La perspective, mise en avant par certains avant même le deuxième tour des présidentielles, d’un gouvernement « de gauche » de cohabitation avec Macron est démobilisatrice et perverse. Il faut lui préférer un appel réitéré au rejet complet de ces élections, porteur d’une délégitimation du chef de l’État et du gouvernement qui en seront issus.

Ainsi, Adrien Quatennens commence à envisager de mobiliser les « électeurs de gauche », qu’il fantasme susceptibles d’obtenir la majorité aux législatives, pour une cohabitation avec Macron.

Ce faisant, tout d’abord il enjambe prématurément le deuxième tour de la présidentielle, considérant la ré-élection de Macron comme acquise, c’est-à-dire appelant à voter pour celui-ci, mais ensuite il annonce que la France Insoumise envisage de collaborer avec lui pour gérer la France, ce qui ne constitue guère un encouragement pour « le peuple de gauche » à se mobiliser pour soutenir les candidats FI aux législatives.

La perspective d’une cohabitation avec Macron n’est pas nouvelle. Mélenchon l’avait déjà évoquée en 2017 :

« Nous sommes candidats partout avec un objectif : gouverner le pays, constituer une nouvelle majorité. » L’objectif fixé par Jean-Luc Mélenchon pour les élections législatives, lors de la convention nationale de son mouvement samedi à Villejuif (Val-de-Marne), est clair : « La France insoumise propose aux électeurs d’organiser une nouvelle cohabitation, de mettre en échec la politique macroniste. » L’ex-candidat à la présidentielle a d’ailleurs consacré une partie de son discours d’une heure à fustiger les projets, à commencer par la casse du Code du travail par ordonnances, que le président Macron, officiellement investi hier, a apportés dans ses valises à l’Élysée. « Il faut montrer qu’il faut que ce jeune homme soit tempéré dans ses folies par la main avisée d’un sage qui connaît de quel côté est le bonheur du peuple », a argué Jean-Luc Mélenchon, invitant ses partisans à se saisir comme d’un « argument » de l’exemple de la cohabitation entre Lionel Jospin et Jacques Chirac, à ses yeux « un des moments les plus positifs de la vie de l’économie française » du fait des 35 heures notamment. (L’Humanité, 15 mai 2017).

Cette référence à la cohabitation Jospin-Chirac comme un moment positif de la lutte des classes en France laisse pantois. En 1997, les travailleurs et leurs alliés, malgré le bilan indéniablement négatif pour eux de deux septennats de Mitterrand, avaient de nouveau porté le PS au pouvoir lors des législatives. Elle s’était conclue par le rejet sans appel du premier ministre Jospin, champion des privatisations d’entreprise, répondant aux grévistes de Michelin que « l’État ne peut pas tout », artisan de la mise en œuvre de nombre de chantiers de contre-réformes portés ensuite plus loin, en toute continuité « gauche-droite », par Sarkozy, Hollande et Macron. Jospin en avait du reste tiré le bilan dès le soir du premier tour de 2002 en se retirant, soi-disant définitivement, de la vie politique. Il s’était alors réfugié prudemment à l’île de Ré – s’évitant ainsi de laisser dans l’histoire une image trop réactionnaire… (Entre parenthèses, pour ce faire, il ferait mieux de garder le silence encore aujourd’hui).

Une propagande lourde se répand actuellement pour nous convaincre que Macron serait « moins pire » comme Président de la V° que Le Pen, alors que les deux seront des catastrophes pour le mouvement ouvrier et les démocrates : voir https://aplutsoc.org/2022/04/11/11-avril-un-message-de-gerard-mordillat. html. Bien entendu, pas une voix ne doit aller à Le Pen, mais le vote Macron n’est pas « moins pire », et la seule attitude responsable face à ce problème sans solution est le rejet (boycott, abstention, vote blanc ou nul) de ces élections, comme y invitait déjà avant le premier tour la perspective du « boycott constituant » : https://www.mediapart.fr/journal/france/170122/le-boycott-ou-l-abstention-par-le-versant-politique.

Cette perspective s’appuie sur la caractérisation du régime présidentiel de la V° République, issue du coup d’État à deux bandes Massu-de Gaulle de 1958 et qualifiée par Mitterrand de « coup d’État permanent », non pas comme une démocratie mais comme un régime bonapartiste. Dans l’état de déliquescence où il en est arrivé, qui mène progressivement du bonapartisme au fascisme, il est de plus en plus urgent d’en sortir, ce qui s’exprime sous la forme de l’exigence d’une Constituante Souveraine, intégralement élue par le peuple (et pas octroyée par en haut, et comportant des nommés et, encore pire, des tirés au sort), et chargée de nous faire enfin sortir de cette triste et longue période de l’histoire de notre pays.

Cette perspective d’un appel ferme et sans concession au rejet massif de ces élections, au premier mais encore plus au deuxième tour, a et aurait pour signification de délégitimer le/la Président/e issu/e de cette élection, comme l’a reconnu Gérard Larcher lui-même (https://lherbu.com/2022/04/quelques-nouvelles-du-front.html). Elle nous permettrait de sortir de la logique perverse de ce régime, déjà expérimentée en 2002 et en 2017, et qui a atteint son point culminant cette année avec ces « présidentielles pestilencielles ».

L’appel à la cohabitation avec Macron non seulement constitue un appel à co-gérer la France avec lui, ce qui est déjà une trahison, mais il implique également de lui laisser les mains entièrement libres pour ce qui est de toutes les « fonctions régaliennes » du Président dans le cadre de la V° République, c’est-à-dire les affaires étrangères, l’armée et la guerre. Tout ce que pourrait faire un Mélenchon, un Quatennens ou une Autain comme premier ministre de Macron serait de « protester énergiquement » contre une éventuelle décision de Macron concernant par exemple l’entrée en guerre contre la Russie ou l’emploi de l’arme atomique en réponse à un tel emploi par Poutine, ou de démissionner. Dans la V°, le Président n’est pas tenu de saisir l’assemblée ni même le gouvernement sur ces questions. Et même sur les questions où il est censé saisir le parlement, il a toujours le loisir, si le résultat du vote ne lui convient pas, de faire appel à l’article 49-3 de la Constitution pour passer outre.

Ce n’est pas en appelant à élire une assemblée nationale de cohabitation que l’on pourra préparer les conditions du combat contre le gouvernement illégitime, quel qu’il soit, qui sera issu de ces présidentielles, mais en appelant à élire des députés disposés à se battre contre toutes ses mesures réactionnaires qui seront prises dès le 25 avril au matin, en s’appuyant sur le mouvement social pour les salaires, l’embauche, la santé, l’école, la culture, le logement, l’accueil des réfugiés, et contre la destruction de la biosphère et du climat, contre la guerre. Ce mouvement est déjà en cours dans les entreprises, les hôpitaux, l’éducation nationale, etc., et il ira en se renforçant, en France comme dans bien d’autres pays, dans les semaines, mois et années à venir. Cette perspective pourrait être renforcée par la constitution pour les législatives de listes se prononçant clairement pour la fin de la V° République et l’élection sans délais d’une Constituante Souveraine.

Alain Dubois, 13 avril 2022.