Aux fins de mettre un terme à la guerre franco-prussienne, une Assemblée nationale est élue le 8 février 1871 : composée majoritairement de monarchistes et d’une minorité républicaine, un accord se fait pour négocier la paix sur le nom d’Adolphe Thiers qui devient chef du pouvoir exécutif le 17 février 1871.
Victor Hugo se rend à Bordeaux où siège cette assemblée réactionnaire le 18 février. Le poète écrit à ses amis Meurice et Vacquerie qu’une manifestation chaleureuse de 50 000 personnes l’accueille. Au cri du tribun « Vive la République ! » toutes les poitrines s’en font l’écho puissant. Se déclarant insultée, l’Assemblée fait garder la grand-place par des unités d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie. « Je suis populaire dans la rue, écrit-il, et impopulaire dans l’assemblée. C’est bon. » On appréciera le « c’est bon !» Louis Blanc, Schoelcher, Joigneaux, Martin-Bernard, Langlois, Lockroy, Gent, Brisson, et d’autres moins connus, chargent Victor Hugo de présider les réunions de ce qui fait figure d’une petite gauche républicaine radicalisée. La majorité refusant toute discussion avec sa gauche sur les négociations de paix, la coupe est pleine lorsque l’assemblée invalide l’élection de Garibaldi, élu en Côte d’Or, Paris, Alger et Nice sans s’être présenté au suffrage. Celui qui vaincu à Mentana en 1867 à la tête des chemises rouges, déclarait « Je viens donner à la France ce qui reste de moi » est spontanément reconnu par le peuple français. Hugo, défendant Garibaldi, dans un effroyable climat de haine, démissionne.
Cependant le poète va être frappé douloureusement dans sa vie de père. Depuis dix jours son fils Charles était souffrant.
Rappelons les engagements de Charles.
Il était fondateur le 31 juillet 1848 du journal républicain l’Evénement avec son père, son frère François-Victor Hugo, Paul Meurice et Auguste Vacquerie. Il avait soutenu un moment Lamartine. Puis contre Cavaignac, le bourreau de juin, il avait soutenu le prince Louis Napoléon Bonaparte. Ce qu’il regrettera dès 1849. Militant abolitionniste, il devait rédiger un article dans l’Evénement qui lui valut un an de prison. Lors du procès de l’Evènement, c’est le député Victor Hugo qui défend son fils le 11 juin 1851 à la tribune de l’Assemblée :
« Oui, je le déclare, ce reste des pénalités sauvages, cette vieille et inintelligente loi du talion [la peine de mort], cette loi du sang pour le sang, je l’ai combattue toute ma vie, – toute ma vie, messieurs les jurés ! – et, tant qu’il me restera un souffle dans la poitrine, je la combattrai de tous mes efforts comme écrivain, de tous mes actes et de tous mes votes comme législateur, je le déclare (M. Victor Hugo étend le bras et montre le christ qui est au fond de la salle, au-dessus du tribunal) devant cette victime de la peine de mort qui est là, qui nous regarde et qui nous entend ! Je le jure devant ce gibet où, il y a deux mille ans, pour l’éternel enseignement des générations, la loi humaine a cloué la loi divine ! (Profonde et inexprimable émotion.)
Ce que mon fils a écrit, il l’a écrit, je le répète, parce que je le lui ai inspiré dès l’enfance, parce qu’en même temps qu’il est mon fils selon le sang, il est mon fils selon l’esprit, parce qu’il veut continuer la tradition de son père. Continuer la tradition de son père ! Voilà un étrange délit, et pour lequel j’admire qu’on soit poursuivi ! Il était réservé aux défenseurs exclusifs de la famille de nous faire voir cette nouveauté ! (On rit.) »
En 1853, Charles subissait les calomnies impériales, et devait rejoindre son père en exil à Jersey.
Ce 14 mars 1871 donc Charles avait rendez-vous pour déjeuner avec son père et le socialiste Louis Blanc. Il meurt frappé par une congestion foudroyante dans le fiacre qui le conduit au restaurant.
La sépulture de la famille Hugo se trouvant dans le cimetière du Père Lachaise, à proximité de celle des généraux d’Empire, les obsèques sont fixées le 18 mars dans la matinée. Or ce jour-là, Paris s’insurge. Le cortège doit remonter la rue de la Roquette jusqu’à la porte centrale du cimetière. Déjà, à proximité de la prison, une femme a crié : « A bas la peine de mort ! ». Le père Hugo conduit le deuil. On parvient à la barricade qui ferme la rue de la Roquette : alors les fédérés et les insurgés déblaient la barricade. Les drapeaux rouges s’inclinent au passage du cortège.
Si le peuple insurgé reconnaît l’inventeur de Jean Valjean comme un des siens, son auteur n’approuve pas la Commune. On peut démissionner d’une assemblée monarchiste et « républicaine » qui soutient Adolphe Thiers. Ce qu’il fit. Mais il lui est impensable d’appeler à l’insurrection contre la République qui est le bien sacré et qui est au-dessus des majorités de circonstance.