïcité (sur la question de l’antisémitisme, voir ici) est donc un sous-ensemble de celle, primale, de la démocratie. Ma « saga », passée l’introduction, a comporté 4 épisodes : populisme, campisme, V° République, « lambertisme ». Chacun négatif car critique. Mais on peut, en creux, en tirer des éléments positifs indispensables à la réalisation d’une organisation démocratique. C’est cela l’important. Reprenons-les.

Si le populisme est une rupture à la fois avec le mouvement ouvrier et avec la démocratie, retenons que mouvement ouvrier, ou, pour employer une expression n’évoquant pas nécessairement « l’ouvrier » traditionnel, contenu de classe, et démocratie, sont liés et que l’un se perd chaque fois que l’autre est perdu. La lutte sociale, la lutte de classe, c’est la lutte pour la démocratie et c’est elle qui reprend les combats démocratiques que la « bourgeoisie » a lâchés par intérêt et par crainte – depuis plus d’un siècle à présent. Si vous voulez faire un mouvement démocratique, ancrez-le, non dans le passé, mais dans le combat de classe, la classe des exploités qui doivent vendre leur force de travail pour vivre. Si vous voulez faire un mouvement de classe, ancrez-le dans la pratique et dans l’aspiration démocratique.

C’était là le sens d’une dénomination, abandonnée par un certain Lénine en 1917 seulement : « sociale-démocratie ». «  … ce n’est pas le sort du mouvement socialiste qui est lié à la démocratie bourgeoise, mais inversement celui de la démocratie qui est liée au mouvement socialiste » (Rosa Luxemburg, 1900 ; on remarquera comment la démocratie devient démocratie tout court, pas « bourgeoise », dans la seconde partie de la phrase). « Sans la République le socialisme est impuissant ; sans le socialisme, la République est vide. » (Jean Jaurès, 1906 ; la République étant la forme instituée avec garantie des droits, de la démocratie).

Premier point, donc : un mouvement démocratique est un mouvement de classe, et réciproquement.

Second point : l’habitude, certes bien plus ancienne que LFI, de laisser les questions internationales, militaires, diplomatiques, aux dirigeants, est par elle-même un obstacle à la construction d’un mouvement démocratique. Cet obstacle est un obstacle absolu à l’époque actuelle, l’époque de la multipolarité impérialiste. Il ne s’agit pas d’exiger de chaque militant qu’il se fasse expert en géopolitique (d’autant que la géopolitique, qui fétichise les États, leur puissance et leurs frontières, repose sur un biais idéologique qui empêche de saisir l’unité mondiale des relations sociales d’aujourd’hui), mais d’attendre de toutes et de tous qu’ils ne craignent pas d’aborder, questionner ces sujets, et ne ferment pas leur écoute lorsqu’ils le sont par d’autres que les dirigeants ou les spécialistes officiellement désignés. Internationalisme et démocratie, eux aussi, vont ensemble : on ne peut avoir que l’un avec l’autre.

Troisième point : une organisation qui veut fédérer les exploités et les opprimés, les prolétaires, en faire le peuple citoyen exerçant le pouvoir de la démocratie, ne peut pas être présidentialiste et ne peut pas faire croire et se faire croire que l’émancipation doit passer par l’élection d’un président, sous la V° République.

Précisons que cette hypothèse théorique n’est pas totalement exclue mais qu’alors, la présidentielle n’est qu’un détonateur et pas le levier : en 2017, Mélenchon aurait pu être élu sur une ligne d’unité de la gauche ou de front unique ouvrier, et former un gouvernement engageant un vrai bras de fer avec le capital que la poussée d’en bas aurait résolue par l’élection d’une assemblée constituante souveraine et non octroyée. C’est le rôle qu’il n’a pas voulu jouer en optant pour le bonapartisme quand son élection lui est apparue possible.

Dès lors, les mots de tribune tels que « ne scandez pas mon nom », outre qu’ils sont devenus moins nombreux, ont perdu leur sens et sont devenus des rituels voulant dire « je suis le programme incarné, pas un simple mortel, ne me vénérez pas comme simple mortel ». Les militants, très nombreux, que l’aspiration démocratique à en finir avec le présidentialisme ont mené à LFI, vivent depuis lors cette contradiction, une contradiction qui rend agressif quand on veut la nier.

L’hypothèse théorique d’une euthanasie de la V° République par l’élection d’une ou d’un président non-Bonaparte requiert des conditions difficiles à réaliser, et serait sans doute plus réalisable avec une femme, non encartée mais liée par l’unité réalisée, ancrée dans les luttes territoriales pour les services publics … mais je m’égare, quoique !

Surtout, le ligotage de l’aspiration démocratique et du thème de la « VI° République » à l’élection présidentielle a eu pour fonction d’exclure tout processus révolutionnaire et constituant réel, reposant sur un affrontement social, alors que c’est cela qui n’a cessé d’affleurer et de revenir en France depuis 2016 !

Donc, un mouvement démocratique ne doit pas être présidentiel, mais organisé autant que possible sur tout le territoire, et viser à un changement de régime reposant avant tout (même dans l’hypothèse théorique d’une élection présidentielle portant le dernier coup à la V° République, alors qu’elle sert à la sauver tous les 5 ans) sur le mouvement social d’en bas, à prendre tel qu’il est : grèves, syndicats, mobilisations de la jeunesse, collectifs pour les postes à l’école ou pour les hôpitaux et maternités, Gilets jaunes et autres irruptions « inattendues », ZAD, etc. …

Quatrième point, l’analyse du rôle donné au POI, dont j’espère avoir montré qu’en matière d’organisation, il n’a rien de fondamental, son importance concernant l’arrimage campiste à l’héritage stalinien, nous pose en creux la question de l’identité d’un mouvement démocratique : un parti ?

Mais bien sûr ! Se reconnaître comme adhérents, débattre des statuts révisables collectivement, élire ou révoquer des représentants, et organiser les discussions de façon à garantir la libre expression de toutes et de tous, hé bien, personne n’a inventé mieux, cela reste la moins mauvaise des formules – qui ne vaut qu’articulée aux trois précédentes, et renforcée par celle qui va suivre un peu plus loin.

Le rejet de la forme-parti s’explique par le rôle joué par les partis traditionnels contrôlés par des bureaucraties. Mais les bureaucraties ont soit nié les courants (cas traditionnel du PCF), soit fait d’eux des écuries présidentielles (cas du PS sous la V° République). Moyennant quoi, le mouvement ayant prétendu régler le problème en dépassant tout cela a été, d’emblée, une grande écurie présidentielle : ruse de l’histoire et ironie !

Il n’y a pas d’autre recette contre la bureaucratisation que le fait de jouer le rôle d’une force éveillant l’auto-organisation au lieu de l’éteindre, en liant contenu de classe et démocratie, internationalisme et démocratie, et rejet de tout présidentialisme. Dans ce cadre l’existence de courants n’est pas un mal nécessaire, mais un bien inévitable, car il est naturel que des ailes gauchisantes, droitières, centrales, cherchent à se dégager dans la confrontation du débat démocratique organisé et argumenté. C’est dans cette confrontation qu’un parti démocratique et par là révolutionnaire peut jouer son rôle.

Ne nous emballons pas, il n’est pas possible de proclamer la chose, qui ne sera proclamable que si son existence est avérée, ici et maintenant. Mais tout mouvement fédérateur se posant la question d’une organisation démocratique à gauche doit discuter de ces questions.

Il reste un cinquième point, comme condition et résultat en même temps, de relations démocratiques de débats entre militants, qui, dans mon billet sur le « lambertisme », est suggéré en creux par l’importance de la complicité masculiniste et dominatrice latente et qui a émergé entre l’imperium de LFI et le POI lors de l’épisode Quatennens. Il s’agit bien entendu du féminisme, qui n’est pas un supplément d’âme mais un liant essentiel de la démocratie, aussi bien pour les hommes que pour les femmes.

Cela n’est pas étranger au fait que la démocratie ne vit que dans et par des relations interpersonnelles de respect et d’empathie (le rejet du « bruit et de la fureur », des criailleries et des rodomontades, n’est pas contre-révolutionnaire : il est sérieusement révolutionnaire !). La conception féministe et prolétarienne de la démocratie ainsi dessinée est différente de la conception agonistique de joutes oratoires dans une élite parlementaire, parfois prêtée à sa première forme institutionnelle, mais très limitée (pas de femmes, pas d’esclaves, pas d’étrangers !), à Athènes au V° siècle av. J.C. Car, effectivement, en réfléchissant à la démocratie dont nous avons besoin, nous redéfinissons celle-ci sur la base de son contenu social sans lequel elle n’existe pas.

J’espère que cette conclusion, faite de pistes, aura montré que l’analyse de ce qu’est LFI ne conduit pas au surplace mais, en poussant à se tourner vers ce dont nous avons besoin, qu’elle aide au décollage !

VP, le 23/08/2024.

Sommaire de la série d’articles :

  • 1ère partie – Eh oui, il faut revenir sur ce qu’est LFI !
  • 2ème partie – Revenir sur ce qu’est LFI : du populisme
  • 3ème partie – Revenir sur ce qu’est LFI : du campisme
  • 4ème partie – Revenir sur ce qu’est LFI : comment préserver la V° au nom de la VI°
  • 5ème partieRevenir sur ce qu’est LFI : à propos du « lambertisme » et de LFI

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