Il y a en France environ 2,7 millions d’étudiants. Leur situation réelle et leurs conditions d’étude se sont très gravement dégradées ces dernières années, et ceci ne doit rien au hasard et tout aux politiques gouvernementales. Les jeunes lycéens et étudiants subissent Parcoursup + le Covid et les confinements. La faim et les suicides des étudiants sont maintenant des sujets d’actualité « grand public ».
Plus que jamais, la jeunesse étudiante a besoin d’être représentée par un syndicat. « Jeunes travailleurs intellectuels en formation », ils ont des « intérêts matériels et moraux » qui requièrent une organisation de type syndical, liée au mouvement ouvrier. Cette organisation existe historiquement, c’est celle dont la fondation a vu, dans la Charte de Grenoble de 1946, l’affirmation des principes fondateurs qui viennent d’être résumés ici : elle s’appelle l’UNEF, Union Nationale des Étudiants de France.
L’UNEF est aujourd’hui dramatiquement affaiblie, et, profitant de cet affaiblissement, des ténors du parti historique de la V° République, LR, ont déclenché une campagne sur le thème de sa dissolution, au motif des « réunions non mixtes racisé-e-s » et de certaines déclarations de ses responsables.
Tout militant ouvrier, tout partisan des libertés démocratiques, tout défenseur des acquis culturels, doit, inconditionnellement (ce qui veut dire que la critique de la politique de la direction de l’UNEF n’empêche en rien cette prise de position), s’élever vigoureusement contre de telles velléités. Le gouvernement Macron/Castex doit comprendre, et au plus vite, qu’il serait très dangereux pour lui, impopulaire, discrédité, perçu comme ayant facilité la pandémie, engagé dans des attaques contre les libertés démocratiques, de s’aventurer sur le terrain de la dissolution d’un syndicat !
L’affaiblissement actuel de l’UNEF est le produit d’une longue histoire. La place de l’UNEF dans la lutte des classes avait déjà poussé le régime gaulliste à crever d’envie de la dissoudre après la grève générale de mai-juin 1968. Sa direction inconsistante allait alors, de fait, dissoudre l’UNEF, mais, en refusant la participation aux conseils de gestion des universités, sa tendance « Unité Syndicale » a sauvé, dans les années 1970, son existence. C’est par la défense intransigeante des revendications que le syndicat fut sauvé. L’équipe dirigeante de l’UNEF-ID s’est ensuite incorporée au PS sous Mitterrand, entrant dans les conseils de gestion, décidant d’éviter la centralisation et la généralisation des luttes de la jeunesse telle qu’elle avait permis de gagner en 1986, et engageant une dérive qui allait lui faire perdre la direction du syndicat en 1994, au profit d’autres courants du PS. Ces courants ont finalement plongé sous Hollande, dans une décomposition dont la direction de l’UNEF ne s’est pas remise. La thématique « non-mixte racisé-e », « décoloniale » ou « intersectionnelle » est arrivée comme une conséquence de cet affaiblissement, un substitut.
Il n’y a pas à se prononcer sur cette thématique, pour ou contre, pour défendre inconditionnellement l’UNEF contre les provocations de LR. A Aplutsoc, nous souhaitons qu’un débat de fond s’engage sur ces questions, un débat sérieux sur la base des acquis programmatiques du mouvement ouvrier révolutionnaire. L’UNEF n’est pas « l’incarnation de la menace provenant des universités américaines », ce qu’elle serait pour ses « détracteurs » d’après … le New York Times, organe officieux de l’establishment démocrate US, du 5 avril ! Et les critiques des thématiques en question, dans le mouvement ouvrier, ne sont pas des racistes islamophobes agents de l’ennemi. L’UNEF est l’héritage d’une histoire qui n’appartient ni aux uns, ni aux autres, car elle appartient à toute la jeunesse, à tout le mouvement ouvrier. La position démocratique élémentaire contre toute velléité de dissolution n’exige aucune autre prise de position, aucune autre condition.
On a d’ailleurs pu voir, au Sénat, que l’adhésion à des positions « intersectionnelles » n’a pourtant pas empêché les sénateurs EELV de ne pas savoir comment se dépêtrer d’un amendement de LR visant à suggérer, sans l’écrire mais en le disant, la dissolution de l’UNEF ! Le ralliement du groupe PS et le désarroi total des groupes PCF et d’EELV montrent la décomposition non moins totale de la « gauche » sur des questions de principes des plus élémentaires. On ne vote pas avec LR ou avec LREM sur une atteinte à une liberté publique, cela devrait être évident, mais ça ne l’est pas !
Devant ce triste spectacle, la représentante du gouvernement, Mme Schiappa, a précisé qu’elle ne soutenait pas cet amendement à la loi « confortant les principes républicains », qui augmente gravement les pouvoirs des préfets envers les associations et envers les religions. La tactique de l’exécutif Macron/Castex n’est pas, à cette heure, de suivre LR sur la dissolution de l’UNEF, mais de laisser la « polémique » monter, à titre de diversion et de petite musique l’aidant à tenir jusqu’aux présidentielles.
La défense du syndicalisme, la défense des libertés, la défense de l’UNEF, commence, elle, par la dénonciation de toute velléité de dissolution, et par la récusation de toute légitimité, de tout droit du Sénat ou d’une institution de la V° République, à légiférer sur ce qu’un syndicat peut organiser ou non. Cette défense est le premier acte de ce qui la prolonge nécessairement : le combat pour reconstruire une Union Nationale des Étudiants de France digne de ce nom. Une UNEF reconstruite est une UNEF qui aurait déjà crié, dans toute la France, que les étudiants crèvent, que les étudiants pleurent, que les étudiants ont faim. Elle aurait exigé et mené campagne en masse pour des tickets-resto gratuits distribués en masse, pour l’abrogation de Parcoursup, deux revendications immédiates et élémentaires, permettant de rassembler également les lycéens, en relation avec l’ensemble du syndicalisme.
Une UNEF remettant au centre la lutte pour les vraies revendications serait très vite un pôle de regroupement pour toute la jeunesse. Son centre de gravité ne résiderait plus dans les conseils de gestion des universités, dont la masse des étudiants se désintéresse, ni dans l’examen d’idéologies censées devoir bousculer la vieille France selon le New York Times. Il résiderait dans les étudiants, tout simplement. L’UNEF dans son histoire a déjà « ressuscité » en se plaçant sur le seul terrain qui est le sien, le terrain syndical (ce qui ne veut pas dire « pas de politique » bien entendu, mais ouverture aux luttes mondiales de la jeunesse, qui ne manquent pas !). Que l’UNEF renaisse, et les patrons, les macroniens, les préfets, les recteurs, les présidents d’université, sauront pourquoi ils auraient mieux fait de la dissoudre quand elle était à terre ! Que l’UNEF renaisse et des milliers de militants étudiants, aujourd’hui dispersés, aujourd’hui présents aussi à la FAGE (Fédération des Associations Générales d’Etudiants), qui se préoccupent de la situation dramatique des étudiants, de leur situation, se regrouperont à nouveau dans le cadre de défense des intérêts matériels et moraux des étudiants !
Bas les pattes devant l’UNEF ! Que tous ceux qui veulent dissoudre un syndicat apprennent à le regretter !
Le 05-04-2021.
Je trouve que c’est une très utile analyse et une très bonne prise de position.
Je pense qu’il faut commencer par se poser la question suivante : peut on penser raisonnablement que le gouvernement, allié pour la circonstance au RN et autres murènes/sirènes de la droite de la bourgeoisie, s’attaque en force à un si petit poisson malade qu’est l’UNEF, dans le seul objectif de le détruire? Un marteau-pilon pour une puce? Quel est le véritable objectif, le véritable enjeu?
Je pense que c’est le mouvement ouvrier tout entier -ce qu’il en reste- qui est attaqué à travers sa représentation syndicale, qui est l’essentiel de ce qui lui reste encore, à travers son point le plus faible (tous les prédateurs savent ça). A travers cette attaque, profitant des faiblesses des dirigeants actuels de l’UNEF depuis quelques décennies, la bourgeoisie entend s’introduire davantage, par voie légale même, dans le fonctionnement interne des syndicats du mouvement ouvrier -dont fait historiquement partie l’UNEF-.
Elle se fout bien de l’UNEF, à ceci près que son affaiblissement et son éventuelle disparition laisserait dans le champ étudiant les seuls « syndicats » bourgeois au premier rang desquels la FAGE. L’UNEF est depuis longtemps un cadre vide, mais demeure un cadre qui peut, au gré des circonstances et des événements, reprendre du ventre et des muscles, si les étudiants s’en servent comme d’une arme comme cela s’est déjà produit.
Le véritable enjeu, enjeu majeur lui, est un pas qualitatif vers l’intégration des syndicats ouvriers à l’Etat bourgeois : créer un précédent où les affaires intérieures d’un syndicat deviennent en quelque sorte affaire d’Etat bourgeois. La fameuse « indépendance » des syndicats vis-à-vis de l’Etat en prendrait un sacré coup sur la casquette. Et ces gens-là sont bien en peine de la défendre, quoi qu’ils en sentent les dangers pour leur propre santé, vautrés qu’ils sont dans la collaboration et l’appui au gouvernement.
L’autre intérêt collatéral de l’opération est d’agrandir encore les divisions dans le mouvement ouvrier et ouvrant grand la boite de Pandore des discussions idéologiques sans fin sur le genre, la race, la racialisation, la féminisation, la jouissance de classe, et tout ce qu’on voudra.
Enfin une dernière remarque : C’est l’OCI-PCI, qui en 1971-72 permit de sauver l’UNEF en boycottant la participation aux conseils de gestion de la loi Faure, qui, à l’automne 1981, après l’élection de Mitterrand et d’une majorité de députés PS-PCF à l’assemblée, jeta l’UNEF à la fois dans cette même participation et dans les bras du PS.
Pierre Salvaing
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