Le projet de loi Darmanin suscite enfin une mobilisation à partir des initiatives prises conjointement par la Marche des Solidarités et les collectifs de sans papiers. Les principales organisations syndicales, CGT, FSU, Solidaires, appellent finalement à manifester partout en France ce lundi 18 décembre, aux côtés des collectifs unitaires suscités par la Marche des Solidarités. Celle-ci reflète un moment d’auto-organisation salutaire autour du sort de la fraction la plus vulnérable de la classe travailleuse. Les cortèges se tiendront au moment où la CMP (Comité Mixte Paritaire réunissant des sénateurs et des députés) va siéger, et de manière synchrone avec la date établie depuis quelques années de la Journée Internationale des Migrants.

Cela n’a pas été facile. Alors que droite LR et extrême droite RN faisaient monter la pression réactionnaire pour durcir le projet, Macron se retrouvait dans l’apesanteur qui lui colle à la peau depuis le mouvement contre la réforme des retraites. Certes, les travailleurs ont subi une défaite revendicative avec le passage aux 64 ans, mais Macron n’en a récolté aucun gain politique, aucun prestige, aucun renforcement de son pouvoir.

L’épisode parlementaire du budget 2024 a vu une succession de vingt (!) recours au 49.3 : il suffit de rappeler que le fondement du parlementarisme bourgeois réside dans l’adoption des budgets annuels après votes et débats pour mesurer la faiblesse du pouvoir en sa base parlementaire. Puis vint la gifle du 11 décembre lors du vote majoritaire d’une motion de rejet du texte de Darmanin. La majorité relative de Macron à l’Assemblée est devenue une minorité incapable de faire prévaloir ses choix, dépendante d’accords circonstanciels, tactiques ou durables avec d’autres forces réactionnaires (Horizons d’Édouard Philippe, parti de Bayrou, les LR de Ciotti et de Wauquiez, et … le RN de Le Pen – Bardella).

A plus de trois ans des prochaines présidentielles, il ne reste plus à Macron qu’à tenter de frapper un grand coup pour marquer son passage au service du capital, en l’occurrence contre les travailleurs migrants qui, avec ou sans papier, sont devenus une part incontournable de la force de travail en France.

En visant cette couche fragile de la classe travailleuse, Macron et Darmanin veulent affaiblir la condition de tous les salariés. Ils veulent semer le venin de la division raciste, user de la stigmatisation des populations des quartiers.

C’est pourquoi, il est vital que lundi 18 décembre, les manifestations appelés aux quatre coins du pays soient réussies. Dans les conditions de la réussite, outre le nombre, il y a aussi la question de la liberté de manifester qui rentre en jeu.

Ainsi lorsque les initiateurs parisiens de la manifestation (Marche des Solidarités et collectifs de sans papiers) ont déposé en préfecture la déclaration d’un parcours Opéra – Concorde (Pour mémoire, la Place de la Concorde fait face au Parlement situé sur l’autre rive de la Seine ..) les services préfectoraux sont rentrés dans un jeu trouble laissant entendre que seul un parcours République – Nation pourrait être autorisé mais ne répondant pas franchement à la question de savoir s’ils accordaient le parcours initialement demandé.

Aussi les initiateurs de la manifestation ont envoyé le courrier suivant. Celui-ci doit être connu de l’opinion publique et c’est donc au titre du soutien à la mobilisation que nous le reproduisons accompagné des explications des organisateurs.

Pour battre Macron, ne laissons pas Darmanin imposer son projet de discriminations et de division au service de l’exploitation, ne laissons pas Darmanin jouer avec les droits démocratiques fondamentaux ! Tous et toutes dans la rue le 18 décembre !

Document 1 – Quelques informations sur la manifestation du 18 décembre à Paris

– Le parcours qui a été déposé en préfecture prévoit un départ de la Place de l’Opéra et une arrivée Place de la Concorde (en face de l’Assemblée nationale).

En réunion de la Marche des Solidarités tenue juste après l’annonce de la motion de rejet du projet de loi à l’Assemblée nous avions convenu que l’arrivée devant le parlement ne s’imposait plus si l’examen de la loi était reporté.

Mais l’annonce de la tenue de la réunion de la Commission paritaire à l’heure exacte d’appel à la manifestation rend plus incontournable que jamais l’objectif de finir en face de l’Assemblée.

– Alors que le dépôt a été fait il y a plus d’une semaine et que les appels à cette manifestation se multiplient devant l’urgence de la situation, il nous a fallu contacter nous-mêmes ce matin [jeudi 14] la préfecture pour savoir ce qu’il en était de notre dépôt.

(Il faut savoir qu’une manifestation déposée en préfecture est autorisée sur simple dépôt tant que le préfet ne décide pas et ne publie un arrêté d’interdiction. Mais la préfecture n’informant de ce genre de décision que très tardivement pour mettre les organisatrices et organisateurs devant le fait accompli, nous avons préféré accélérer).

– La préfecture a d’abord indiqué qu’ils ne s’étaient pas encore penchés sur le dossier ! Et suite à notre appel, la préfecture a envoyé un mail refusant le point de départ et le point d’arrivée de la manifestation, changeant donc la nature de celle-ci.

Voici, à la suite de ce texte, la réponse qui a été envoyée à la préfecture.

Nous demandons à tous les collectifs, syndicats, associations et coordinations de relayer et/ou communiquer publiquement leur protestation pour que la manifestation se tienne comme il était convenu.

Nous rappelons qu’à ce stade la manifestation n’est pas interdite et qu’il s’agit de se battre pour le droit de manifester et que cela fait partie de notre combat commun contre la loi Darmanin.

En dernier ressort, si interdiction il y a, nous déposerons un recours au Tribunal administratif qui, ces dernières semaines a levé plusieurs interdictions. Nous rappelons que ça avait été le cas pour un rassemblement à Concorde le soir du 49.3 sur les retraites, d’abord interdit par la préfecture puis autorisé par décision du TA.

Document 2 – Courrier adressé à la préfecture de police de Paris

Objet : Manifestation du 18 décembre à Paris
Jeudi 14 décembre 2023,

Madame, Monsieur,

Suite à notre appel téléphonique à 11H00 ce jeudi 14 décembre pour connaître votre position au sujet de la manifestation du 18 décembre, vous nous avez transmis par mel à 11H25 que notre manifestation « n’était pas compatible, en l’état, avec les impératifs de l’ordre public ».

Pour « concilier (notre) liberté de manifester avec ces impératifs, il (nous) est proposé l’alternative suivante » : partir de la place de la République au lieu de la place de l’Opéra et aller à Nation plutôt qu’à Concorde.

Vous nous indiquez que ce « présent message ne constitue pas, en lui-même, une interdiction de la manifestation ».

Nous sommes, pour dire le moins, quelque peu choqués de votre réponse. Lorsque nous vous avons rappelé notre correspondant a dit qu’il ne lui revenait pas d’en discuter et nous a demandé une réponse écrite.

N’étant partisans ni de la diplomatie secrète ni de la duplicité nous vous informons que cette réponse sera rendue publique tout en espérant que nous parviendrons à un accord.

Nous sommes d’abord choqués par le procédé. Le départ de la manifestation est annoncé publiquement depuis plusieurs semaines, y compris dans les médias, et nous ne pouvons imaginer que vos services en soient les derniers au courant. Pour respecter les délais administratifs légaux nous vous avons informé du parcours, des points de départ et d’arrivée depuis plus d’une semaine. Comment se fait-il que vous ne nous informiez – sur notre demande qui plus est – d’une potentielle interdiction que quelques jours avant la manifestation ?

Mais le fond est plus important. De quels impératifs d’ordre public parlez-vous ? De nombreuses manifestations sont déjà parties de la place de l’Opéra. Des manifestations sont déjà arrivées place de la Concorde.
Faut-il notamment rappeler que vos services avaient interdit un rassemblement place de la Concorde suite à l’utilisation du 49-3 par le gouvernement pour faire passer sa « réforme » des retraites, que cette interdiction avait été levée par le Tribunal administratif et que le rassemblement y avait eu lieu ?

Alors que, sachant que le 18 décembre est la Journée internationale des Migrant.es et que des manifestations étaient prévues dans tout le pays contre le projet de loi immigration porté par Gérald Darmanin, le gouvernement a décidé de convoquer une Commission mixte paritaire sur ce sujet… le même jour et à la même heure que ces manifestations.

Dans ces conditions, alors que Monsieur Darmanin n’a de cesse de répéter que « les Français » soutiennent son projet de loi et d’évoquer la démocratie pour s’indigner du vote d’une motion de rejet de son projet à l’Assemblée nationale, vous comprendrez qu’il serait particulièrement surprenant que les services du même ministère s’opposent à une manifestation de l’opinion se rendant à quelques centaines de mètres de ce qui est supposé être la « représentation du peuple ».

Votre proposition alternative de parcours loin de garantir notre « liberté de manifester » n’est la garantie que de notre « liberté de marcher sans but dans Paris ». Et encore : de manière limitée et encadrée.
Car aller devant l’Assemblée nationale au moment où se discute du projet de loi que nous contestons fait partie du contenu revendicatif de notre manifestation. S’y opposer ne serait donc pas une décision administrative mais politique. Prise par des services, ceux du ministère de l’intérieur, qui sont partie prenante de ce que nous dénonçons.

Dans ces conditions vous comprendrez que nous ne pouvons accepter votre « proposition alternative ». Nous exigeons le maintien de notre point de départ diffusé largement Place de l’Opéra. Votre absence de réaction ces derniers jours et les délais désormais trop courts ne nous permettent pas d’en changer.
La réunion de la Commission paritaire du 18 décembre et l’annonce faite par le gouvernement qu’elle sera suivie d’une présentation au parlement le jour suivant ne nous permettent pas non plus de revenir sur l’objectif d’aller à proximité de l’Assemblée nationale. La Place la plus indiquée pour rassembler les nombreux et nombreuses manifestant.es annoncé.es dans des conditions adéquates est sans conteste la Place de la Concorde.

Nous sommes par contre ouverts à toute discussion sur le parcours suivi selon les arguments que vous voudrez bien nous transmettre.

Veuillez recevoir, Madame, Monsieur, l’expression de toute notre détermination à combattre pour une société de justice, d’égalité et de solidarité.

Pour la Marche des Solidarités et les Collectifs de Sans-Papiers,
Anzoumane Sissoko et Denis Godard.