Pour une fois, il y a unanimité absolue dans l’Union Européenne (et aussi sur ses abords, britannique, suisse, et autres) : dans la crise du coronavirus, « l’Union Européenne ne s’est absolument pas montrée à la hauteur ». L’auteur de cette phrase est Édouard Philippe mais elle est partagée par tous les dirigeants de tous les États et de tous les partis de tous les pays concernés. Bref, elle est partagée par tous les dirigeants de tous les États et de tous les partis dans tous les pays concernés … qui ne se sont « absolument pas montrés à la hauteur » puisque l’Union Européenne et l’eurozone sont la somme de leurs décisions, ou de leur « gouvernance », comme ils disent.

Faut-il s’en étonner ? L’Union Européenne et l’eurozone ne se sont absolument pas montrées « à la hauteur » parce qu’elles n’ont absolument pas été mises en place pour aider les populations à faire face à un danger collectif, comme on l’a vu dès le début quand l’Italie a été laissée seule, puis quand les envois de masques, chinois et autres, ont été détournés par tel ou tel État, et ainsi de suite. L’expression « Union européenne » est usurpée : ce n’est pas une union et elle ne correspond pas à toute l’Europe, comme réalité historique, loin s’en faut. Mais il nous faudrait, en effet, une véritable union européenne …

Alors que la crise ouverte par le Brexit et ses modalités n’est pas du tout soldée, la pandémie et la crise économique causée par la dislocation du marché mondial ont ouvert une phase qualitativement nouvelle de la crise, chronique depuis 2005-2008, de l’UE et, en son sein, de l’eurozone. Bien entendu, aucun traité fixant des limites budgétaires et des taux d’endettement « public » n’est plus possible à respecter par qui que ce soit. Mais pendant deux mois, les principaux États de l’UE se sont heurtés sur les mesures à prendre quant à la manière de gérer la dette « publique » qui va encore exploser.

Un accord a été laborieusement trouvé fin avril, mais la Cour constitutionnelle allemande s’est arrogé le droit d’en placer les modalités sous surveillance et de faire peser l’épée de Damoclès d’un veto, provoquant une crise ouverte entre les institutions « européennes » et la première puissance économique de l’UE et de l’eurozone, et rendant possible le risque, comme prochaine étape de la crise financière, d’une panique sur la dette italienne, voire française. Merkel, soucieuse du risque de rupture entre l’Allemagne d’une part, la France et l’Italie (notamment) de l’autre, a présenté avec Macron un « plan » de 540 milliards d’euro, suscitant l’opposition de l’Autriche, des Pays-Bas, du Danemark et de la Suède, qui relaient des secteurs du capital financier allemand. Il faut le dire : la position de la Cour constitutionnelle allemand signifie que le pays-clef de l’UE et de l’eurozone voit ses couches capitalistes les plus hautes s’interroger sur l’opportunité d’y rester.

Il s’agit de partager les pertes, ce qui est beaucoup plus difficile que de partager les profits. Le monde du travail n’est ni avec « la France », ni avec « l’Allemagne » : les dirigeants de l’une et de l’autre veulent faire retomber le poids de « la dette » sur lui. Et le fait qu’ils peinent de plus en plus à maintenir entre eux un semblant d’accord signifie, qu’il y ait accord ou pas, qu’ils vont se retourner avec d’autant plus de violence contre « leurs » propres peuples. L’heure n’est ni à pousser des cris d’espérance au sauvetage de l’UE, ni à réclamer la « souveraineté française » contre « l’Allemagne ». Elle exige que nous nous préparions au prochain choc, en menant le combat ici et maintenant pour affronter le pouvoir en place.

21-05-2020.