D’habitude dans le calendrier de la 5ème République, c’est le moment pour un dernier conseil des ministres le mercredi avant une coupure de quinze jours (pour les plus fayots) à trois semaines (pour ceux qui pensent leur position ministérielle assurée). Et le président embarque pour la résidence du Fort de Brégançon en vue d’un repos mérité.
Patatras ! Cette année, deux sujets brûlants, en plus de la crise climatique, viennent gâcher la perspective d’une douce quiétude. Le Niger et la crise policière imposent un autre agenda, même quand on prétend être Jupiter.
Le Niger avec la crise politique faite d’un putsch militaire mettant à bas un président dûment élu mais souffrant d’une érosion de sa crédibilité dans le secteur militaire de l’appareil d’État vient après la succession de putschs allant du Mali au Burkina en passant par la Guinée.
Souvent, on y voit le spectre de l’influence russe, comme au Mali où elle est la plus franche et la plus ouverte avec la présence, meurtrière pour certaines ethnies assimilées aux « djihadistes », de la milice Wagner.
Malheureusement, pour l’impérialisme français, avec ou sans présence avérée des Wagner, l’opinion publique des pays du Sahel exprime un fort sentiment anti-France, au sens Françafrique. Dakar, Bamako, Ouagadougou, Conakry et maintenant Niamey, et sans compter la Centrafrique : les foules huant la France impériale et brandissant quelques fois des drapeaux russes, le retrait contraint de la présence militaire, l’apparition des Wagner, les revers s’accumulent.
Mais cette fois, l’affaire est plus que sérieuse pour l’Elysée : le Niger est la source principale de l’approvisionnement en uranium de l’industrie nucléaire française (énergie et bombe atomique) et le pays constitue l’un des derniers créneaux avec le Tchad de présence militaire au centre de la bande sahélienne. Là, on touche au sacro-saint des intérêts impérialistes français. Et nulle doute que la cellule ad hoc de l’Elysée est en mode surchauffe ces jours-ci. Et que les 1500 hommes de troupe stationnés au Niger doivent être en mode alerte renforcée.
D’autant plus qu’à la pointe occidentale du continent, le Sénégal de papa n’existe plus ! Depuis que d’immenses ressources pétrolières et gazières ont été identifiées au large des côtes du Sénégal, cet État qui jusqu’à présent passait pour l’incarnation de la démocratie en Afrique, devient l’enjeu de pressions énormes en vue de savoir qui maîtrisera l’exploitation de ces ressources d’énergie fossile pour laquelle ce petit pays ne dispose pas des moyens capitalistiques et industriels nécessaires.
Au moins trois puissances apparaissent ces derniers jours en mode action diplomatique poussé en direction de Dakar : les USA, la France, .. et encore une fois la Russie de Poutine avec la conférence de Saint-Pétersbourg consacrée à l’approvisionnement en céréales des pays d’Afrique et du Moyen Orient, exercice de chantage à la famine du plus parfait cynisme ouvert.
De plus, Macky Sall a du faire face ces derniers mois à une contestation virulente des couches jeunes et populaires qui rejettent viscéralement l’hypothèse d’un troisième mandat présidentiel perçu, à juste titre, comme le moyen d’une camarilla de s’incruster durablement grâce aux positions dans l’État pour faire de bonnes affaires privées. Plusieurs vagues massives de mobilisations successives ont affronté violemment les forces de répression (plusieurs dizaines de morts au total) pour exiger le retrait de Macky Sall à la fin de son actuel mandat. L’agitation peut rebondir après l’arrestation ce vendredi de celui qui apparaît comme le leader naturel de cette contestation massive, Ousmane Sonko. Ce dernier a le profil pour aller quérir un soutien russe.
Toute l’architecture de la domination néo-coloniale, dénommée Françafrique, bâtie au moment des « indépendances » se révèle branlante.
Nul doute que l’on va rentrer dans une période d’échanges et de pressions diplomatiques entre la France et la Russie où on aura des demandes du genre « laissez-nous contrôler la garde présidentielle et on vous laisse votre uranium » et « au passage, si vous pouviez ralentir ou cesser les livraisons de canons César à l’Ukraine … ». La préservation des intérêts d’ORANO (ex-AREVA) vaut bien plus qu’une messe : une trahison des Ukrainiens, si nécessaire … Une excellente démonstration au passage de la nécessité pour le mouvement social ukrainien et pour la gauche authentique de ne faire aucune confiance aux relations inter-étatiques et de privilégier le soutien populaire international pour gagner la guerre de libération nationale contre l’impérialisme russe.
On image aisément les sueurs froides ou chaudes parcourant les cercles décisifs du pouvoir en France. Macron en tête ! Mais en plus de l’arène internationale, il y a la crise policière en France.
Ce dimanche, Mme Borne, Première ministre rescapée du remaniement ministériel, était sur le terrain. Objectif : Pau, lieu d’arrivée du Tour de France féminin de cyclisme et bastion du sieur Bayrou, patron du MODEM dont le groupe parlementaire pèse 50 voix. Et oui, ce MODEM et son groupe parlementaire c’est un peu comme l’armée privée de Prigojine aux cotés de l’armée russe, un auxiliaire indispensable malgré les jours où il se révèle encombrant ou exigeant.
Hélas pour la macronie, le MODEM, certes un petit parti, constitue un vrai parti avec son enracinement local, ses réseaux d’élus, sa capacité d’influence. Toutes choses dont le Président Macron manque cruellement. Renaissance. Le président, Bonaparte de la 5ème République, se doit d’avoir son parti, sa Société du Dix Décembre, afin d’avoir un minimum de rayonnement sur la société. Tout le monde constate qu’ils sont loin du compte…
Alors la crise policière découlant des suites de la répression débridée de la révolte de la jeunesse à la suite de l’assassinat de Nahel le 27 juin ne fait vraiment pas l’affaire du pouvoir.
Depuis des mois, Macron a choisi d’affronter les mouvements populaires avec le recours principal à la répression des manifestations (Gilets jaunes, mouvement contre la réforme des retraite, crise sanitaire Covid, Sainte-Soline, …) : la police est devenue le rempart immédiat du régime, dépourvu de tout amortisseur des crises qu’il provoque par sa politique ultra-libérale.
Au commencement, on a la mise en détention provisoire et la mise en examen de la meute policière qui a laissé pour mort un jeune marseillais qui, en plus de se prendre un LBD dans le crane, a subi un tabassage potentiellement fatal. Il y a aussi l’affaire d’un autre passant décédé après avoir lui aussi encaissé un tir de LBD.
Dès la mise en branle de la justice sur ce cas de débordement indéfendable, on a assisté à une mobilisation policière allant de la haie d’honneur des flics frappeurs à la sortie de leur détention provisoire à une quasi-grève sous la forme d’arrêts maladie ou de grève du zèle ou service minimum (code 562).
Pire, le directeur national de cette même police a exprimé sa sympathie à ses bouillants subordonnés, manifestant une compréhension surprenante là où manifestement les actes de ses sbires méritent quelques investigations.
Le ministre Darmanin a exprimé lui aussi sa pleine compassion et a reçu le « bloc syndical » composé principalement d’Alliance et de l’UNSA Police avec Unité SGP Police FO à leurs basques. Ces « syndicats » réclament l’impunité totale : élargissement de la protection fonctionnelle (le financement des frais de justice par l’État, y compris pour les policiers soupçonnés de violences), maintien des primes quand un agent est suspendu, anonymisation des procès-verbaux d’audition de policiers mais aussi – et surtout – exemption de la détention provisoire pour les policiers soupçonnés de violences en service.
Et Darmanin a laissé entendre que son oreille ne serait pas sourde à ces revendications.
Au point de provoquer une crise ouverte avec les services du ministère de la justice. A partir du moment où celle-ci est sommée de se mettre aux ordres de la police, que fait le ministre de la Justice pour défendre les prérogatives des magistrats ?
Le ministre a des casseroles (renvoi devant la Cour de justice de la République après une décision de la Cour de cassation) en plus de ses obligations politiques envers le régime qui l’a nommé. Alors le ministre Dupont-Moretti déclare : « « Moi je dis merci [aux policiers]. Merci pour ce qu’ils ont fait, merci pour leur engagement, pour leur courage. »
Ce qui provoque les réactions communes de l’USM (Union Syndicale de la Magistrature) et du Syndicat de la Magistrature : « Une nouvelle fois, la remise en cause par le ministre de l’intérieur de l’application de la loi pénale par les magistrats constitue une critique directe des décisions de justice et de la déontologie professionnelle des magistrats » et « la remise en cause publique de ces décisions par les plus hauts responsables de la police nationale et par le ministre de l’intérieur lui-même ne peut que renforcer l’inquiétude […] quant à la dégradation de l’État de droit que de tels propos révèlent. »
Un État bonapartiste comme la 5ème République ne peut reposer uniquement sur la force de la matraque, il se doit de pratiquer l’action harmonisée de la police et de la justice. Darmanin, Dupont-Moretti et Macron mettent en place les éléments d’accentuation de leur crise politique et institutionnelle.
Pour le moment leur choix suscite la crise et les réserves chez certains de leurs partisans (cf les déclarations du ministre de la FP Guérini : « Cette vidéo restera gravée en moi. À ce jeune homme dont la vie sera irrémédiablement changée, on ne peut que souhaiter de la force, du courage, adresser des mots et des paroles à sa famille et souhaiter que la vérité et la justice soient faites. C’est ce que la République lui doit. Dire cela, ce n’est pas parler contre les policiers comme je l’ai trop entendu dans le débat public. » ou de Gabriel Attal) ou parmi les hauts fonctionnaires de la police et de la gendarmerie.
On ne peut que saluer la déclaration d’Olivier Faure, dirigeant du PS, demandant vendredi la démission du ministre de l’intérieur, ainsi que celles du préfet de police de Paris et du DGPN. Un minimum…
La responsabilité des dirigeants de la NUPES est engagée : ils se doivent de réclamer la fin de l’impunité policière et la tenue d’enquêtes de justice exemptes des pressions du pouvoir de Macron. Ce qui commence par la démission de Darmanin et l’épuration de la haute hiérarchie policière coupable de soutien aux flics séditieux. Ne pas le faire ouvrirait une perspective d’aggravation des plaies et des bosses, des drames et des bavures pour tous les mouvements sociaux provoqués par la politique de Macron.
Audey, le 30-07-2023.
salut tertoustes,
j’ajouterai que vu l’enjeu crucial de l’uranium et de la position stratégique du Niger dans le coin, une des dernières de la Françafrique, je ne serais pas étonné que se saisissant d’un prétexte, style attaque d’un lieu fRançais sur place, Micron ne fasse intervenir l’armée, soutenu en cela par une partie des oligarchies dictatoriales africaines qui commencent à flipper grave ! 😎
signé Pastèque !
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Audey écrit :
« On ne peut que saluer la déclaration d’Olivier Faure, dirigeant du PS, demandant vendredi la démission du ministre de l’intérieur, ainsi que celles du préfet de police de Paris et du DGPN. Un minimum… »
Dans cette déclaration pourtant un peu mieux orientée vers les exigences de l’heure que ses précédentes prestations ou celles de la NUPES sur le sujet, O. Faure trouve néanmoins l’occasion d’annuler immédiatement son petit pas en avant en réclamant du président de la république qu’il joue tout son rôle… réaffirmant, lui confirmant ainsi UNE AUTORITÉ LÉGITIME et pas seulement de fait, même si c’est pour obtenir la démission des trois compères : car n’est-ce pas lui signifier d’abord et nous signifier surtout à nous, qu’il est là pour durer et qu’il n’est pas question d’abréger ce quinquennat insupportable ?
Alors, on peut certes considérer que « le rapport des forces » est devenu si à l’avantage de l’exécutif qu’il ne nous reste plus qu’à essayer de nous protéger comme on peut de ses pires excès (un peu plus, d’ailleurs, que « des plaies et des bosses », non ?…) mais est-ce bien le cas ?
Et puis n’est-il pas évident que ni O. Faure ni Mélenchon (ni la NUPES) ne feront réellement plus pour obtenir le départ de Darmanin & Consorts qu’ils affectent de « demander ».. qu’ils ne font pour battre et chasser Macron depuis sa réélection ?
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