Jean-Luc Mélenchon a été invité le 17 mai à Dakar, à l’université Cheikh Anta Diop, pour une conférence tenue en commun avec le Premier ministre du Sénégal, Ousmane Sonko, nommé par le président nouvellement élu, Diomaye Faye, car il avait été empêché de se présenter en raison d’accusations de viols. C’était aussi la première sortie publique du nouveau Premier ministre en dehors du calendrier institutionnel.

Les médias ont surtout retenu, et cela se comprend, la « question LGBT », Sonko ayant fait de la dénonciation de l’homosexualité, présentée comme perversion « occidentale », l’un de ses axes centraux, voir même l’axe central, de son discours. J.L. Mélenchon ne pouvait faire moins qu’exprimer un désaccord sur ce point. Mais l’écoute précise des propos tenus en montre les limites et la portée réelles.

Suscitant des réactions houleuses dans la salle, il a, certes, paru affirmer le droit des homosexuels à exister et même au mariage et qu’en France, les adversaires de ce droit sont également racistes. Mais en précisant bien que c’était là la position de la France, « ma patrie », et qu’au Sénégal, le peuple souverain peut bien faire comme il veut. Y compris en persécutant et en lynchant les homosexuels ? Pas un mot là-dessus. Un droit humain universel a été, de fait, présenté comme surdéterminé par la souveraineté de l’État. De plus, alors que personne ne lui avait rien demandé, J.L. Mélenchon a commencé son intervention sur ce point en précisant être, pour sa part, « hétérosexuel ». L’analyse objective de son propos comporte trois moments : 1) je n’en suis pas, rassurez-vous, 2) en France ils ont le droit d’exister et de se marier et peut-être un jour au Sénégal …, 3) mais faites comme vous voulez !

Ousmane Sonko, répétons-le, a présenté cette question comme centrale dans la confrontation du « Sud global » et de « l’Occident ». Or, sur cette thématique « géopolitique », il a recueilli le plein soutien de J.L. Mélenchon concluant son exposé liminaire par un éloge des « BRICS » et le souhait que le Sénégal se joigne à eux, avec une France « non alignée ». Très clairement, J.L. Mélenchon était présenté par les nouvelles autorités sénégalaises comme le « vrai » représentant de la France. Son président de substitution. Et réciproquement, c’est la position, pas forcément assurée puisqu’il n’est « que » Premier ministre, de véritable chef de l’exécutif ou véritable Bonaparte sénégalais, d’Ousmane Sonko, que J.L. Mélenchon est venu conforter.

C’est bien, au fond, la place de l’impérialisme français qu’il est allée tenter de préserver en repositionnant l’ancienne puissance coloniale comme un partenaire allié et « respectueux » (la preuve : faites ce que vous voulez aux LGBT !) dans le cadre d’un nouvel ordre mondial, celui de la multipolarité impérialiste de concert avec Moscou ou Beijing.

Voilà qui est en cohérence avec la petite phrase récemment lâchée par la tête de liste LFI, Manon Aubry, que l’on nous disait parfois moins terrible que d’autres, à LFI, à propos de Poutine et de l’Ukraine : « Il faut raison garder. La Russie n’a pas attaqué la Pologne et n’a pas marché sur Kiev ». A Boutcha, les gens en savent quelque chose …

Voilà aussi qui aide à situer la fonction politique de la mise en avant de la Palestine comme sujet appelé à effacer tous les autres (« Honte à ceux qui regardent ailleurs qu’à Gaza » – tweet de J.L. Mélenchon). Cette mise en avant fait de la Palestine un fétiche : il s’agit de « dénoncer le génocide » et de conspuer « Israël » au moment précis où une bataille immédiate et concrète pour le cessez-le-feu, l’arrêt de l’offensive sur Rafah, l’accès à l’aide humanitaire, la libération des prisonniers et des otages, l’arrêt de la fourniture d’armes à Israël, pourrait avoir des effets compte tenu des contradictions de l’impérialisme nord-américain.

Quel que soit le courant politique, il y a toujours cohérence, avouée ou non, entre la politique internationale et la politique nationale. Le slogan clef de LFI depuis sa création est la « révolution citoyenne » et J.L. Mélenchon a proclamé, à Dakar, qu’Ousmane Sonko incarne celle-ci. Une « révolution citoyenne » aurait donc commencé en Afrique. Les précédentes, pour J.L. Mélenchon, avaient eu ou ont pour noms Chavez puis Maduro au Venezuela, Morales en Bolivie, Correa en Équateur. Les points communs à tous ces régimes, sans exceptions, sont la tentative de « révolution » par en haut, à partir d’un homme – toujours un homme – providentiel, qui, une fois au pouvoir, cherche à le garder définitivement, qui ne tolère de « constituantes » qu’octroyées et sous contrôle, qui maintient un capitalisme soi-disant « national » et, peu à peu, s’enfonce dans la répression et la corruption. Voila qui, en France, nous promettrait une « VI° République » ressemblant comme deux gouttes d’eau à la V°, dont le cadre institutionnel et le calendrier sont tout à fait respectés par LFI : pas question qu’une révolution par en bas vienne le perturber !

Nul doute que le peuple sénégalais a élu le tandem Diomaye Faye – Sonko pour imposer sa révolution démocratique à lui, et que cette première victoire lui appartient. Mais quand Sonko désigne les LGBT comme agents de l’étranger, mettant en avant le point commun aux islamistes, aux conservateurs chrétiens, et à Poutine, c’est pour empêcher la révolution du peuple, la révolution d’en bas, la vraie révolution, et préserver les intérêts capitalistes, sénégalais et impérialistes, quitte dans ce cas à s’étiqueter « non aligné ». Si l’on est pour la démocratie, on ne saurait réduire cette question à un malheureux « désaccord assumé » : elle est au centre du risque de retournement du chef bonapartiste que veut être Sonko, contre le peuple. La persécution des homosexuels va chez lui, comme chez Diomaye Faye, avec un virilisme affiché, assumant polygamie et imputation de viols. Qui cherche encore à nous faire croire, en 2024, qu’on peut affirmer une politique de domination masculine, patriarcale et homophobe, et jouer à l’anti-impérialisme ? C’est antinomique et c’est un problème brûlant et immédiat. Défendre la souveraineté populaire sénégalaise aurait exigé de ne pas cautionner les prétentions tout à la fois bonapartistes et virilistes de Sonko !

La petite et respectueuse différence que J.L. Mélenchon a bien été obligé de marquer sur ce point, s’inscrit donc dans le cadre circonscrit des « révolutions citoyennes » « non alignées », c’est-à-dire de la défense du capital, de l’État, et des régimes autoritaires présidentiels, en France comme au Sénégal et ailleurs, et donc de la domination masculine et homophobe. La révolution ne passera pas par là et devra briser ce carcan réactionnaire.

Les observateurs attentifs auront bien noté les propos du Premier ministre du Sénégal demandant le départ des bases militaires françaises mais sans pour autant envisager la remise en cause des accords de défense. La Françafrique peut respirer …

VP, le 19-05-2024.

L’intégralité de la conférence est consultable sur Youtube (durée de deux heures).