Nous reproduisons ci-dessous une interview de Maksym Butkevych, militant ukrainien des droits humains, libertaire, forcément connu de nos lecteurs réguliers : après avoir coordonné la campagne pour la libération d’Alexandre Koltchenko et Oleg Sentsov, il fut prisonnier de la Russie après s’être engagé dans l’armée ukrainienne lors de l’invasion, et il a fallu faire campagne pour le sauver ; il l’a été, lors d’un échange de prisonnier. Maksym est aujourd’hui, on peut le dire, devenu, sans l’avoir recherché, une autorité morale en Ukraine et au delà. Nous avions diffusé les premières interventions de Maksym libéré, mais là, il a eu le temps de récupérer et de prendre du recul, d’où l’intérêt supplémentaire de cet entretien. Cette interview a été réalisé par la chaine Svoboda, d’où viennent les deux photos illustrant cet article, et la traduction, du russe, est due à Perrine Poupin, que nous remercions. La rédaction.

Deux remarques encore sur des termes traduits. « Télémarathon » traduit le canal centralisé d’informations sur la guerre dans les principaux médias ukrainiens. Quand au mot russe tapik, tout lecteur algérien ou français se rappellera son équivalent : c’est la « gégène » de Massu et de Le Pen père …

« Le régime de Poutine n’est pas tombé du ciel »

Maksym Butkevych est un journaliste et défenseur des droits humains ukrainien. En 2022, il s’est porté volontaire pour aller au front, a été capturé par l’armée russe et a passé plus de deux ans en captivité en Russie. La propagande russe qualifiait Butkevych de « nazi » et de « commandant d’un détachement punitif ». En 2024, il est revenu en Ukraine à la suite d’un échange et, en 2025, il a reçu le prix Václav Havel. Après son retour de captivité, Boutkevitch a raconté les conditions de détention cruelles dans les camps russes et les violences directes dont lui-même et d’autres prisonniers ukrainiens ont été victimes.

Sur la chaîne de télévision « Nastoyashchee Vremya », Maksym Boutkévitch a parlé des tortures et des viols subis en captivité, des « bons Russes », de la responsabilité des Russes dans la guerre, des actions du Centre territorial de recrutement en Ukraine et de la politique de Volodymyr Zelensky.

— Cette année, vous avez reçu le prix Václav Havel. Vous vous rendez souvent à divers événements et conférences où vous croisez des Russes qui ont quitté le pays et s’opposent au régime. Quelles sont vos relations avec eux ?

— Elles varient d’une personne à l’autre. Pour commencer, je tiens à dire que j’ai toute une série de collègues et d’amis russes, hommes et femmes, qui ont été ou sont encore impliqués d’une manière ou d’une autre dans le mouvement de défense des droits humains. On me demande parfois : « Y a-t-il de bons Russes ? ». Et il ne s’agit pas de l’opposition professionnelle, mais plus généralement : y a-t-il de bonnes personnes parmi les Russes ? Pour moi, cette question n’a pas de sens. Notamment parce que lorsque j’ai été autorisé à recevoir des colis et du courrier pendant ma captivité, cela a été possible avant tout grâce à des personnes en Russie. Elles l’ont fait, il y a des gens comme ça là-bas. Il y a ceux qui travaillent non par peur, mais par conscience. Ils agissent en essayant de défendre les droits de l’homme. Souvent, ils le font en silence, avec persévérance, en serrant les dents. Simplement parce qu’ils sont convaincus que quelqu’un doit faire ce travail. Je ne peux qu’admirer ces personnes. Et il y a des personnes, d’origine russe, qui se penchent sur la question de la responsabilité de la population russe dans ce qui s’est passé, dans l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, et qui se penchent sur la question de la culpabilité. Ce sont des questions très difficiles.

— As-tu une réponse à la question de la culpabilité et de la responsabilité ?

— Il y a une responsabilité. Et elle ne s’inscrit pas nécessairement dans un cadre juridique. Le philosophe allemand Karl Jaspers, qui a donné une série de conférences sur la culpabilité de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, a souligné qu’il existe une responsabilité juridique, mais aussi une responsabilité éthique et métaphysique.

— Qui est responsable ?

— La responsabilité incombe à ceux qui ont contribué à cette guerre agressive ou qui n’ont rien fait pour l’empêcher, l’arrêter ou aider ses victimes.

— Et qui est coupable ?

— Cela dépend du degré de responsabilité. En premier lieu, la culpabilité incombe à ceux qui ont déclenché la guerre et l’ont activement soutenue. Je note que Hannah Arendt, une autrice qui s’est beaucoup intéressée à cette question, a écrit que si l’État agit au nom de ses citoyens, ceux-ci partagent la responsabilité des actions de cet État. Que vous le vouliez ou non. La seule façon d’échapper à cette responsabilité est de renoncer à sa citoyenneté.

Pour revenir à ta question, c’est sûr que j’ai plus de facilité à trouver un terrain d’entente avec les Russes qui non seulement comprennent ce qui s’est passé le 24 février 2022, ce qui s’est passé en février 2014, à qui appartient la Crimée, mais qui comprennent aussi que la Russie essaie de se reconstruire comme l’empire qu’elle a toujours été. Car la Russie sans l’Ukraine n’est pas une empire, c’est le royaume de Moscou. Bon, plus la Sibérie, en quelque sorte. L’histoire a fait que la Russie tend vers la forme impériale.

Et si l’on parle d’une Russie non impériale, il faut changer le format même de son existence. C’est avec ceux qui sont d’accord avec cela que je m’entends le plus facilement. Le plus difficile pour moi est de trouver un terrain d’entente avec les Russes – je ne parle pas ici des pro-Poutine, avec lesquels il n’y a par définition aucun terrain d’entente possible – qui disent que le tsar est mauvais, que les boyards sont mauvais, mais que le peuple est bon. Que toute la responsabilité incombe au « régime criminel » et que le peuple « ne veut pas la guerre ». Qu’il suffit de remplacer les mauvais par les bons, et alors tout ira bien.

— En quoi, selon toi, ont-ils tort ?

— Le régime de Poutine n’est pas quelque chose qui est tombé du ciel. C’est le fruit et la réponse à une demande bien précise d’au moins une partie importante de la société russe. Aujourd’hui, des forces mythiques, en harmonie évidente avec les actions impérialistes agressives des dirigeants russes, sont depuis longtemps réveillées et actives dans la société russe. Le reste de la société est passif. Pas tout le monde, mais une grande partie. Elle ne se considère pas responsable des horreurs commises par la Russie en Ukraine. Elle estime notamment que, puisqu’elle n’a pas de liberté, elle n’a pas non plus de responsabilité. Mais la responsabilité existe toujours.

— Même sans liberté ?

— Je pense qu’il existe tout de même une certaine marge de liberté. La liberté de ne pas être d’accord demeure. Sous quelles formes cette désapprobation se manifeste-t-elle ? C’est une autre question.

— Passons à ta propre privation de liberté. En Ukraine, tu es un défenseur des droits de l’homme connu, tu t’es toujours occupé de tous les opprimés. Comment, avec de telles convictions, as-tu pu prendre les armes ?

— Parce que c’est aussi une forme de protection, aussi étrange que cela puisse paraître. Parce que je comprenais parfaitement que si la Russie gagnait, il n’y aurait tout simplement plus de défense des droits humains, ce serait la fin. Au fil des années, grâce à notre travail de plaidoyer, à nos manifestations et à notre action éducative, nous avons tout de même réussi à obtenir beaucoup de choses. Nous nous en sortons très bien, surtout par rapport à la grande majorité des autres pays de l’ex-Union soviétique. Nous avons la liberté de réunion pacifique, la liberté d’expression, la protection contre la discrimination, la liberté politique, l’activisme civique. Tout cela aurait tout simplement disparu si la Russie avait pris le dessus. Et il n’aurait bien sûr été question d’aucune défense des droits humains. Tout le peuple ukrainien aurait été lésé. En réalité, il était clair dès le début qu’il s’agissait de détruire l’Ukraine en tant que telle. Il fallait défendre les droits humains. La seule façon d’y parvenir à ce moment-là était de prendre les armes.

— As- tu déjà tué quelqu’un ?

— Je ne me suis jamais retrouvé dans une situation où j’aurais été directement confronté à des tirs ennemis. L’artillerie nous bombardait principalement. Nous devions nous terrer dans le sol.

— Tu t’es demandé si tu étais moralement prêt à tuer ?

— Oui. J’y ai pensé à plusieurs reprises. Je comprenais que cela représentait un certain problème pour moi et que je devrais faire face à ce problème après avoir accompli cet acte nécessaire.

— Tu as été fait prisonnier à l’été 2022. Dans l’une des premières vidéos publiées par les propagandistes russes, tu racontes comment cela s’est passé : « À ce moment-là, nous étions déjà sans eau depuis 24 heures, l’état du personnel était critique, nous n’avions plus rien à manger depuis longtemps. C’est alors qu’un des deux éclaireurs qui nous avaient amenés la veille est venu nous voir. Il nous a informés que nous étions encerclés et qu’il fallait nous rendre au point de rendez-vous avec lui le plus rapidement possible. [Lorsque nous sommes sortis], cet éclaireur nous a dit que nous étions complètement encerclés, qu’il était prisonnier et que nous étions dans leur ligne de mire. En fait, c’est votre frère d’armes, un militaire ukrainien, qui vous a livré aux ennemis. Savez-vous ce qu’il est devenu ?

-D’après les dernières informations dont je disposais, au printemps ou à l’été dernier, je crois, il était toujours prisonnier.

— Que ressens-tu à son égard ?

— Je souhaite de tout cœur qu’il soit libéré le plus rapidement possible. Je souhaite cela à tous nos prisonniers, quels qu’ils soient. J’ai ressenti un certain malaise, car nous avons ensuite partagé la même cellule pendant un certain temps. Il était évident qu’il ne voyait aucun problème dans ce qu’il avait fait. Mais il y avait autre chose. En plus du fait qu’il avait bien sûr été battu après sa capture…

— Les Russes ?

— Les Russes, oui. Ils lui ont dit que s’il nous livrait comme prisonniers, il nous sauverait la vie. À ce moment-là, toute la région était déjà encerclée et ils avaient commencé le nettoyage. Et il disait qu’il nous avait sauvé la vie. C’est peut-être vrai.

— Raconte-moi comment tu as été violemment battu pour la première fois.

— C’était encore sur la route vers Louhansk, le lendemain de notre capture. C’était l’un des officiers russes, manifestement le commandant, car ses ordres étaient exécutés sans discussion par les autres. Il essayait sans cesse de provoquer les prisonniers pour qu’ils fassent une déclaration imprudente, aient une réaction émotionnelle, il les humiliait, les insultait. Quand il entrait dans la pièce où nous étions détenus, nous devions nous mettre à genoux, les mains derrière le dos.

J’étais le seul officier, le commandant de la plupart des gars qui se trouvaient là. Cet officier russe est entré avec un soldat des forces spéciales et m’a dit que celui-ci partait en mission pour tuer mes frères d’armes et que je devais lui souhaiter bonne chasse. Je pense qu’il avait l’intention de filmer la scène. J’ai répondu que je ne pouvais pas faire cela. À la question « pourquoi », j’ai répondu qu’en tant qu’officier des forces armées ukrainiennes, je ne pouvais pas souhaiter bonne chasse à un soldat des forces spéciales russes.

Il est revenu avec un bâton en bois et a déclaré que nous allions maintenant apprendre l’histoire de L’Ukraine. Il a sorti son téléphone portable de sa poche et a commencé à lire un texte dont le contenu ressemblait beaucoup au discours de Vladimir Poutine. C’était la version russe de l’histoire de l’Ukraine. Elle disait que la Russie avait formé l’Ukraine moderne à l’intérieur de ses propres frontières. Après avoir lu deux ou trois phrases, il désignait du doigt un prisonnier de guerre agenouillé devant lui, qui devait répéter mot pour mot, sans bafouiller, le passage qu’il venait de lire. Si quelqu’un bafouillait, marquait une pause, confondait des mots ou oubliait des noms géographiques, je recevais un coup de ce bâton en bois sur l’épaule.

— Donc, ce n’était pas ton subordonné qui était battu, mais toi ?

— C’est moi qu’ils ont frappé, moi seul pour tous. En tant qu’officier, en tant que commandant. À un moment donné, j’ai compris qu’il allait me casser l’épaule. Il a dit qu’il ne le ferait pas. Il avait raison. Il était clair que ce n’était pas la première fois qu’il faisait ça. Il savait exactement où frapper. Ma main a enflé, puis est devenue rouge, comme un bloc de bois gonflé, et pendant trois semaines, j’ai eu du mal à m’en servir. Puis j’ai commencé à perdre connaissance à cause de la douleur. J’ai tenu bon pendant un certain temps, sachant que si je perdais connaissance, il s’en prendrait à quelqu’un d’autre. Mieux vaut qu’ils frappent un seul plutôt que deux, pensais-je. Puis ils ont commencé à nous préparer pour nous charger dans des camions. Je garde des cicatrices de cette agression. Je porte en moi la version poutinienne de l’histoire de l’Ukraine. Mais ensuite, il a quand même enregistré une vidéo avec nous. Il a sorti son téléphone, nous a ordonné de dire « Gloire à la Russie » et « Nous souhaitons bonne chasse aux forces spéciales russes, désolés de ne pas l’avoir fait ce matin ».

— Beaucoup de prisonniers libérés racontent avoir subi des violences sexuelles pendant leur captivité ou leur détention en Russie. As-tu reçu de telles menaces ?

— Oui, pendant ce premier interrogatoire dans le cadre de l’affaire pénale. Après un coup au foie. Et ce coup était un coup de poing, bien placé, avec un élan, et il [celui qui menait l’interrogatoire] avait un gant tactique avec des boules métalliques. Ça coupe le souffle. Les larmes montent aux yeux. C’est très douloureux. Et là, l’un des interrogateurs s’est penché vers moi et m’a dit à l’oreille : « Si tu pleures maintenant, je te (traduction d’un mot grossier en un mot correct) fourrerai mon pénis dans la bouche. » Après cela, il a commencé à raconter à son collègue (en comptant manifestement sur le fait que je l’entendais) comment, quelques jours auparavant, dans ce même bureau, il avait violé analement deux soldats étrangers de l’armée ukrainienne avec une matraque électrique. Et il lui a demandé s’il avait déjà vu de tels exemples auparavant. Son interlocuteur a répondu que non. Il a dit : « Eh bien, si tu as de la chance aujourd’hui, tu vas en voir ». Voilà le genre de menaces qui ont été proférées.

— Quelle est la torture la plus horrible dont vous ayez entendu parler ? Ou dont vous ayez été témoin ?

— Tout le monde s’accorde à dire que le plus horrible, c’est le courant électrique. Il s’agit soit d’un « tapik », soit d’une machine permettant de faire exploser des mines à distance, qui fonctionne également à l’électricité.

Le « tapik » est le plus souvent utilisé. Il s’agit d’un téléphone militaire de campagne qui fonctionne grâce à une manivelle qui, lorsqu’on la tourne, actionne une machine à dynamo qui produit du courant électrique. Ainsi, les fils reliés à un autre téléphone assurent la communication. Mais les fils peuvent être connectés non pas à un téléphone, mais aux pouces des mains et des pieds, aux parties génitales, aux narines, aux oreilles, ou encore insérés dans l’anus. Et, en fait, cela était fait de manière systématique et régulière à un nombre assez large de personnes.

Heureusement, je n’ai pas vécu cela, on m’a seulement menacé, on m’a mis un « tapik » devant moi, mais on ne l’a pas utilisé. Cette douleur est décrite comme pratiquement insupportable. Surtout si on asperge la personne d’eau en même temps. Et, bien sûr, il y a les violences sexuelles, qui sont terribles : ils violaient les gens avec divers objets, des matraques, des bouteilles vides.

— Est-ce une pratique courante ?

— En tout cas, j’en ai entendu parler à plusieurs reprises [par d’autres prisonniers].

— Nous, les journalistes, regardons souvent les vidéos publiées par les propagandistes, notamment les soi-disant « aveux » et « expériences d’enquête ». De telles vidéos ont également été publiées avec ta participation. Raconte-nous comment elles sont enregistrées.

— Lorsque les soi-disant enquêtes ont eu lieu, tout était très simple. On nous a conduits à l’endroit où, selon leur version, j’avais commis le crime dont on m’accusait. Le dossier pénal indiquait que le 4 juin 2022, j’avais aperçu deux habitantes locales dans la ville de Severodonetsk. Et comme elles étaient originaires du Donbass, j’avais décidé de les tuer à l’aide d’un lance-grenades. Mais j’étais tellement mauvais tireur au lance-grenades que j’ai raté mon coup et que je ne les ai que blessées, tout en endommageant le cadre de la fenêtre. Mais le 4 juin, j’étais à Kyiv ! Et il existe de nombreuses preuves à cet égard. Notre unité n’a jamais été à Severodonetsk pendant la guerre totale. Je n’aurais donc pas pu commettre cet acte. Cependant, ces femmes semblent bien exister. Elles ont effectivement été blessées. Mais elles ont été blessées, comme le montrent clairement les pièces du dossier pénal, à la suite d’un tir de mortier sur leur quartier par les forces russes.

— Et voici l’expérience menée par l’enquêteur, qui vous conduit à cette maison…

— On m’emmène là-bas, on m’attache avec des menottes à un policier militaire russe. On m’amène devant la maison et on me dit : « Lève la main, montre cette fenêtre ». Puis on me fait traverser la rue : « Baisse la main, montre ce trou ». C’est tout. Et puis il y a eu ce qu’on appelle un entretien, après la condamnation. Deux représentants du Comité d’enquête de la Fédération de Russie sont arrivés. L’un d’eux était en tenue de camouflage et cagoulé, avec l’inscription « Comité d’enquête » dans le dos. Le second était en civil. Ils m’ont donné une feuille avec des questions et des réponses, m’ont dit d’apprendre les réponses, de poser la feuille devant moi et, dans la mesure du possible, sans la consulter, de donner les réponses préenregistrées aux questions préenregistrées. À ma question de savoir quand et où cela serait diffusé, ils ont répondu que c’était pour leurs archives. Bien sûr, quelques jours plus tard, je l’ai vu sur NTV.

— Max, qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi sur le plan moral pendant ces deux ans et demi d’emprisonnement ?

— La première chose, c’est quand j’ai finalement accepté de signer un témoignage contre moi-même. C’était une décision très difficile à prendre. Parmi les options qui m’étaient proposées, c’était sans aucun doute la plus rationnelle. Je ne comprenais pas à quel point ceux qui m’interrogeaient bluffaient lorsqu’ils proféraient leurs menaces.

— De quoi t’ont-ils menacé ?

— Ils m’ont menacé de m’abattre immédiatement dans la cour du centre de détention provisoire. Ils m’ont menacé de m’emmener sur le lieu de notre enquête et de m’abattre si je tentais de m’enfuir. Ou bien, ils m’ont dit qu’ils m’enfermeraient dans une cellule avec des détenus qui coopèrent avec l’administration et qu’ils leur donneraient pour instruction de me maltraiter. Et que chaque matin et chaque soir, je maudirais ma décision de ne pas coopérer. Que je ne serais pas échangé. Et que si jamais je sortais de là, je serais brisé physiquement et moralement. Une autre option m’a été proposée : « Tu signes, nous te condamnons comme criminel de guerre et nous t’échangeons très rapidement. »

— Tu as choisi la deuxième option ?

— Oui. Parce que je comprenais que ces gens pouvaient causer beaucoup de tort. Sortir vivant et, si possible, indemne de la captivité est l’une des principales tâches qui incombent à tout prisonnier. En outre, je croyais, je comprenais et j’espérais que mes aveux en captivité en Ukraine ne seraient pas pris au sérieux. Néanmoins, cette décision était difficile à prendre. Pendant longtemps, je me suis demandé si j’avais pris la bonne décision. Et puis, il y avait aussi la question de savoir ce qui avait été le plus difficile. Bien sûr, la première période de captivité a été particulièrement difficile, dans la partie du centre de détention provisoire de Lougansk où étaient détenus les prisonniers de guerre.

Le plus dur était le sentiment de peur. Pas la douleur, mais précisément la peur, comme l’attente de la douleur. Elle était commune à nous tous. Je n’avais probablement jamais éprouvé autant de nuances de peur que celles que j’ai ressenties là-bas. Je craignais qu’à un moment donné, ce ne soit plus moi qui contrôle ma peur, mais elle qui me contrôle. Heureusement, cela ne s’est pas produit.

— Avez-vous reçu des informations pendant votre captivité ? Comment avez-vous appris ce qui se passait ?

— Pendant les neuf premiers mois, je ne savais rien de ce qui se passait. Nous étions détenus incommunicado (en isolement total, sans correspondance ni aucun contact avec le monde extérieur – NV) jusqu’à ma condamnation effective. Puis, une fois condamné, j’ai été transféré dans une autre partie de la prison, où étaient détenus les accusés criminels. Ils avaient une télévision qui fonctionnait 24 heures sur 24. Il était parfois possible d’obtenir quelques bribes d’information à partir de ce flux de propagande.

Parfois, par exemple, les journaux télévisés rapportaient avec bravoure les progrès des troupes russes victorieuses près de telle ou telle localité, infligeant des pertes aux unités des « nazis ukrainiens », comme le disaient les propagandistes russes. Et on comprenait alors que cette localité était toujours sous notre contrôle ! Ou encore, lorsque le putsch de Prigojine a eu lieu, un bandeau défilant est soudainement apparu au milieu du documentaire, appelant tous les combattants de la société militaire privée Wagner à ne pas exécuter les ordres criminels. Nous avons alors compris que quelque chose se passait. Mais il fallait bien sûr deviner beaucoup de choses.

— Je veux que tu me racontes comment tu as réussi à donner des cours aux autres dans ce contexte.

— Oui… Je pratiquais certaines techniques mentales : composer des textes dans ma tête dans différentes langues, rédiger des prières. Notamment en anglais. Et dans l’une des cellules, nous avons commencé à apprendre l’anglais. Je n’avais jamais enseigné cette langue auparavant. Mais dans ma cellule, j’avais des étudiants. Et l’un d’entre eux, le plus assidu, a fait de bons progrès. À la fin, il décrivait des situations imaginaires en anglais : comment il faisait des visites guidées dans une ville médiévale européenne, puis entrait naturellement dans un pub et commandait un whisky. Même si nous n’avions ni textes à lire, ni stylos ni papier pour écrire, cela fonctionnait quand même.

— Qui est ton élève ?

— C’est un officier supérieur de la police nationale ukrainienne, à la retraite. Il était en détention préventive.

— Il a été libéré, le sais-tu ?

— Je ne sais pas, malheureusement.

— Quel a été ton premier désir après la captivité ?

— La première chose qui m’a frappé après la captivité, c’est la douche. Une douche où l’on peut régler la pression et la température, où l’eau ne coule pas en jet sur la tête, mais à l’aide d’un pommeau. Et où il n’y a pas une file d’hommes nus qui attendent que vous vous mouilliez légèrement pour ensuite vous savonner, mais où vous pouvez simplement vous tenir debout et sentir les jets d’eau couler sur votre peau. En plus, tu peux mettre de la musique qui ne résonne pas dans ta tête, mais qui vient de l’extérieur – ça m’a mis dans un état de choc positif.

— Max, tu as participé à la Révolution du granit, à la Révolution orange et à la Révolution de la dignité. À chaque fois, les gens sont descendus dans la rue pour défendre leur droit de vivre dans un pays démocratique avec des valeurs européennes. Et voilà que tu sors de captivité en Russie, et en Ukraine, le président et le parlement tentent de limiter les pouvoirs des organes anticorruption (NABU et SAP), il y a le téléthon « Єдині новини » (« Nouvelles unifiées »). L’opposition, représentée par l’ancien président Petro Porochenko, accuse Zelensky d’usurpation du pouvoir. Y a-t-il des signes d’usurpation du pouvoir par Volodymyr Zelensky ou son équipe ?

— Il est évident qu’il y a eu une certaine centralisation des décisions. Mais je ne vois rien qui puisse être qualifié d’« usurpation ». Car l’usurpation, c’est l’appropriation illégale et la concentration du pouvoir. À mon avis, seuls les partisans des discours russes peuvent actuellement parler de cela, car tout est légal et légitime. Et le fait qu’il ne puisse y avoir d’élections dans des conditions de loi martiale et d’occupation d’une partie du pays est un fait. Et puis, entendre de tels discours, c’est tout simplement merveilleux ! Car quand on vit dans le champ d’information de la télévision russe, où l’on entend sans cesse « nous gagnons », « nous allons de l’avant », « nous avons un grand leader qui nous guide de manière infaillible et irréprochable »… On y entend constamment : « Bien sûr, il y a des corrompus ici et là, mais Poutine est au-dessus de toute critique, et nos vaillantes forces de l’ordre s’occupent des corrompus. Nous sommes encerclés par des ennemis qui veulent nous détruire, mais nous ne les laisserons pas faire, nous leur montrerons à tous, tout va bien chez nous, et ça ira encore mieux. Là-bas, Sobianine ouvre un nouveau cercle, et les succès sur le front sont impressionnants. Et cela 24 heures sur 24.

Et puis tu sors, tu te retrouves en Ukraine, et là, les titres parlent d’« horreur et de cauchemar », de « corruption dans le pays », de « restriction des droits et libertés », de « procureurs qui achètent leur incompétence » … Et vous comprenez que c’est la liberté d’expression. Hourra.

— Je ne poserai pas de question sur la liberté de réunion, car nous avons tous vu les récentes « manifestations avec des panneaux en carton » [manifestations de masse de la jeunesse contre la corruption et en défense des agences anticorruption et de la séparation des pouvoirs, NDR], qui ont rassemblé des milliers de personnes…

— Oui, et il est intéressant de noter que les autorités n’ont même pas tenté de les disperser, de les interdire, de les empêcher de se réunir ou quoi que ce soit d’autre…

— Oui, je n’ai pas de questions à ce sujet. Mais il existe dans le pays le “télémarathon Edyny Novyny” (“Nouvelles unifiées”) : toutes les chaînes de télévision qui appartenaient à différents oligarques sont regroupées en une seule chaîne. Et selon les témoignages de journalistes licenciés, de l’opposition et de diverses organisations de surveillance, l’opposition ayant un point de vue différent ou toute personne critiquant le pouvoir n’y est pas admise. Peut-on parler de liberté d’expression totale dans de telles conditions ?

— Nous n’avons bien sûr pas une liberté d’expression totale, et cela ne peut pas être le cas, surtout en temps de guerre. En effet, nous avons l’interdiction de divulguer certaines informations. Même ceux qui auraient besoin de ces informations pour leur travail n’y ont souvent pas accès. Mais cela se justifie en temps de guerre, que voulez-vous. Dans un contexte de centralisation du système décisionnel, il y a inévitablement une certaine influence sur le paysage médiatique, bien sûr. En principe, il n’y a probablement aucun domaine chez nous où tout est parfait. Mais chez nous, tout va plutôt bien, et il y a certainement des choses auxquelles nous pouvons aspirer.

En même temps, toutes les plateformes médiatiques qui ne dépendent pas du « télémarathon » sont assez libres et se développent assez librement. De plus, dans notre pays, la télévision ne joue pas du tout le même rôle qu’en Fédération de Russie. Là-bas, le contrôle de la télévision équivaut au contrôle des esprits, et Internet est secondaire. Étrangement, Internet est davantage un divertissement pour la grande majorité de la population. Ce n’est pas le cas chez nous. Chez nous, Internet est avant tout une source d’information. La télévision est importante, mais elle n’est pas monopolistique ni le principal moyen de formation de la conscience. C’est pourquoi, même si nous voulions utiliser le « marathon unique » pour vraiment serrer les vis dans les têtes, cela ne fonctionnerait tout simplement pas.

— En tant que personne qui travaille dans les médias depuis de nombreuses années, pensez-vous qu’il faille mettre fin à l’histoire du « télémarathon » ?

— Il n’y a pas de mal à se faire plaisir. J’aime beaucoup cette citation de la poète et chanteuse américaine Ani DiFranco : « Chaque instrument est une arme, si on le tient correctement ». Au début de l’invasion à grande échelle, le télémarathon était nécessaire pour harmoniser la diffusion de l’information et s’entraider, étant donné que de nombreuses rédactions n’étaient pas en mesure de fonctionner à plein régime. Est-ce encore nécessaire aujourd’hui, après plus de trois ans et demi de guerre à grande échelle ? Honnêtement, je ne vois pas cette nécessité.

— Il existe en Ukraine un problème majeur qui, à mon avis, polarise la société ukrainienne : le travail du Centre territorial de recrutement. Les gens discutent constamment des vidéos montrant le travail des employés du Centre territorial de recrutement. Pour être honnête, il faut noter que ces vidéos sont souvent diffusées par les médias de propagande russes. Mais il n’en reste pas moins qu’il existe des cas où des agents du Centre territorial de recrutement abordent des hommes dans la rue et recourent à la force physique, outrepassant clairement leurs pouvoirs. Voyez-vous un problème à cela ? Et si oui, voyez-vous comment le résoudre ?

— Honnêtement, je ne me considère pas comme un expert dans ce domaine. C’est un problème. Il s’agit plutôt de plusieurs problèmes entremêlés. Dans le domaine de l’information, on a l’impression que cela se produit couramment en Ukraine. Mais, honnêtement, je n’ai été témoin d’aucun cas de « busification » cette année (d’ailleurs, je n’aime pas le mot « busification »). Et je vis en Ukraine.

Oui, j’ai des connaissances qui se sont retrouvées dans les forces de défense de cette manière. Mais elles étaient prêtes à cela. Lorsque mes collègues étrangers viennent à Kyiv, ils me demandent : « D’où viennent tous ces hommes qui se promènent dans vos rues ? ». En effet, mes amis et amies qui combattent depuis 2022-2023 m’écrivent souvent : « Je n’aime pas venir à Kyiv, car il y a beaucoup de ressources mobilisables dans les rues ». Et je leur réponds que je ne sais jamais qui sont ces personnes, dans quelle mesure leur présence ici est justifiée et légitime.

En tout cas, d’un côté, je pense qu’il y a un problème de communication. Et le recours à la force pour mobiliser les gens n’est, à mon avis, pas assez réfléchi, c’est le moins qu’on puisse dire. Récemment, on a commencé à utiliser des caméras embarquées (caméras à la poitrine – NV) dans le travail et à enregistrer les actions des employés du Centre territorial de recrutement. À mon avis, c’est un bon pas en avant. Au moins, les critiques atteignent quelqu’un sous cette forme. Mais est-ce que ça résout le problème ? Non.

— Parce qu’il y a un autre problème : le manque de personnel dans l’armée.

— Oui, bien sûr. Cela s’explique par le fait que, excusez-moi, en termes de ressources humaines (je n’aime pas non plus cette expression), nous ne sommes pas comparables. La guerre pour la survie contre la Russie est une guerre contre un ennemi qui dispose de ressources incomparablement supérieures.

Mais, encore une fois, pourquoi est-ce que je parle d’un manque de communication ? Après tout, il s’agit ici de la motivation de ceux qui s’engagent encore dans les forces de défense, de la manière dont cela se passe et du fait que nous ne connaissons toujours pas nos pertes, les chiffres exacts étant classés secrets. Mais les ressources propagandistes russes créent l’image selon laquelle s’engager dans les forces de défense ukrainiennes revient presque à coup sûr à être tué ou blessé. Ceci est bien sûr totalement faux, c’est un mensonge. Donc, oui, ce problème doit être résolu, il faut peut-être changer l’approche même de la mobilisation, mais je serais trop présomptueux si je disais maintenant que je sais comment.

— Au fait, as-tu déjà rendu visite cette année aux Russes qui sont prisonniers en Ukraine ?

— Oui, je n’en ferai pas un secret. J’ai visité l’un des centres de détention des prisonniers de guerre russes en Ukraine. Bien sûr, je voulais comparer les conditions dans lesquelles ils se trouvent avec celles dans lesquelles nous nous trouvions. Dire que la différence est évidente, c’est ne rien dire. Le contraste est frappant.

— En quoi consiste-t-il ?

— En Ukraine, toutes les colonies pénitentiaires actuelles ou anciennes se ressemblent. Les centres où sont détenus les Russes ont été créés sur la base d’anciennes institutions pénitentiaires. Les prisonniers de guerre russes ont une alimentation normale, ils ont la possibilité d’acheter des produits alimentaires et des articles de première nécessité. Ils achètent avec l’argent qu’ils gagnent en travaillant. Les gens travaillent et reçoivent un salaire en échange. Bien sûr, en Russie, ce n’était pas le cas. Dans la colonie, nous travaillions, mais il n’était bien sûr pas question de salaire.

— Avez-vous vu, savez-vous ou avez-vous entendu dire que les Ukrainiens maltraitaient les prisonniers de guerre russes ?

— Je n’ai pas entendu parler de telles situations, en tout cas en ce qui concerne les lieux de détention des prisonniers de guerre russes. D’autant plus que toutes ces institutions sont régulièrement visitées par le Comité international de la Croix-Rouge, des représentants de la Mission des Nations unies pour les droits de l’homme, d’autres organisations de défense des droits de l’homme et des représentants des ambassades. En effet, ces centres ne détiennent pas seulement des citoyens russes, mais aussi des citoyens d’autres États qui, se trouvant en Russie, sont partis combattre contre l’Ukraine. Et les représentants des ambassades de ces États y ont accès. C’est pourquoi je pense que même si l’un des employés de ces centres avait envie de manifester son hostilité, il n’en aurait tout simplement pas la possibilité.

Nous savons qu’il y a eu des rapports internationaux faisant état de cas de mauvais traitements infligés à des prisonniers de guerre russes. Il s’agit généralement de situations survenues immédiatement après leur capture. Et pourtant, pour autant que je sache, l’État ukrainien réagit à ces informations. Des enquêtes internes sont menées ou des procédures pénales sont ouvertes. Car contrairement à l’État agresseur, pour nous, le droit international humanitaire et la troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre ne sont pas des mots vides de sens.

— Imaginons : sur le front, un soldat ukrainien que les Russes voulaient tuer, dont la femme a été violée, dont la ville natale est occupée, fait prisonnier un soldat russe au combat et lui dit poliment : « Veuillez mettre vos mains derrière le dos, vous êtes prisonnier de guerre, je vais vous lire vos droits » ?

— Nous comprenons bien sûr que des excès peuvent se produire dans ce genre de situation. Si tant est qu’ils se produisent. Mais maltraiter les soldats ennemis qui se sont rendus ne sert à rien, cela ne change rien. Ce n’est pas de la justice, c’est de la vengeance, et c’est tout autre chose.

— Et toi, tu veux te venger ?

— Non, mais je veux que justice soit faite.

— Qu’est-ce qui serait juste pour toi dans cette guerre ?

— C’est un concept très complexe. Il y a une composante juridique. Pour moi, il est important que ceux qui ont pris part à la guerre aux côtés de l’État agresseur, ceux qui ont donné des ordres criminels, ceux qui ont commis des actes génocidaires à l’encontre des Ukrainiens et des Ukrainiennes, soient poursuivis pénalement. Qu’il y ait un tribunal pour juger les faits d’agression, ce tribunal spécial qui est actuellement en cours de création dans le cadre du Conseil de l’Europe. C’est important pour moi. Et il est important pour moi qu’une évaluation internationale appropriée soit donnée à ce qui se passe : qu’il ne s’agit pas simplement d’une guerre locale entre deux États, mais d’une guerre agressive, impérialiste et génocidaire menée par la Russie contre l’Ukraine.

— Le lauréat russe du prix Nobel, ancien rédacteur en chef du journal Novaya Gazeta, Dmitri Mouratov, a demandé aux présidents russe et ukrainien d’échanger les prisonniers politiques russes contre les Ukrainiens condamnés. Il a notamment déclaré : « S’il vous plaît, échangez vos civils : les partisans du « monde russe » emprisonnés en Ukraine contre les opposants à la guerre emprisonnés dans les prisons et les camps russes. » Que penses-tu de cette idée ?

— En tant qu’ancien condamné par la Fédération de Russie, je ne peux bien sûr que sympathiser avec les personnes qui ont été condamnées en Russie pour leur position antiguerre et, a fortiori, pour leurs actions antiguerre. Mais pour être honnête, cet appel m’a paru quelque peu étrange pour plusieurs raisons.

Premièrement, l’État doit avant tout prendre soin de ses citoyens. Actuellement, trop de citoyens ukrainiens sont emprisonnés dans les territoires occupés ou en Russie même. Et il faut bien sûr les libérer.

Le problème avec les échanges, c’est qu’on peut échanger des prisonniers de guerre. Mais les civils des territoires occupés ne devraient pas être emprisonnés. On ne devrait pas pouvoir les condamner pour leurs opinions et pour le fait qu’ils sont citoyens de leur pays. Si nous commençons à les échanger contre des citoyens ukrainiens, nous risquons d’ouvrir la boîte de Pandore : toute la population des territoires ukrainiens occupés par la Russie deviendrait alors une réserve d’échange presque infinie.

Deuxièmement, il y a cet appel étrange de dire que l’Ukraine doit rendre ses citoyens à la Russie et récupérer les Russes. Je ne comprends pas très bien comment cela pourrait se passer. J’ajouterai qu’il existe en Ukraine un programme gouvernemental appelé « Je veux rejoindre les miens ». Il a suscité des réactions assez controversées de la part de nombreux défenseurs des droits humains. Mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une initiative de l’État ukrainien : si des Ukrainiens et des Ukrainiennes condamnés pour collaboration, trahison ou coopération avec la Russie souhaitent se rendre en Russie, ils s’inscrivent dans une base de données appropriée et peuvent être extradés.

Admettons, même en acceptant un instant la proposition de M. Mouratov, d’échanger maintenant tous les prisonniers politiques russes contre tous ceux qui sont détenus en Ukraine pour collaboration avec l’ennemi. De nouveaux prisonniers politiques apparaîtront. En Russie, la machine répressive ne fait que s’accélérer, et c’est un processus sans fin. L’Ukraine doit récupérer, libérer ses citoyens, qu’il s’agisse de prisonniers de guerre ou de civils. Mais la proposition d’échanger des Ukrainiens contre des Russes me semble quelque peu étrange.

— Je vais te poser une question à laquelle, je pense, tu n’as pas de réponse. Je pense que personne n’a de réponse à cette question. Mais les téléspectateurs nous la posent sans cesse. Quand la guerre prendra-t-elle fin ?

— Je ne sais pas. Tant qu’il n’y aura pas de garanties de sécurité pour l’Ukraine, la guerre ne sera pas terminée. Dans le meilleur des cas, il y aura des trêves, après lesquelles elle se poursuivra. Il doit y avoir des mécanismes réels pour assurer la sécurité de l’Ukraine.

Et dans l’idéal, bien sûr… Que ceux qui ne sont pas d’accord avec moi me pardonnent. Je pense que la guerre doit se terminer par l’effondrement de la Russie sous sa forme actuelle. Ce serait alors une garantie de sécurité. Mais ce n’est clairement pas à l’ordre du jour pour le moment.