Oleg VERNIK est président du syndicat indépendant «Zahist Pratsi» ; il est membre de la Ligue socialiste ukrainienne, affiliée à la LIS-ISL, le courant international animé par le MST d’Argentine

En novembre 2023, la situation sur les lignes de front pour repousser l’agression impérialiste russe en Ukraine est devenue relativement stable. Selon ce qu’a déclaré, il y a quelques jours, au magazine The Economist le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, le général Zaluzhny, la situation sur le front russo-ukrainien se caractérise par l’impossibilité pour les deux parties de parvenir à un succès rapide. Ni l’armée ukrainienne ni l’armée russe ne disposent actuellement des forces et des moyens suffisants pour mener une offensive massive sur plusieurs secteurs du front en même temps. Le front s’étend actuellement sur environ 1 300 kilomètres de ligne de contact de combat. L’offensive ukrainienne dans le secteur sud du front a pratiquement cessé et l’offensive russe dans la région d’Avdiivka (région de Donetsk) s’accompagne d’énormes pertes pour l’avancée des troupes russes.

Le général Zaluzhny souligne la parité entre les camps sur le front, qui ne peut être surmontée que par une sorte de « progrès technologique ». Premièrement, il évoque la tâche de l’armée ukrainienne d’atteindre la supériorité aérienne et de surmonter le système de barrières explosives profondes (champs de mines) que l’armée russe a construit dans la direction sud pendant l’occupation de cette région de l’Ukraine.

En même temps, l’Ukraine ne dispose pratiquement pas d’aviation comme élément majeur de ses ressources militaires. En l’absence totale de soutien aérien pour l’offensive terrestre, l’armée ukrainienne a tenté une contre-offensive en juin 2023, mais n’a remporté aucun succès significatif permettant de parler d’une percée vers la mer d’Azov ou la Crimée. Malheureusement, l’héroïsme des soldats ukrainiens n’a pas suffi à lui seul. Et ce n’est que récemment, lorsque le gouvernement ukrainien a été convaincu de l’échec de la contre-offensive sur le front sud, qu’il a reconnu l’importante pénurie d’armes occidentales pour réussir à franchir la ligne de défense russe. Cependant, ces éléments, évidents pour tous, ont été passés sous silence par les autorités ukrainiennes en mai-juin 2023, alors que se préparait et lançait la contre-offensive ukrainienne. Les porte-parole de Zelensky rivalisaient alors pour affirmer que les armes reçues par l’armée ukrainienne de la part des « partenaires occidentaux » étaient suffisantes pour atteindre la Crimée et les côtes de la mer d’Azov d’ici la fin de l’été.

Les informations du général Zaluzhny données dans The Economist ont provoqué l’indignation de l’équipe de Zelensky. Si auparavant les contradictions entre la direction politique de Zelensky et la direction militaire de Zaluzhny étaient tenues secrètes, elles sont désormais révélées au grand jour. Il y a quelques jours, Zelensky a limogé le général Khorenko, proche de Zaluzhny, qui dirigeait avec succès les forces d’opérations spéciales des forces armées ukrainiennes. Il s’agissait d’une décision sans précédent, puisque le général Zaluzhny n’était même pas au courant de ce licenciement et que celui a été exécuté dans son dos. Le scandale de ce licenciement prend de l’ampleur.

Il est désormais évident pour tous que sans une aviation moderne, l’Ukraine n’a aucune chance de réussir une contre-offensive. Cependant, dans le meilleur des cas, l’armée ukrainienne ne pourra recevoir les avions F-16 promis par ses « partenaires occidentaux » qu’au printemps 2024, et même alors, en quantités minimes et avec des versions extrêmement dépassées de ceux-ci. Ce n’est qu’à l’automne 2023 que l’entourage de Zelensky a reconnu publiquement que les États-Unis et leurs partenaires occidentaux fournissaient à l’Ukraine suffisamment d’armes pour que l’Ukraine puisse ne pas perdre cette guerre, mais en même temps elle ne pouvait pas la gagner. Il est avantageux pour l’impérialisme occidental de prolonger la guerre aussi longtemps que possible, en affaiblissant la puissance militaire de l’agresseur russe et en entraînant finalement l’Ukraine dans les chaînes de l’esclavage par un endettement dont elle ne pourra jamais sortir.

La société ukrainienne rejette toute négociation en coulisses avec les occupants russes sur la reddition des territoires ukrainiens. Mais le gouvernement Zelensky et les « partenaires occidentaux » de l’Ukraine publient régulièrement des messages au monde et dans les médias ukrainiens sur la nécessité de négociations rapides avec la Russie pour mettre fin à la guerre et en même temps la possibilité pour la Russie de conserver tous les territoires occupés. Jusqu’à présent, cela ne se produit pas de la part des responsables ukrainiens, mais ces orateurs incarnent l’équipe Zelensky et personne ne doute que les autorités tentent ainsi de commencer à préparer les consciences de la masse des Ukrainiens pour accepter ces possibles et extrêmement indésirables résultats de la guerre.

La situation politique interne

En novembre 2023, une série de scandales de corruption en Ukraine et la corruption totale de l’appareil de Zelensky ont provoqué un déséquilibre complet, tant au sein des plus hautes autorités que dans les médias ukrainiens. Au début de la guerre, Zelensky a suspendu la diffusion de toute télévision indépendante en Ukraine, obligeant toutes les chaînes de télévision à diffuser un « téléthon unique », composé exclusivement par les représentants du gouvernement. Bien entendu, avant la guerre, toutes les chaînes de télévision appartenaient à tel ou tel oligarque. Cependant, l’environnement concurrentiel a permis de former une sorte de quasi-démocratie bourgeoise dans les médias. Avec le déclenchement de la guerre, toute pensée oppositionnelle fut bannie de la télévision. Il convient de noter qu’au début de la guerre, le peuple ukrainien a réagi avec compréhension à la décision de Zelensky. Dans la situation où les troupes russes se trouvaient à plusieurs kilomètres de Kiev au printemps 2022, il était difficile de ne pas accepter certaines restrictions aux droits et libertés des citoyens ukrainiens, causées par l’agression armée russe.

Cependant, à mesure que la situation évoluait, tant à l’avant qu’à l’arrière, un nombre croissant de médias et de citoyens ont commencé à s’indigner. L’intérêt pour le « téléthon unique » du gouvernement est tombé à un niveau extrêmement bas. L’autorité des réseaux sociaux et de l’information alternative sur les réseaux s’est considérablement accrue. Pour la première fois dans l’histoire du pays, les Ukrainiens ont commencé à recevoir des informations politiques de base non pas à la télévision, mais sur Internet. Les blogueurs sur Internet d’opposition et les partis bourgeois opposés à Zelensky ont considérablement accru leur influence informationnelle. Si au début de la guerre un accord astucieux avait été conclu entre eux pour une « non-agression » face à l’agression armée russe, aujourd’hui tous ces accords entre l’équipe de Zelensky et l’opposition bourgeoise ont en fait été annulés.

En octobre 2023, Zelensky, lors d’une réunion avec des journalistes, leur a demandé « temporairement », c’est-à-dire en fait jusqu’à la fin de la guerre, de ne pas écrire sur la corruption aux plus hauts niveaux du gouvernement ukrainien. Mais l’effet s’est avéré être exactement le contraire. En plus de la question de la corruption, les journalistes ukrainiens ont, de plus en plus, commencé à poser publiquement à Zelensky des questions sur qui est responsable de l’absence totale de préparation de l’Ukraine à une attaque russe et sur comment s’est produit le fait que 20 % du territoire ait été pratiquement livré sans résistance aux occupants russes dans les premières semaines de la guerre. Il est évident que les responsables de cette situation se trouvent dans l’entourage le plus proche de Zelensky. Cependant, Zelensky sauve ses amis proches des investigations des agences judiciaires en subordonnant ces organismes à son influence.

Il convient de souligner qu’à l’automne 2023, tout le pouvoir réel en Ukraine était concentré dans ce qu’on appelle le « Bureau du Président ». Il s’agit d’un organe inconstitutionnel qui ne dispose formellement que de pouvoirs techniques pour soutenir le travail quotidien du président. Cependant, c’est cet organe qui a concentré entre ses mains toute la plénitude d’un pouvoir royal, asservissant le Parlement et le Conseil des ministres qui ne jouent désormais qu’un rôle formel d’« opérette ». Actuellement, aucune nomination à des postes clés du gouvernement n’est effectuée sans l’approbation du « Bureau du Président ». C’est au « Bureau du Président » que sont liés la plupart des scandales de corruption, y compris sur les dépenses d’aide occidentale. Les « partenaires occidentaux » de l’Ukraine soulèvent de plus en plus la question de leur contrôle sur l’aide financière qu’ils lui accordent, mais le « Cabinet du Président » réagit avec une extrême difficulté et nervosité aux tentatives de l’Occident d’obtenir une transparence totale dans cette affaire.

Si, avant le début de l’agression à grande échelle de la Russie contre l’Ukraine, j’observais dans mon analyse que l’agenda politique de l’Ukraine s’était traditionnellement développé sous le signe de la lutte des agents de l’impérialisme occidental (en Ukraine, leur symbole est « l’équipe de Soros ») comme instrument de contrôle extérieur contre les grands groupes financiers et industriels ukrainiens, qui ont reçu leur propre symbole : les « oligarques » et le régime Zelensky. Traditionnellement, cette configuration s‘équilibre entre eux, chacun effrayant périodiquement l’autre par le fait qu’il finira par se ranger du côté de ses adversaires. Il s’agit clairement d’un équilibre instable. Cela souligne les évidentes faiblesse et instabilité de l’appareil d’État bourgeois ukrainien extrêmement corrompu.

Depuis le début de la guerre à grande échelle, Zelensky a réussi à subordonner tous les oligarques clés à son influence, et maintenant son équipe du « Bureau du Président » a en fait commencé à essayer de s’opposer à l’influence des représentants directs des États-Unis et de l’Union européenne en Ukraine. Bien sûr, ce genre de « lutte » de Zelensky n’a rien à voir avec la lutte anti-impérialiste et vise uniquement à réaliser ses propres ambitions de voler les travailleurs ukrainiens et sa réticence à partager ses super profits avec ses « partenaires occidentaux ».

Mais les autorités américaines et européennes sont bien conscientes de ces tentatives de Zelensky de « s’asseoir sur deux chaises ». Et maintenant, ils disposent d’un argument décisif : la fourniture d’armes à l’Ukraine. Durant les cinq années de son règne, Zelensky n’a rien fait pour relancer le travail du complexe militaro-industriel ukrainien. Au contraire, son équipe, avant même la guerre, a fait tout son possible pour détruire les entreprises de production de défense. Actuellement, l’Ukraine dépend à près de 100 % des approvisionnements en armes occidentaux. Toute interruption de l’approvisionnement en armes condamne l’Ukraine et son peuple à la défaite face à l’agresseur impérialiste russe et à la perte de territoires ukrainiens.

Le président américain Joe Biden a traditionnellement transféré moins d’armes que nécessaire vers l’Ukraine en raison de la nature de la guerre et des tâches militaires visant à reconquérir les territoires ukrainiens occupés. Cependant, la situation aux États-Unis est devenue encore plus compliquée dans le contexte de la fourniture d’armes à l’Ukraine. Des responsables clés du Parti républicain et l’équipe à l’influence grandissante de Donald Trump appellent les États-Unis à cesser toute aide à l’Ukraine et à concentrer tous leurs efforts sur l’aide à Israël.

Ukraine-Israël-Palestine : un enchevêtrement complexe de contradictions

Le 7 octobre 2023 se sont produits des événements clés pour l’ordre mondial actuel. Nous n’excluons pas les fondamentalistes religieux du Hamas de notre critique, mais il est absolument clair pour les Ukrainiens ordinaires qu’une paix juste et durable dans l’ensemble de la région du Moyen-Orient n’est possible que si l’occupation des terres palestiniennes prend fin. Les Palestiniens ont le droit à l’autodétermination et à la résistance face à l’occupation israélienne, tout comme les Ukrainiens ont le droit de résister à l’invasion russe.

Nous sommes solidaires du peuple palestinien qui a enduré 75 ans d’occupation militaire israélienne, de division, de violence coloniale, de nettoyage ethnique, d’acquisition forcée de terres et d’apartheid. Les Ukrainiens se trouvent dans une situation similaire avec l’attaque impérialiste russe contre leur territoire. Nous voyons très bien qu’il n’y a pas d’« axes du bien » ni d’« axes du mal » dans le monde, mais qu’il existe les mêmes intérêts impérialistes prédateurs dans différentes régions.

Nous notons qu’une partie importante de l’Ukraine est occupée par l’impérialisme russe depuis 2014. Ensuite, la communauté internationale n’a pas réussi à mettre fin à l’agression russe et a fermé les yeux sur la nature impériale et coloniale de la violence armée, ce qui a conduit à une guerre à grande échelle à partir du 24 février 2022.

La population civile ukrainienne est attaquée chaque jour dans ses maisons, dans les hôpitaux, aux arrêts de bus et dans les files d’attente pour le pain. En raison de l’occupation russe, des milliers de personnes vivent sans accès à l’eau, à l’électricité et au chauffage, et les populations les plus vulnérables souffrent le plus de la destruction des infrastructures essentielles. Pendant les mois de siège et de bombardements massifs de la ville de Marioupol, le couloir humanitaire n’a pas été assuré. En regardant Israël bombarder les infrastructures civiles à Gaza, il est particulièrement douloureux pour nous, Ukrainiens, de constater le blocus humanitaire et l’occupation israélienne des terres palestiniennes.

Il convient de noter que jusqu’à récemment, l’Ukraine soutenait toutes les résolutions pro-palestiniennes de l’ONU. L’ambassade palestinienne à Kiev est pleinement fonctionnelle depuis de nombreuses années. Cependant, dans la situation actuelle, l’équipe de Zelensky a décidé d’abandonner le cours traditionnel de la politique étrangère ukrainienne et a déclaré son ferme soutien à l’attaque israélienne contre Gaza. Cela semble encore plus étrange aux yeux de l’opinion publique ukrainienne dans une situation où Israël a catégoriquement refusé de soutenir l’Ukraine et de lui apporter ne serait-ce qu’une assistance militaire minime. La « relation spéciale » du régime israélien avec l’impérialisme russe s’est révélée supérieure aux concepts de justice internationale et de droits des peuples qui sont évidents pour le monde entier. Pour sa part, Israël parle depuis longtemps d’un « soutien humanitaire important à l’Ukraine ». Mais plus récemment, il s’est avéré que pour toute l’année 2023, elle n’a effectué qu’une seule livraison : l’approvisionnement en eau potable des personnes touchées par les inondations suite à l’explosion de la centrale hydroélectrique de Kakhovka. Et c’est tout !

Mais plus que ça. Israël a également décidé d’humilier Zelensky lui-même en lui interdisant de se rendre à Tel Aviv pour soutenir publiquement Israël. Ils ne veulent pas voir Zelensky pour ne pas gâcher leurs relations avec Poutine et l’impérialisme russe. Néanmoins, l’humiliation publique de la part d’Israël n’est pas le seul problème causé par le comportement récent de Zelensky. Plusieurs pays arabes qui ont aidé l’Ukraine depuis le début de l’agression russe sont désormais prêts à reconsidérer leur attitude à l’égard de ce soutien.

À cet égard, nous appelons fermement le gouvernement Zelensky à condamner le recours au terrorisme et au blocus humanitaire comme sanctions par Israël contre la population civile de la bande de Gaza et à affirmer le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Dans le même temps, nous nous opposons également à ce que tous les Juifs du monde soient tenus responsables de la politique de l’État d’Israël et condamnons la violence antisémite telle que l’attaque collective contre un avion au Daghestan, en Russie.

Pour le peuple ukrainien, qui lutte pour son indépendance face à l’impérialisme russe, le pire hiver de son histoire approche peut-être. L’armée russe amasse de nombreux missiles pour détruire complètement la structure énergétique de l’Ukraine cet hiver, condamnant ainsi la population au gel massif de ses maisons et à la défaite de l’armée sur le front. La classe ouvrière ukrainienne, tant ceux qui défendent notre indépendance les armes à la main dans les rangs des forces de défense ukrainiennes que ceux qui continuent de travailler dans les entreprises, n’ont pas encore formé leur propre programme d’action et leurs propres revendications politiques. Cependant, ce processus s’accélère objectivement chaque jour. La situation est très difficile pour nous maintenant, mais notre combat continuera.

Source : https://lis-isl.org/en/2023/11/06/20-meses-de-guerra-en-ucrania-la-situacion-actual-en-el-frente-y-los-nuevos-desafios-al-poder-de-zelensky-en-relacion-con-el-ataque-israeli/

Traduction par nos soins.