Jean Luc Mélenchon et les Insoumis viennent de tenir leur université d’été dans la Drôme. Faut-il dire La France Insoumise soutenant son leader Mélenchon ou seulement Mélenchon entre en campagne. Rappelons que la France Insoumise n’est pas un parti, comme l’a définie précédemment son leader suprême, mais un « état gazeux » autour d’une ambition présidentielle.

Mélenchon entre donc dans l’arène de la présidentielle de 2022, non pour poser la question de virer Macron et sa bande de voyous ici et maintenant, mais pour faire la chasse aux abstentionnistes. Il a un gros problème à surmonter quand on veut continuer à endosser la défroque bonapartiste du Général De Gaulle : la peur panique que le formidable mouvement d’abstention dans les élections locales ayant un contenu prérévolutionnaire, et qu’il n’analyse pas sur le fond, se reporte sur l’élection présidentielle. Comme le taux d’abstention dans le prolétariat et la jeunesse risque fort de se confirmer en mai 2022, il ajoute « nous serons alors écrasés ». Donc il tourne ses armes contre ces salariés qui ne votent plus en osant nous dire « les esclaves eux se bougeaient ».

Mais les « esclaves » se sont bougés, et ils bougent encore, et comment ils bougent ! Du mouvement des gilets jaunes, cette fraction du salariat la plus appauvrie par la crise, le mouvement contre la réforme des retraites stoppé momentanément en raison du développement de l’épidémie de Covid, le mouvement contre la casse du droit social, et cette formidable mobilisation sans précédent dans l’été, appuyé sur le refus du passe sanitaire dont les mots d’ordre posent la question de la chute de Macron aujourd’hui et expriment la volonté de ne plus accepter ce monde. Inscrit dans la logique du respect absolu des institutions, Mélenchon a-t-il analysé ce que signifie l’éviction du député Alexis Corbières des manifestations de l’été ?

Il a par ailleurs légèrement modifié sa fenêtre de tir : il recherche un accord avec le mouvement écologiste, ses appels du pied au maire de Grenoble Eric Polle, élu en 2010 sur une stratégie Front de Gauche, en sont le signe. C’est aujourd’hui le soutien d’Huguette Bello, député communiste de L’île de la Réunion : elle déclare que le rassemblement avait permis la victoire lors des régionales, tout en faisant dans son intervention dans la Drôme l’impasse sur le taux d’abstention populaire et sa signification. Par la force des événements qui poussent les appareils, Mélenchon revient plutôt aujourd’hui sur une stratégie de type Front Populaire, exprimée par l’affiche portant le mot d’ordre Union Populaire.

Ceci posé, cette orientation qui était celle du Front de Gauche et de la naissance du Parti de Gauche en 2008 a été cassée par Mélenchon lui-même : les développements politique militants possibles avec ou autour du PG confrontaient l’ambition présidentielle à des débordements dont il ne voulait pas. Souvenons-nous que quelques semaines après la naissance du PG, Mélenchon déclarait devant un parterre de journalistes : j’attendais un pan du PS et je me retrouve avec une « bande de gauchistes ». Les « gauchistes » sont ceux qui n’ont pas accepté les dérives social-libérales de la gauche au pouvoir et qui voulaient s’investir dans la reconstruction d’une nouvelle force politique, certains disaient antilibérale, d’autres anticapitaliste. Il y avait un chemin. Mais comme disait l’anarchiste Durruti : « …à l’échelle de l’histoire les plats ne passent pas deux fois ». Le PG, l’aréopage de Mélenchon portent la responsabilité d’avoir cassé une espérance. Cela pèse lourd dans la situation actuelle : pour faire une campagne présidentielle, il faut les relais, les militants, ces hommes de chair et de conviction, prêts à mouiller la chemise pour gagner. Est-ce que cela peut exister dans le cadre électoral de la présidentielle de 2021-22? Je pense que non, le centre de gravité se déplace et les masses concentrent leurs coups sur la clef de voûte des institutions de la Vème République, même si ceux et celles qui sont en mouvement contre Macron ne lui donnent pas encore une expression consciente, c’est-à-dire auto-organisée, comme les millions de paysans pauvres en Inde.

Sur le plan des propositions de campagne, on peut toujours discuter à l’infini sur les mesures à prendre : le problème n’est pas là ! Qui peut être contre le fait qu’on porte le SMIC à 1400 euros ? En revanche le fait d’avancer une Constituante et une VIème République reste totalement encarté dans la soumission à l’élection du nouveau Bonaparte. Là encore la perspective d’une Constituante traduisant politiquement les aspirations démocratiques et sociales actuelles se trouve dévoyée et soumise à des institutions qui ne peuvent lui conférer un caractère souverain.

Enfin l’insulte proférée à l’encontre des salariés et des jeunes qui ne votent plus en ajoutant qu’au moins les « esclaves » de Spartacus étaient capables de se révolter, est vraiment intolérable. « Abstention, piège à cons ! » Mélenchon vit sous les lambris de la Vème République ; lorsque ceux d’en bas ne veulent plus jouer le jeu, il s’irrite. Aujourd’hui sa position de fond est un contre-feu face à la montée en puissance d’un mouvement de caractère prérévolutionnaire.

Une discussion s’amorce dans les articles publiés par APLUTSOC : le moment est-il venu de traduire par un Manifeste ou Appel national, en nous appuyant sur le formidable mouvement de l’été 2021, de préparer les conditions d’un boycott actif de la présidentielle ?

L’histoire nous mord la nuque. Clarifions nos positions ! Pas seulement les nôtres, celles des militants qui pensent encore qu’il est possible d’y intervenir pour éviter le duel Macron-Le Pen. Discutons !


Robert Duguet, 30-08-2021.