Présentation
Nous reproduisons ce petit billet d’humeur qui illustre comment chez certains le sens de la continuité historique, celle de l’empire russe des Tsars à Staline, est entretenue à la fois contre les peuples dominés et contre le spectre de la révolution incarné par Trotsky.
Billet d’humeur de Patrick S
« Chaque civilisation a les ordures qu’elle mérite » (Georges Dumamel)
Selon la note du Centre national de la résistance ukrainienne datée du 24 août, l’armée russe tente « en vain» de recruter des Ukrainiens dans une unité baptisée «Bataillon des volontaires de Soudoplatov» et stationnée dans la région de Zaporijjiia. Outre que, comme nous le savons, le droit international interdit de recruter des soldats parmi la population d’un territoire occupé, il faut s’intéresser ici au nom de baptême de ce bataillon plus ou moins virtuel.
Qui est donc ce Soudoplatov ?
Le personnage, né en 1907 à Melitopol d’un père ukrainien et d’une mère russe, fut un membre important de la police politique de Staline. S’il est connu pour avoir supervisé les attentats contre Trotsky, il fut aussi l’un des organisateurs de l’élimination des nationalistes ukrainiens, en particulier à l’époque de l’Holodomor.
En 1927, il s’est vu ainsi confier la responsabilité de la division politique du Guépéou à Kharkiv, alors capitale de l’Ukraine.
Dans ses Mémoires, parus après la chute de l’URSS, il se plaignait que les services qu’il avait rendus à l’empire ne soient pas reconnus :
« L’État soviétique, à qui j’étais attaché par toutes les fibres de mon être, pour qui j’étais prêt à mourir, à cause de qui j’ai fermé les yeux devant toutes sortes de brutalités, persuadé qu’elles étaient justifiées par la transformation d’un pays arriéré en superpuissance […], cet État soviétique a refusé de reconnaître ses erreurs en me rendant mon statut de citoyen. Pour retrouver la place dans la société et que soit redonné à mon nom l’honneur qui lui est dû, il m’a fallu attendre la disparition de l’Union soviétique, l’effondrement de ce fier empire. En dépit de ma réhabilitation, mes médailles ne m’ont toujours pas été rendues.» (Pavel et Anatoli Soudoplatov, Missions spéciales : Mémoires du maître-espion soviétique, Le Seuil, 1994).
Homme des basses œuvres de Staline et de son quartier maître Béria, il avait en effet suivi celui-ci dans la disgrâce après la mort du Petit Père des peuples en 1953.
Ce n’est donc que justice que l’empire russe d’aujourd’hui honore l’homme de l’empire d’hier en donnant son nom à un bataillon de collabos.
Patrick S., le 24/08/2024
Quand cesserez vous enfin de présenter Trotsky comme un héro, victime du stalinisme ? (Comme c’est le cas ici dans votre présentation, et souvent de façon générale.)
C’est un cas d’école de campisme historique : pour la situation contemporaine vous êtes honnêtes sur les fausses excuses du type « oui mais c’est à cause des Américains », mais pour le passé vous restez dans la même logique « oui mais il y avait le contexte, la guerre civile, les blancs, et la guerre mondiale, les autres puissances européennes prêtes à écraser les révolutionnaires… ». Patati patata pathétique : ça ne marche pas plus pour Trotsky que pour Maduro.
Quand vous serez capable de produire une analyse des crimes contre l’humanité dont Trotsky s’est rendu coupable, et conneries théoriques qu’il a pondues pour les justifier, vous aurez grandi, et notre histoire collective aussi, le mouvement de l’émancipation s’en trouvera renforcé. En attendant, cet grossier campisme qui consiste tout mettre sur le dos du contexte particulier de la sacro-sainte révolution (de merde), ou de Staline, sans jamais procéder au scalp légitime de Lénine et Trostky vous interdit de parler de Makhno.
Clouez d’abord les monstres sur votre porte d’entrée, et après nous pourrons parler de Poutine, Mélenchon ou Makhno. Il faut exorciser l’histoire (pour ensuite éventuellement discuter des apports, en tous cas des questions intéressantes que leur folie ont ouvertes). Tant que cette maturité politique ne sera pas atteinte, vous vous exposez aux mêmes attaques vitriolées qu’un Monde Diplomatique, comme l’histoire en jugera :
« En 2024 encore, un petit groupe politique révolutionnaire, APLUSOC, qui était parvenu à des métamorphoses lui permettant d’être singulièrement lucide sur les enjeux de son temps, en comparaison avec ses voisins de lutte (dont le logiciel inchangé bloquait à chaque événement : Covid, Ukraine, Gaza…), présentait encore régulièrement Trotsky, voire Lénine, sous des termes plutôt laudatifs, alors que l’histoire de la barbarie soviétique était déjà bien dépliée et refroidie depuis la chute de l’URSS. Un tel paradoxe nous permet de comprendre que l’enjeu n’était pas théorique ou conceptuel mais bien affectif… » Histoire psychanalytique des gauchismes de 2022 à 2042, La Découvreuse, 2084.
Dans l’attente donc,
R.
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C’est une méprise que de prendre pour du « campisme historique » et pour une sorte de déification de Trotsky le fait que Patrick Silberstein, qui n’a pas du se faire soupçonner de campisme depuis très, très longtemps, souligne la continuité allant de Soudoplatov à Poutine, et que dans notre présentation nous notions que les représentants de cette continuité là voient en Trotsky le « spectre de la révolution ». Il paraît en outre difficile de ne pas considérer Trotsky comme ayant été une victime du stalinisme. Cet article est d’ailleurs à rapprocher de celui sur la destruction du musée Makhno par les bombes russes …
Sur le fond : plusieurs d’entre nous ont déjà écrit bien des choses « réviseuses » sur 1917. Notre logiciel ne peut pas ne pas changer, mais nous n’avons jamais procédé en jetant tout par dessus bord (ce que font les sectaires qui virent soudain de bord et deviennent des conformistes d’une autre manière), mais plutôt en accumulant et en infléchissant. Cela demande un travail qui ne se limite pas à nous. Donc à suivre, forcément, mais maintenant et pas d’ici 2084 !
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