Voici le dernier billet de notre camarade Roger Silverman, animateur du Workers International Network (WIN).

Il nous inspire deux commentaires.

L’un pour les Français. Les Brexiteurs, les initiateurs du Brexit, apparaissent comme intégralement anti-ouvriers, anti-sociaux, anti-démocratiques et racistes. Et cela est juste. Nous avons en France été marqués par le référendum de 1992 sur Maastricht et surtout celui de 2005 où le Non l’a emporté, suite à quoi la volonté populaire n’a pas été respectée. Le plébiscite était anti-démocratique dans les deux cas, mais dans le deuxième, il a échoué – nos présidents n’en ont pas tenté d’autres depuis ! «Brexit» désigne dans les faits un programme anti-ouvrier et anti-social en Grande-Bretagne : achever tout ce que Thatcher avait commencé. Cela veut dire qu’il n’y pas d’issue ni dans le cadre de l’UE ni en en sortant, si l’on ne rompt pas avec le capitalisme.

L’autre pour nos camarades britanniques. Roger écrit : «Nous n’avons pas encore le pouvoir de renverser Johnson dans la rue». Franchement, quand les manifestations de masse ont éclaté partout à l’annonce de son coup contre le Parlement, nous nous sommes posés la question. Ne faut-il pas se donner cet objectif : renverser le pouvoir exécutif par la grève et par la rue? Et, dans ce cas, pour mettre quoi en place ? Les questions constitutionnelles ne font-elles pas irruption maintenant en Grande-Bretagne ?

Brexit: une version sinistre d’Alice au pays des merveilles, par Roger Silverman

Source : Brexit: A sinister version of Alice in Wonderland

publié sur le site Oaklandsocialist.com

«De plus en plus curieux», aurait pu dire Alice : la Grande-Bretagne se dirige vers ses troisièmes élections législatives en quatre ans, sous l’égide d’un premier ministre qui n’a pas été élu et qui a perdu tous ses votes au parlement et veut suspendre celui-ci. Il a vu sa majorité parlementaire s’évaporer sous ses yeux pendant son premier discours, il a expulsé en direct de son parti des dizaines de ses anciens collègues ministres, dont le petit-fils de son idole Winston Churchill, et pendant ce temps son propre frère abandonne la politique pour ne pas assumer plus longtemps la « tension entre loyauté familiale et intérêt national ».

Et maintenant ? Déni total du vote parlementaire ? Demande à Sa Majesté de lui refuser sa sanction royale ? Proposition d’un vote de censure de son propre gouvernement ? Veto contre la loi votée l’obligeant à demander à l’UE de retarder encore le Brexit ? Prison pour mépris ? Chacun de ces scenarii à la Monthy Piton doit être sérieusement envisagé.

Et pourtant, pas de quoi rigoler. Non, cette pantomime ne fait pas rire, on est dans la tradition des films d’horreur où le monstre porte un masque de clown et où un complot sinistre couve sous les fanfaronnades.

Johnson justifie ses violations de toutes les procédures parlementaires établies par un seul vote populaire obtenu à un instant «t» il y a trois ans. C’est le plébiscite, instrument favori des dictateurs. La Grande-Bretagne est bel et bien entrée dans l’ère des coups d’État et même de la guerre civile.

Johnson interprète son rôle d’opéra-comique à l’anglaise en corrélation avec la fausse mascarade de plouc de Trump. L’un et l’autre ne tiennent pas compte de la faiblesse perceptible des régimes comparables dans le monde : la chute de Salvini, la disgrâce de Bolsonaro, l’humiliation électorale d’Erdogan, les grèves de 200 millions de syndiqués dans l’Inde de Modi.

De même, si Johnson remporte les prochaines élections, ce ne sera que le début de ses problèmes. Sa paresse, sa vanité, son arrogance et son incompétence superficielle, symptomatiques de son entourage de spéculateurs et de profiteurs, le feront bientôt sombrer dans la disgrâce.

Paradoxalement, son heure ne sonnera vraiment que si il perd et après. Il se retrouvera dans son élément en tant que moche figure de proue d’un véritable futur mouvement de masse et de combat d’extrême-droite. Le cri a déjà fusé : « Heil Boris ! ».

Nous n’avons pas encore le pouvoir de renverser Johnson dans la rue, les manœuvres parlementaires ont donc leur place. Corbyn et McDonnell y ont bien tenu leur rôle. Mais pour l’instant toute la résistance est focalisée sur l’arène parlementaire. Ce n’est pas assez : il faut la porter dans la rue et dans les entreprises. L’heure est venue de l’action de masse, rejetant les Brexiters, les Cameron et les Watson, sur la base d’un programme en faveur de la classe ouvrière.

RS, 07-09-2019.