Ce samedi 10 et ce dimanche 11 juin, se tient à Vienne (Autriche) un « Sommet international pour la paix en Ukraine », qui vise à appeler à un cessez-le-feu immédiat.

Ce sommet et cet appel interviennent précisément quelques jours après le crime de guerre de l’armée russe, crime contre l’humanité et les populations de la région, et écocide, que constitue la destruction du barrage de Nova Kakhovka : nous y reviendrons avec le communiqué du RESU-France actuellement en préparation.

Que signifie un « cessez-le-feu » ?

Il signifie que les habitants de la rive gauche occupée du Dnipro/Dniepr sont livrés à l’inondation et privés de secours.

Il signifie que les massacres, viols et déportation de population se poursuivent.

Le cessez-le-feu, c’est la guerre avec prime à l’occupant.

Le « Sommet de Vienne » prétend l’exiger de tous les « belligérants » : Russie, Ukraine, et OTAN, car il compte tous les pays de l’OTAN comme « belligérants », ce qui est la thèse de Poutine. Les internationalistes ne soutiennent pas l’OTAN mais ne font pas croire que cette alliance dominée par les États-Unis est belligérante : en fait, elle cherche à stopper la poussée russe sans défaite de la Russie et craint plus que tout la chute de Poutine. On l’a vu ces jours-ci, Washington hésite même à reconnaître la responsabilité russe dans le sabotage du barrage de Nova Kakhovka.

Le « Sommet de Vienne » est au centre des discours du « Mouvement de la paix » et vient d’être loué par un article dans l’Humanité. Sa présentation est volontairement équivoque, entre sommet « informel » de la « société civile » et une communication de sommet officiel. Clairement, il s’agit de lancer un processus « officieux » pour contraindre diplomatiquement l’Ukraine à la capitulation, en enrôlant pour cela des organisations syndicales, sociales et pacifistes, ce qui n’est en vérité qu’une forme d’union sacrée !

Il fallait pour cela une sorte de label : une intervention du président brésilien Lula en visio devrait la conférer. Les organisateurs directs proviennent surtout de la « Fondation Rosa Luxemburg » allemande, liée à Die Lincke, même s’ils semblent se faire plus discrets depuis quelques jours, et l’organisation étatsunienne Codepink, principal mouvement « pacifiste » campiste, avec des passerelles allant de l’extrême-gauche néostalinienne à certains secteurs républicains et libertariens, aux États-Unis.

Mais le « Sommet de Vienne » a des gros problèmes. En Autriche même, des militants syndicalistes, écologistes, pacifistes, ont dénoncé cette imposture. En fait, le principal enjeu et le gros de la bataille s’est déroulé dans la social-démocratie et surtout dans la centrale syndicale ÖGB. C’est là que les choses sérieuses autour de ce sommet se sont passées.

Le sommet a été lancé avec le soutien politique officiel et majeur de l’ÖGB qui avait réservé les hôtels et lieux de réunion. Mais celui-ci est entré en contradiction avec les positions prises, à la demande des centrales syndicales ukrainiennes FPU et KVPU, par le congrès de la Confédération Européenne des Syndicats (le fait que les positions nationales officielles de la CGT française de soutien à la résistance ukrainienne ait été maintenues suite à la défaite politique des courants FSM au congrès confédéral a joué).

En Autriche même, des militants participant au RESU ont soulevé des « lièvres » : la participation au « sommet » de Jeffrey Sachs, qui fut le conseiller du FMI et de la Banque mondiale auprès d’Eltsine, et qui est aujourd’hui un soutien de Poutine, qui s’est illustré en participant à l’une des émissions criminelles du présentateur Soloviev aux heures de grande écoute de la télé russe, et celle d’un certain Leo Gabriel parmi les organisateurs, dirigeant d’un groupement qui prétend continuer le « Forum social mondial » du temps de l’altermondialisme du début de ce siècle, qui s’est illustré en étant reçu en invité d’honneur par la « République populaire du Donbass » en 2019, où il est allé déposer des fleurs sur la tombe du premier dirigeant de cette « République », le néonazi Alexandre Zakharchenko (mais pour ces gens-là il n’est de néonazis qu’ukrainiens, et même juifs ukrainiens …).

Christian Zeller, militant écosocialiste autrichien membre du RESU, a contribué à diffuser ces informations en Autriche, puis l’ambassadeur d’Ukraine est intervenu. Le cas de Jeffrey Sachs est emblématique : alors que les campistes prétendent combattre l’impérialisme qui pour eux ne saurait être qu’américain, nous avons là l’américain clef des plans de privatisations en Pologne et en Russie dans les années 1990, représentant d’un secteur du seul « impérialisme » honni, bien présent directement et indirectement dans le mouvement « pacifiste » pour la « paix en Ukraine » !

Comme l’écrit Christian Zeller, la direction de l’ÖGB a finalement dû tirer le frein d’urgence. Voici une dizaine de jours l’ÖGB déclarait retirer son soutien politique et sa participation au « sommet ». S’est ensuivie une série de reculades : le Kelman Peace Institute, organisation pacifiste autrichienne qui faisait partie des premiers initiateurs, les Verts autrichiens, Attac-Austria, ont retiré leur participation, la vice-présidente colombienne Francia Marquez s’est désistée, l’ancien président social-démocrate de l’Autriche Heinz Fisher a disparu de la liste des intervenants annoncés, le vieil Edgard Morin, de France, a annoncé qu’il n’interviendrait pas en visio. Il reste Lula … et Noam Chomsky. Mais on verra.

Devant ce début de débâcle, la direction de l’ÖGB a fait le dernier pas : annuler son soutien matériel et la fourniture des salles et de l’infrastructure. Peut-être que si les organisateurs avaient accepté, devant la presse, d’appeler clairement au retrait des troupes russes, cette position n’aurait pas été si nette. Mais le coordinateur Rainer Braun, de l’ « International Peace Bureau », a confirmé très clairement que le « Sommet pour la paix » ne demande pas le retrait des troupes russe, mais le cessez-le-feu : ce n’est pas la même chose – ce qui montre aussi à certains pacifistes qu’on doit choisir entre ces deux demandes !

Lui a choisi et il prétend que c’est parce que l’OTAN demande le retrait des troupes russes, que le demander aussi serait un acte en faveur de la guerre, donc il ne faut pas le demander : CQFD ! Donc, ces « pacifistes » militent pour le maintien des troupes russes. Ce sont des militants de l’occupation, des massacres, des tortures, des déportations et des viols.

A l’heure où nous publions cet article, la conférence vient juste de commencer, sous protection policière, dans une autre salle de Vienne, non syndicale. Félicitons-nous de cette victoire de l’indépendance syndicale, qui signale que l’affrontement dans le mouvement ouvrier mondial et les reclassements causés par cette guerre ont commencé, et que personne n’y échappera.

VP, le 10/06/2023.