Depuis le 19 septembre à minuit, la publication à reculons et avec caviardages des documents Epstein creuse des sapes sous la présidence Trump et rythme la crise de régime aux Etats-Unis, mais aussi les amorces d’interventions extérieures des mêmes Etats-Unis.
Tout le monde a compris que Trump est omniprésent dans l’affaire Epstein. S’il a réussi a bloquer l’apparition de documents attestant directement de l’usage des femmes vendues par l’affairiste véreux, il n’a fait qu’attiser les soupçons. L’un des documents, caviardé, suggère un viol commis par lui-même et Epstein, suivi de l’assassinat de la victime déguisé en suicide. Un autre est une lettre d’Epstein à un multicondamné pour viols et harcèlement (Larry Nasser) qui fait référence à Trump lors de sa première présidence comme adonné aux mêmes « habitudes » ; cette lettre a été dénoncée comme un fake par le Département de la Justice, qui toutefois a confirmé qu’elle vient bien de ses dossiers, et qui donc prétend diffuser lui-même des fakes !
La propagation progressive des Epstein Files agit comme un poil à gratter qui devient une énorme bombe, cristallisant l’affaiblissement de Trump dont la cause fondamentale est la résistance sociale et démocratique de la majorité de la population.
J’écrivais le 21 décembre : « Dans ces conditions, les interrogations portent sur une intervention extérieure, une guerre, pour le [Trump] remettre en selle. Mais il est probable qu’au stade où en sont les choses une guerre ne résoudrait pas mais aggraverait immédiatement la crise intérieure. »
Faute de vraie guerre, l’administration Trump multiplie les incendies potentiellement ou d’ores et déjà meurtriers. La première cible désignée est le Venezuela, mais en fait cette désignation comme cible donne lieu à des opération de piraterie dans les Caraïbes qui ont déjà fait plus d’une centaine de morts, et n’affaiblissent en rien les mafias du narcotrafic leur servant de prétexte.
Mais le 22 décembre, ce sont les provocations contre l’Europe qui se sont mis à atteindre un seuil critique. La nomination de Jeff Landry, gouverneur de Louisiane, que l’on caractérisera rapidement en signalant qu’il a décrété l’affichage obligatoire des « Dix commandements » dans les écoles publiques, comme « représentant spécial » des Etats-Unis au Groenland, par Trump, officiellement à la demande de l’intéressé, fut la première de cette nouvelle série, et pas la moindre : Jeff Landry affirme se rendre au Groenland (s’il s’y rend) pour en opérer l’annexion « par tous les moyens ».
A bas bruit, les gouvernements européens prennent cette affaire très au sérieux. Le gouvernement autonome du Groenland et le gouvernement danois protestent, l’ambassadeur US à Copenhague est convoqué, l’UE proteste, Macron proteste. Le Danemark considère enfin ouvertement les Etats-Unis comme un pays hostile.
A bas bruit aussi, dans le cadre d’opérations d’entrainement aux conditions arctiques, la France a déplacé une petite flotte ces derniers mois, devant Nuuk, capitale du Groenland, et au large de ce pays dépourvu de moyens de défense …
Notons d’ailleurs que le discours de Vance (n°2) à l’America Fest (rassemblement de Turning Point USA à Phoenix vendredi dernier) était violemment anti-européen, comme le dernier discours du n°2 de Poutine, Patrouchev, l’un et l’autre sortant au même moment.
Et c’est en fait sur la ligne de Vance – et de Patrouchev ! – que la seconde provocation s’ensuivit : l’interdiction de séjour aux Etats-Unis de plusieurs responsables de l’UE, à commencer par Thierry Breton. L’ancien directeur de Thomson, promoteur de la privatisation de France Telecom, ancien ministre de Chirac et Raffarin, et ancien commissaire européen, est un digne représentant du capitalisme français et de ses secteurs les plus mondialisés. Gouvernements et médias européens ont protesté, mais n’ont guère relevé les termes exacts du communiqué du Département d’Etat : « Announcement of Actions to Combat the Global Censorship-Industrial Complex », une expression complotiste que l’on pourrait traduire à peu près par « complot globaliste de la censure industrielle ». Deux autres puissances impérialistes déjà ont ainsi prétendu être victimes d’un « complot mondial » : l’Allemagne de Hitler et la Russie de Poutine …
Cet emballement « diplomatique » fait suite aux mesures annoncées de contrôle de l’activité de chacun sur les réseaux sociaux depuis 5 ans, pour pouvoir entrer aux Etats-Unis : ce n’est pas qu’à Thierry Breton que les Etats-Unis se ferment !
Comme l’écrit le socialiste belge Rudy Demotte :
« Ce qui se met en place aujourd’hui aux frontières étasuniennes n’est ni une innovation technique parmi d’autres, ni un simple durcissement des contrôles que l’on pourrait attribuer aux inquiétudes d’un monde instable. C’est une mise à nu, au sens le plus littéral, mais déplacée : non plus exercée sur le corps visible, mais sur ce qui, désormais, tient lieu d’identité réelle – nos données, nos relations, notre mémoire numérique, parfois accumulée sur une décennie entière comme on empile des archives en se persuadant qu’elles ne serviront jamais qu’à soi. (…)
La frontière ne contrôle plus, elle dissèque. (…)
La première couche que l’on retire est celle de l’expression. (…)
Les textes prévoient la collecte d’informations détaillées sur les parents, les enfants, les frères et sœurs : noms, dates et lieux de naissance, adresses, parfois coordonnées. Comme l’a relevé Le Monde, l’individu devient ainsi le dépositaire administratif de la vie privée de ses proches, lesquels n’ont pourtant rien sollicité et rien consenti. »
Macron et Lecornu ont, discrètement, déplacé une petite flotte française vers le Groenland. Mais le même Macron s’empresse de répondre « Oui » à Poutine dès que celui-ci lui propose des négociations séparées, histoire de faire passer l’impérialisme français en talonnettes pour la superpuissance qu’il n’est plus depuis longtemps. Pire encore, comme l’indique également Rudy Demotte dans son message diffusé sur les réseaux sociaux : l’entreprise US de surveillance qui va vous scanner, vous disséquer, à la « frontière », c’est Palantir, fondée par le milliardaire fou Peter Thiel, l’homme clef de Trump n°II et de J.D. Vance. Mais à qui … la DGSI française s’est-elle adressée pour la collecte et le traitement de ses données ? A Palantir !
Mais revenons à Trump. Venezuela, Caraïbes, Groenland : ces provocations et ces menaces d’agression visent bien entendu à l’hégémonie sur le double continent américain dans le cadre d’une proposition de partage du monde faite à Moscou et à Beijing, proposition désignant l’Europe comme l’espace à soumettre. Aux lignes d’affrontement attendues entre grandes puissances – Ukraine que beaucoup font encore passer pour le lieu d’affrontement Occident-Russie, ce qu’elle n’est pas, et crise attendue à Taiwan et en mer de Chine-, ainsi qu’à la Palestine, les Etats-Unis de Trump ajoutent une série de diversion inflammables, Venezuela, Groenland … et viennent, dans la nuit du 25 au 26 décembre, d’y ajouter l’Afrique.
En effet, des missiles US envoyés depuis le golfe de Guinée ont frappé le Sokoto, au Nord du Nigéria, officiellement avec l’accord du gouvernement nigérian. On ignore l’étendue des dégâts, la seule indication étant les cris de triomphe de Trump se réjouissant du grand nombre de morts. Il a en outre pondu un message de Noël à ce sujet. Un premier message disait « Joyeux Noël même à la racaille de gauche », le suivant dit « Joyeux Noël même aux terroristes morts ».
Il semble que c’est l’ « Etat islamique » (ISIS ou Daesh), c’est-à-dire l’organisation régionale Boko Haram qui lui a « fait allégeance » en mars dernier, qui était visé, ou plus précisément la milice d’origine peule Lakurawa. L’islamisme au Nord du Nigéria comme ailleurs et peut-être encore plus est un mouvement ultra-réactionnaire et oppressif, particulièrement envers les femmes, mais telle n’est pas la préoccupation de Trump : l’intervention US se place explicitement, symétriquement aux discours de Boko Haram, sur un terrain « religieux », et n’est en aucun cas pacificatrice : tout au contraire, elle va aggraver la crise organique du Nigéria en poussant à la guerre de religion qu’aucun des peuples de ce pays ne veut.
La fébrilité incendiaire du trumpisme est à la mesure des fissures qui le menacent. Pendant ce temps en effet, la Cour suprême, par 9 voix contre 3, avec donc un revirement de 3 des juges dits « ultra-conservateurs » nommés par Trump lui-même, a condamné le déploiement de la Garde nationale à Chicago.
L’accélération de la crise aux Etats-Unis et de l’instabilité internationale vont surplomber toute la situation politique début 2026. Même les élections municipales, hé oui !
Vincent Présumey, 26/12/2025.