Notre réunion-débat du 16 juin a groupé 21 participants, dans la salle ou en zoom. Il se trouve que nous n’avons pas fait d’enregistrement. C’est pourquoi, je profite de quelques heures ce lundi matin, vu l’importance de la situation et des échanges que nous avons eus, et ayant fait les introductions aux deux points, pour en proposer un résumé qui n’a rien d’un compte-rendu exhaustif ou « officiel » et peut être complété, etc.
Le premier point sur la situation française a bien sûr pris la plus grande place, mais l’on peut dire que l’importance internationale de celle-ci en faisait aussi un point, à sa manière, « international ».
L’introduction, après avoir rappelé que quand il y a urgence, il faut penser et élaborer plus encore plutôt que le contraire, et mis en exergue le caractère de « coup d’État » de la dissolution illustré par la petite phrase prêtée à Macron – « Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes » – est revenue sur les deux mouvements : celui des atomisés sous la forme de la montée, ouverte, du vote RN, ne donnant que peu lieu, pour l’heure, à organisation (et heureusement mais vigilance !), et celui du mouvement social et de classe qui a prestement imposé l’unité et doit chercher à gagner en regroupant les exploités et opprimés au-delà de ses propres « troupes » traditionnelles – ce qui n’est pas fait.
Nous avons trois pronostics.
Une assemblée sans majorité, indissoluble pour un an : notre axe pourra tourner autour de « dehors Macron ».
Une assemblée RN : ce serait une défaite mais il nous est interdit d’accuser le coup, il faudra axer sur l’affrontement avec tout l’exécutif (Macron et Le Pen/Bardella) dans des délais courts.
Une assemblée FP : la question soulevée, à l’encontre de la politique de tous ses dirigeants, sera la souveraineté de l’assemblée, la fin de la V° République.
Ce scenario n°3 est le plus favorable, il faut combattre pour lui. Si nous ne gagnons pas, avoir mené ce combat nous aura préparés pour tel ou tel des deux autres scenarios.
Reste une 4ème possibilité : la démission de Macron qui serait, quelle que soit la manière dont il la présenterait, le fait d’un président chassé, donc amplifiant la crise de régime.
A noter que les facteurs internationaux, Palestine mais aussi, et fortement, à l’encontre de toutes les idées reçues, Ukraine, ont pesé dans les évènements jusque dans le contenu du programme du Front populaire.
De la discussion, assez ample, je retiendrai ce qui m’a semblé être des apports précisant ou enrichissant la démarche présentée dans l’introduction.
La perspective d’une assemblée souveraine n’est évidemment valable qu’en relation avec celle d’une majorité Front populaire. Au second tour, nous ne voterons pas macroniens ou LR – ces cas de figures risquent d’ailleurs de n’être pas si fréquents. Le fil reliant les directions du Front populaire à l’ordre social en place passe avant tout par le respect de la constitution et donc l’acceptation a priori d’une cohabitation. A cet égard, je remarque que si nous n’avons pas parlé de la candidature Hollande en Corrèze, c’est au fond sa signification, en même temps qu’il acte la force de la poussée et l’inanité de la relance d’un grand « centre ».
Attention : l’irruption du nouveau est là. Nous sommes revenus sur le vote RN, en particulier dans cette « ruralité » abandonnée presqu’ouvertement par Mélenchon dans son discours du 9 juin. Oui, il recouvre souvent la carte des Gilets Jaunes quand les masses déferlaient sous cette forme : mais dans la fraternité voire la sororité des ronds-points, il n’y avait plus de RN. Il se reforme et prospère sur l’atomisation et le sentiment d’impasse de larges masses paupérisées, privées de perspectives. Conquérir ou reconquérir ces secteurs à la « vraie » lutte de classe ne sera pas fait par les directions politiques du Front Populaire, mais par le mouvement d’en bas nourri par nos combats.
Voila qui nécessite l’organisation par en bas. C’est bien la pression d’en bas – aidée par la brèche ouverte le dimanche soir par Ruffin- qui a imposé l’unité, un peu comme le mot d’ordre de retrait de la loi retraites « s’était imposé » à l’intersyndicale en janvier 2023. Et au passage, et ceci a pesé, « s’est imposée » la position intersyndicale (non reprise ou reprise à moitié par FO, ce qui est un enjeu). Si le « programme » comporte les abrogations de la loi retraite, de la réforme de l’assurance chômage, la loi Immigration et du « choc des savoirs », vraie raison des déchaînements de la presse bourgeoise contre son « irresponsabilité » et son « gauchisme », c’est pour toutes ces raisons.
Mais la question est en somme celle des « comités d’action », de toutes sortes d’ailleurs. Ils sont encore peu ou pas existants.
Notre discussion a permis de cerner la « purge » à LFI (retrait de l’investiture à Garrido, Corbières, Simonnet, Davi …) en la situant dans les enjeux globaux, et pas sous l’angle picrocholin et psychologique qu’elle inspire, par ailleurs, de façon bien compréhensible. Selon Patrick Farbiaz, la série de privations d’investitures à des sortants vise à isoler totalement Ruffin et Autain dans le prochain groupe parlementaire LFI. Je pense que le fond « social » de la question est la volonté de la phalange national-populiste formée par Mélenchon flanqué de la troïka Bompard/Panot/Chikirou, avec comme courroie de transmission et garde prétorienne le POI, d’interdire l’émergence d’un réel courant « social-démocrate de gauche » que LFI n’a jamais été (contrairement à ce qu’on s’imagine à l’extrême-gauche). Il est, de ce point de vue, significatif que le PG se soit rangé avec les « purgés », comme nous l’indique dans un message Robert Duguet.
Dans ce cadre, le retrait de Quatennens constitue une victoire d’en bas contre le verrouillage d’en haut visant, en fin de compte, à protéger le régime de la V° République et à interdire la souveraineté d’une future assemblée FP poussée par les comités d’action, et c’est en même temps et par cela même, une victoire des féministes et de la cause des femmes.
En conclusion, Aplutsoc va notamment formuler un édito dessinant la méthode « VERS LES COMITES D’ACTION », perspective qui concerne aussi les scenarios 1 et 2 de manière défensive pour ce dernier.
Nous avons décidé d’appeler, de concert avec le Réseau Bastille et celles/ceux qui voudront s’y joindre, à des réunions, principalement en visio, sous des formes et lieux à définir (mais vite !), après le premier et le second tour, les lundi 1er juillet et 7 juillet, à 19 h.
Le point international ne visait pas (et ne pouvait matériellement pas) consister en une analyse de la lutte des classes et des relations internationales, mais s’est concentré sur la question de l’organisation des internationalistes.
L’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022 a été un « 4 août 1914 ». Depuis, trois textes notamment ont balisé les nouveaux regroupements nécessaires : la charte constitutive du RESU/ENSU, l’appel Left Renewall, réaction non campiste à Gaza, et ces derniers jours l’appel « Pour une paix populaire pas une paix impériale » qui précise notamment et ouvre la discussion plus frontalement sur la question des armes pour l’Ukraine. Aplutsoc a incité les camarades américains d’Oakland socialist et de l’USSC à signer cet appel où se retrouvent également d’autres secteurs non campistes de la gauche nord-américaine, c’est important.
S’ajoutent à cela les productions théoriques directement branchées sur la pratique, notamment à ce stade l’analyse de la multipolarité impérialiste contemporaine, avec notamment des élaborations riches qui sont survenues du côté de nos jeunes camarades ukrainiens et du côté de l’Inde ; et là, le lancement et le fonctionnement de la revue francophone Adresses est un autre jalon.
Il n’y aura pas de construction commune avec les campistes et par conséquent les cadres communs, œcuméniques, entre nouveaux internationalistes et campistes sont voués à faire le jeu de ces derniers ou à végéter dans de grands discours : c’est là le problème auquel est confrontée la IV° Internationale (ex- « SU ») dont le congrès mondial se tient en février prochain.
Donc, la question globalement posée est celle de l’association, internationale, des internationalistes réels, de toutes provenances (incluant donc féministes, écolos, anars, démocrates nationaux radicaux …). Les participants à notre réunion, membres ou non d’Aplutsoc, avaient souvent pour point commun, à titres divers, d’être à l’intersection des différents jalons cités ci-dessus. Ils connaissent leurs rythmes différents et leurs spécificités. Vu le tonnerre de l’époque actuelle, le problème est de se « hâter lentement » !
Notre discussion conclusive, brève mais concentrée a fait ressortir un sujet d’élaboration théorico-pratique maintenant indispensable, à partir notamment des interventions de Francis Paillares rappelant la question des armes en Espagne en 36, et d’Olivier Delbeke sur le rôle des armements dans la production capitaliste et son éventuelle relance destructrice : ces armes dont les opprimés et exploités vont de plus en plus devoir se saisir. L’internationalisme du XXI° siècle sera armé et appellera à la prise d’armes. Politique militaire révolutionnaire et démocratique : nous en parlons depuis un moment à Aplutsoc, reste à élaborer de manière collective et prospective, en se hâtant lentement.
Vincent Présumey, le 17 juin 2024.
Commentaire de Robert Duguet :
Constituer des Comités d’Action Unitaire, on ne peut qu’approuver. Cela pose la question de la jonction entre le mouvement qui pousse à l’action des secteurs importants du salariat et de la jeunesse et l’exigence du débouché politique. Comité d’Action unitaire cela veut dire aussi contrôle des candidats, rejet par la mobilisation des tentatives de division. Dans une récente manifestation une jeune femme arborait une pancarte où l’on pouvait lire :
« Unissez-vous ! … Ne nous trahissez pas ! »
Lu sur le site du Parti de Gauche : https://www.lepartidegauche.fr/?p=7199
Le Parti de Gauche, membre du Nouveau Front Populaire, prend la mesure de la responsabilité historique qui est devant nous, face aux dangers de l’extrême droite et de la poursuite du macronisme.
Il y a un programme de gouvernement et un ensemble de députés candidats qui peuvent être majoritaires pour gouverner le pays dès juillet prochain.
Nous appelons à soutenir tous les candidat-e-s qui se réclament du Nouveau Front Populaire et de son programme.
Comme en 1936, le Nouveau Front Populaire a besoin de mettre en mouvement le rassemblement des organisations politiques de gauche, le soutien des syndicats, des collectifs, des associations, des citoyen-nes engagé-e-s.
Le Parti de Gauche appelle à la constitution de comités d’action unitaire pour la victoire du Nouveau Front Populaire, maintenant et pour la suite.
J’aimeJ’aime
Merci VP pour ce retour.
3 choses :
1) Il semble que vous ayez tranché bien rapidement une question pourtant cruciale :
« Au second tour, nous ne voterons pas macroniens ou LR »
Donc on laisse passer le RN sans même discuter ? Pas sûr que cette façon de liquider le problème en quelques mots soit très internationaliste, que ça rassure nos camarades en Ukraine par exemple.
2) vous écrivez : « le « programme » comporte les abrogations de la loi retraite, de la réforme de l’assurance chômage, la loi Immigration et du « choc des savoirs », vraie raison des déchaînements de la presse bourgeoise »
Donc vous sous-entendez que lorsque la presse bourgeoise fait de l’antisémitisme un point nodal (y compris contre le RN d’ailleurs), elle est dans la dissimulation ? Attention à la pente conspi, bien dangereuse.
Ce « Programme », au des concessions soit disant nécessaires, s’interdit explicitement de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, et cette réalité, massive, cet obus au milieu de la figure humaniste, fait péter les plombs chez France Culture, à juste titre. (Nonosbtant la modeste victoire imposée à LFI sur la qualification du 7 octobre.) Voilà pourquoi cet organe médiatique bourgeois « se déchaine ».
En outre, la presse bourgeoise établie (non Bolloré) ne se déchaine en réalité que contre le RN. Ce qui est d’ailleurs vain car elle passe à côté des questions légitimes posées par l’électorat RN : islam, immigration, délinquance + pouvoir d’achat.
Tant que la gauche, névrosée par sa classe et sa race, sera dans le déni des trois premiers éléments, liés ; tant qu’elle les abandonnera aux racistes, alors des électeurs non racistes (et parfois racisés) voteront trop à droite (à tort biensûr, car ils y perdront encore plus).
Autant vous dire que LFI (ou une alliance avec) est dans ces conditions contre-productif pour la gauche. Une fois qu’on se sera comptés entre petits bourgeois intellectuels, on aura toujours un problème avec « la masse », « la base », le prolétariat, qui, lui, comprends très bien les problèmes de l’islam, l’immigration et la délinquance, car il les vit dans sa chair. C’est là toute la différence avec les bobos, qui ne comprennent pas que la stratégie banlieue de LFI est condamnée car, quand on vit en banlieue, on sait que les gens qui y habitent sont fatigués des mortiers, des motos, des morts de la drogue (et un jour du voile). Les familles en banlieue veulent des flics, voilà ce que ratent les gauchistes en croyant que le vote RN n’est que celui des campagnes ou Français de villes moyennes, légitimement inquièts de l’expansion de l’islam. Cette inquiétude que d’aucuns appellent islamophobie relève de l’intelligence collective diffuse. Tant qu’on exercera un mépris de classe sur cette intelligence-là, elle sera récupérée par le RN.
Les Indigènes et autres identitaristes ont accentué la vrille de la gauche en enfonçant leur coin tordu dans la plaie blanche, en témoigne la sortie de Poutou sur la police qui tue. A quoi joue-t-il ? Comme si la plèbe avait besoin de lui pour savoir ce qu’est la milice du capital ?
Sauf que dans la plèbe, on sait aussi que la police et l’Etat, c’est en même temps ce qui protège un peu les faibles face aux forts, vérité que seuls les faibles peuvent savoir dans leur chair. D’autant plus à l’heure où des Etats s’effondrent (Vénézuela, Lybie, Liban, Irak…). [L’expression « libanisation de la France », employée régulièrement par la droite et plus, n’est pas à prendre uniquement à la légère.]
Contrairement à Poutou, dans les banlieues des gens disent avec bon sens : « Nahel ? Bah pourquoi il s’est pas arrêté ? Pourquoi il a pas coupé le moteur ? En plus c’était pas la première fois. Et s’il avait écrasé des enfants en redemarrant comme c’est déjà arrivé ? Il avait même pas le permis… » Croire que ceci n’est qu’un résonnement de blanc au cerveau lavé par Bolloré, c’est rater le monde, pour rester dans son confort bourgeois.
Beaucoup des « racisés » viennent de pays où règnent le chaos et la loi du plus fort. Donc l’actuelle mexicanisation du traffic, les coups de couteaux pour rien chez les ados, et l’Islam qui impose un contrôle social fasciste, tout cela ne les amuse pas du tout : ils et elles le prennent en plein corps et ce seront les premiers à voter pour l’ordre et la sécurité, car c’est précisément ce qu’ils sont venus chercher en Occident.
Voilà ce qu’il faut discuter et prendre en charge dans les Comités d’Action, voilà qui permet une jonction révolutionnaire entre migrants (ou issus de migration) et gilets jaunes, contre les caïds (qui sont d’ailleurs des avatars de l’ultra-libéralisme, façon Uber, jamais analysés et combattus par les révolutionnaires). Pas facile comme alliance certes, la religion faisant tout pour nous séparer. Pourtant, dans les banlieues comme dans les campagnes l’évidence est partagée et dite : les jeunes font ce qu’ils veulent, pas assez de cadre, pas de limites solides. C’est l’axe de travail pour vider le RN de son combustible. (Et certainement pas la dénonciation de l’islamophobie ou le couplet sur la police méchante face à de pauvres petits délinquants issus des colonies, quand on connaît la police dans les ex-colonies, ça fait doucement rigoler les racisés, et quand y a pas de police, on rigole plus du tout, Haïti.)
3) « L’internationalisme du XXI° siècle sera armé et appellera à la prise d’armes »
Je l’ai déjà signifié il y a quelques mois : doucement !!!
APLUSCOC est utile, nous en avons besoin. En parlant aussi légèrement de questions très graves, vous n’avez pas pris acte de la criminalisation des luttes, et des idées (‘Insurrection qui vient’ ; ‘Saboter un pipe line’). Cette naïve inconscience tranche avec la consistance révolutionnaire à laquelle vous appelez et trahit peut-être un rapport au réel quelque peu fantasmé, à tout le moins ethéré. Au rythme où vous allez, et surtout où va l’époque, vous risquez la GAV anti-terroriste dans quelques années, ce serait bien dommage. On n’écrit pas des choses comme ça en 2024 sur un site ultra-radical.
D’autre part, et surtout, doucement sur le fond aussi. Des âmes possiblement perdues ou sensibles vous lisent peut-être. Il en va de notre responsabilité révolutionnaire. « Maintenant il faut des armes », disait l’autre ? Mais qu’est-ce à dire ? Que les internationalistes, les vrais, auront des caches d’armes (périmées) pour faire face à l’impérialisme Russe ? Ceci quand les forces de l’Otan inviteront à les rejoindre pour mener un combat autrement plus efficace et utile à l’heure de l’IA qu’un folklorique maquis.
Ou alors cela veut dire qu’il faudra des armes quand l’Otan aura abandonné l’Europe, les partis néo-fascistes (Trump/RN) ayant pactisé avec Moscou, nous sacrifiant pour s’unir contre la Chine, désormais opposée à la Russie historiquement versatile ? Dans ce cas, si les internationalistes sont lâchés par Washington et pourchassés par Moscou, leur sera-t-il bien utile d’avoir avancé 15 ans auparavant sur la question de l’armement ? L’urgence ne sera-t-elle pas plutôt de rejoindre cette alliance sordide pour affronter l’ennemi prioritaire : la Chine totalitaire, exactement de ce que nous fîmes en 1941 (nous allier aux impardonables soviétiques, avec les US, contre Hitler), avec évidemment la victoire à la clef, pour ensuite nous retourner contre la Russie et jouir enfin pour quelques nouvelles décennies de la paix, peut-être un peu plus garantie par la technologie, si le climat nous le permet ?
On le voit, tout cela mérite des discussions posées et appronfondies, certainement pas de se payer de mots.
Toute légèreté dans le rapport au langage nous abîme.
(Ce sera décidément le mantra de mes commentaires.)
J’aimeJ’aime