Présentation
Vitaliy Dudin est l’un des dirigeants du Sotsialnyi Rukh. Avocat du travail, il est engagé dans l’appui aux actions juridiques du mouvement syndical, notamment avec Soyons Comme Nous Sommes (précédemment Sois comme Nina).
Il discute ici de l’éventualité d’un scrutin législatif en temps de guerre. Les ennemis du peuple ukrainien et de sa résistance ont crié à la dictature alors même que depuis le début de l’invasion de Poutine, le mouvement syndical poursuit une double besogne de défense des salariés contre les patrons et les politiciens libéraux et de soutien aux travailleurs sous l’uniforme, aux côtés des efforts déployés aussi par des milliers de formes associatives locales qui participent à la logistique quotidienne sans laquelle le front militaire ne pourrait tenir. A côté de toutes ces structures d’entraide et d’initiative à la base, les mouvements féministe, LGBT, écologiste, de locataires, de citoyens en défense des services publics s’affirment jour après jour. Le mouvement de protestation de l’été 2025 contre les lois scélérates protégeant les corrompus a pu se déployer en manifestations et rassemblements partout dans le pays puis vaincre en imposant le retrait de ces lois. Ces expériences offrent un terreau favorable pour prendre des initiatives en faveur de l’expression politique indépendante des travailleurs.
Il est opportun de rappeler ici que du fait des conditions historiques (méfaits, crimes et héritage idéologique du stalinisme, violence de la restauration capitaliste initiée après 1991 par les couches oligarchiques issues de la bureaucratie stalinienne) on souffre toujours de l’absence d’une expression politique des travailleurs. La discussion nécessaire sur le pourquoi et le comment la gauche et le mouvement ouvrier devraient se saisir de l’hypothèse d’élections a donc une portée pratique et historique.
Document
L’Ukraine est-elle menacée par les élections ?
Que seront des élections dans une Ukraine déchirée par la guerre : un effondrement de l’État ou une bouffée d’air frais dans un système hermétiquement fermé, conçu pour servir les intérêts des oligarques ? Il s’agit avant tout des élections législatives.
Que l’idée d’organiser des élections en temps de guerre au niveau parlementaire soit un bluff ou une réalité, cette nouvelle doit être prise au sérieux.
En tant que personne n’ayant jamais exercé son droit de vote, je considère les élections comme un jeu illusoire qui ne fait que légitimer la volonté de la classe dirigeante.
Cependant, restreindre le droit de millions de personnes à exprimer leur volonté est tout à fait préjudiciable dans une démocratie. Cela conduit à une accumulation de frustration, de contradictions et d’aliénation… Quoi qu’il en soit, les citoyens perdent progressivement la conviction qu’ils sont les véritables maîtres du pays qu’ils défendent avec tant de dévouement.
En principe, les autorités ont des raisons de s’intéresser aux élections, car celles-ci insufflent un sentiment éphémère de fête de la démocratie et apaisent les tensions.
Le peuple a également des raisons de participer au processus électoral : c’est l’occasion de mettre fin à l’arbitraire de la majorité unique et de porter au pouvoir des personnes plus dignes, ayant démontré leurs qualités précisément pendant la période d’invasion.
Cependant, de nombreuses questions subsistent : la liberté de campagne, la sécurité du vote, la polarisation de la société…
À mon avis, certains de ces risques hypothétiques sont clairement exagérés. Souvent, cela s’explique par la réticence d’une partie de la société à « se salir » dans cette affaire délicate ou par l’incapacité à proposer une alternative au consensus existant. En termes plus simples, il est beaucoup plus pratique pour une grande partie du public de critiquer le pouvoir pour sa corruption, car ils ne sont pas en mesure de proposer un PROGRAMME substantiellement différent. Toutes les propositions de changement sont ponctuelles/personnelles ou en accord avec la rhétorique capitaliste du gouvernement.
En revanche, les forces qui, par leur nature sociale, se distinguent de la classe dirigeante ne peuvent craindre les élections : elles s’opposent à l’oligarchie, plaident pour que la voix des travailleurs soit prise en compte en priorité dans le cadre des réformes et critiquent l’influence néfaste et appauvrissante du capitalisme. Bien entendu, à condition qu’elles aient la possibilité de créer leur propre parti.
C’est pourquoi, je considère qu’il est utile d’entamer une discussion sur les élections dans le contexte de l’état d’urgence, si cela permet d’entendre un large éventail d’opinions publiques. Cependant, il convient également de prendre en compte les alternatives aux procédures électorales qui pourraient susciter l’intérêt du peuple pour la politique :
1) la décentralisation du pouvoir avec la délégation des fonctions du parlement aux conseils locaux et la rénovation progressive de ces derniers ;
2) le renforcement des organes consultatifs tels que les conseils communautaires, afin qu’ils cessent d’être purement décoratifs ;
3) la garantie de la participation des travailleurs aux conseils de surveillance des monopoles d’État pour le développement de la démocratie industrielle.
Vitaliy Dudin, le 23 décembre 2025.
Source : RESU/PLT.