La photo illustrant cet article n’est pas un gag : c’est l’authentique livret « Ma première cérémonie militaire », promu par le site officiel « Solidarité défense » pour diffusion dans les écoles primaires et maternelles ! La fidélité à la tradition internationaliste et antimilitariste du mouvement ouvrier commande de ne pas faire croire qu’ainsi, est préparée la guerre (avec la Russie) : quand l’ « esprit de défense » est esprit de soumission, il devient esprit de collaboration !
Macron a donc, dans un discours devant la 27° brigade d’infanterie, à Varces, jeudi 27 novembre, présenté ce que médias et opposants appellent le « rétablissement du service militaire ».
En fait, il a affirmé que « Nos armées n’ont plus vocation à encadrer ni à accueillir la totalité d’une classe d’âge » et prôné un « modèle hybride » nullement massif, visant à recruter 3000 volontaires à l’été 2026, en visant 10 000 en 2030, 50 000 en 2035, pour un service de 10 mois « sur le territoire national », avec un mois de formation et 9 mois d’incorporation à l’armée. 80% d’entre eux auront 18 ou 19 ans, les 20% restant, censés être plus spécialisés, moins de 25 ans. Selon « l’entourage du chef de l’Etat », leur rémunération serait comprise entre 800 et 1000 euros. Attention : la mise en œuvre requiert tout de même le vote d’une loi par l’Assemblée nationale et le Sénat.
Très loin, donc, d’une remilitarisation de la société, ces annonces se rapprochent, en se situant un cran derrière, de l’évolution actuelle de l’Allemagne, qui entend recruter 20 000 volontaires en 2026. Dans les pays baltes et scandinaves, un service obligatoire a été rétabli, en raison de la menace russe, par tirage au sort d’environ 15% d’une classe d’âge masculine, le volontariat concernant les femmes, auxquelles le Danemark vient d’étendre l’obligation.
L’agression russe de l’Ukraine, les pressions des trusts industrialo-financiers de l’armement, la crainte, de la part des puissances européennes, d’un déclassement complet voire d’un écrasement entre Moscou et Washington, expliquent ces évolutions qui, en termes d’objectifs en effectifs, demeurent, en France, très limités, et absolument pas en mesure de faire face à une « vraie guerre ». Cela ne veut pas dire que Macron et nos gouvernants n’envisagent pas celle-ci, mais cela veut dire qu’ils ne veulent pas la faire … à l’ukrainienne.
Car les leçons de l’Ukraine contredisent l’orientation de Macron, comme de Merz et de Starmer. L’agression a été contenue dans le Donbass en 2014, puis stoppée et refoulée à l’échelle du pays en 2022, par un modèle hybride improvisé et imposé par la société, mais effectif, tout à fait différent de ce à quoi se réfère Macron. Tout d’abord, ce sont l’auto-organisation, le soutien des couches sociales populaires, qui portent la résistance armée. D’autre part, à l’exception des volontaires des deux sexes dans la Défense territoriale dont le rôle a été décisif temporairement, en février-mai 2022, l’armée elle-même ne recrute qu’au-dessus de 25 ans, et encore voici peu de 27 ans. Ces questions font débat en Ukraine, et se combinent aux questions liées à la lutte contre la corruption, à la discussion publique des choix d’état-major, à la tension autour du pouvoir des officiers et la syndicalisation de fait, sous différentes formes, de larges secteurs de base de l’armée. Mais le fait militaro-politique principal qui en ressort, c’est que la guerre est affaire de défense sociale collective, motivant toute la population, et en aucun cas un fardeau devant incomber à la jeunesse, avant tout aux jeunes hommes qu’il faudrait en même temps cadrer, enrégimenter et maîtriser.
Inversement, quel objectif Macron assigne-t-il, dans son discours, à l’amorce d’un recrutement élargi de jeunes volontaires ?
Il ne s’agit pas de mobilisation collective et encore moins d’autoorganisation. Mais de mise au pas de la jeunesse perçue comme manquant de « discipline ». La discipline, qui, si elle n’est pas la contrainte brutale, n’est réelle et efficace qu’en découlant de la compréhension individuelle et collective et de l’aspiration à l’émancipation et à la liberté, devient chez lui le préalable. Voici les objectifs de Macron : certainement pas se préparer à vaincre les Trump et les Poutine, mais encadrer, formater la jeunesse :
« Ils acquerront l’esprit de discipline, se formeront au maniement des armées, à la marche au pas, aux chants, à l’ensemble des rituels qui nourrissent la fraternité de nos armées et concourent à la grandeur de la nation. »
Tradition militariste et chauvine des armées d’autrefois, avec leurs « chants » (sic) et leurs « rituels » (re-sic), sont au centre d’un discours qui, comme précédemment avec le SNU, qui a échoué et c’est tant mieux, sont pour Macron et Lecornu le fondement, et ils ciblent la jeunesse pour cela.
Ce n’est pas en apprenant les chansons de la coloniale et les rituels du temps des trouffions, des bidasses et des colons, que l’on prépare la guerre du XXI° siècle contre les techno-tyrans.
Ce n’est pas en diffusant jusque dans des écoles primaires et maternelles le livret « Ma première cérémonie militaire » que l’on prépare la guerre du XXI° siècle contre le militarisme et l’oppression !
En Ukraine, point de propagande militaire envers les enfants, que l’on cherche surtout à protéger des bombardements et des traumatismes. C’est chez Poutine que les tout-petits défilent en uniformes !
Un activisme louche, visant, à l’encontre de la laïcité, à l’endoctrinement idéologique des jeunes et même des enfants, est suscité du côté des armées et de la police en direction des écoles et établissements scolaires. Ces opérations, allant jusqu’à des « imitations » de répression de manifestation, n’ont strictement rien à voir avec la préparation du pays au danger, mais tout au contraire lui pavent la voie.
Le RN a d’ailleurs fait savoir qu’il ne s’oppose pas aux plans de recrutement de Macron, saluant surtout leur dimension idéologique.
« Rallyes défense » avec mimiques de fouilles de prison et d’arrestation ; rien à voir avec la guerre aux tyrans ! L’exact contraire !
Cette dimension idéologique ne prépare pas une éventuelle guerre avec l’impérialisme russe, voire l’impérialisme américain. Elle prépare la collaboration !
Les partisans d’une politique militaire prolétarienne sont les vrais adversaires du militarisme bourgeois et impérialiste. Ils dénoncent les entreprises de mise au pas de la jeunesse, non pas parce qu’elles préparent la guerre, mais aussi parce qu’en fait elles ne la préparent pas.
Cette préparation exige qu’on laisse les enfants à l’école sans flics, ni curés ni trouffions, et qu’on mise sur la capacité libre de la jeunesse à agir.
Une forme hybride d’armée avec une présence des femmes (que ne recherche certainement pas la revalorisation des chants et rituels des armées d’antan !), une forte présence de métiers qualifiés, ingénierie, informatique …, des libertés démocratiques, d’expression, d’organisation et syndicales, l’armée nouvelle du XXI° siècle, doit devenir un élément programmatique de nos combats.
Pour conclure cet article qui entend soulever des pistes, voici un extrait des revendications que vient de formuler la conférence syndicale de la mer Baltique, associant la centrale estonienne, le BKDP bélarusse en exil et plusieurs fédérations de tous les pays de la région :
« Les représentants des organisations présentes ont affirmé la nécessité d’une implication réelle, et non simplement formelle, des syndicats dans la planification et le suivi des systèmes de protection civile, de la gestion de crise et des stratégies de défense. Les syndicats possèdent des infrastructures, de l’expérience et la confiance des travailleurs – des ressources essentielles pour renforcer la résilience sociale. »
Voila ce que les syndicats de pays directement frontaliers de la menace sont conduits à dire. Eux savent que l’attaque peut survenir contre eux, comme le 24 février 2022. Mais sur la frange atlantique, France, Royaume-Uni, Irlande (pratiquement sans armée, pleine de Data Centers), l’alliance Trump/Poutine la rend également possible bien plus vite que tout ce que peuvent nous dire un Macron ou un Chef d’état-major qui disent vouloir nous motiver à « sacrifier nos enfants ».
Ce qui est exigé là, ce n’est certainement pas l’union sacrée – l’union sacrée en 1940 c’était la collaboration ! – mais l’exigence de l’entrée massive du mouvement ouvrier sur le terrain militaire (que, rappelons-le, un certain Léon Trotsky, célèbre chef de guerre qui n’avait jamais fait son service militaire, préconisait aux Etats-Unis début 1940).
VP, le 30/11/25.
Tout en comprenant la logique de cet argumentaire, « l’exigence de l’entrée massive du mouvement ouvrier sur le terrain militaire » reste à ce stade une formule théorique incompréhensible. Outre qu’ une « politique militaire prolétarienne » est une référence obsolète au regard de la faiblesse voire de l’inexistence politique du dit « prolétariat ».
En France, nous n’en sommes même pas à la préoccupation de l’organisation d’une défense civile digne de ce nom. Tous les partis se cachent derrière l’arme nucléaire comme une défense « magique » de non emploi ou au mieux une arme de « tout ou rien ». « Nous mourrons ensemble ». A quoi bon l’organisation d’abris puisque « tout sera détruit »…
Force est de constater que tout en étant inquiète des bruits de guerre en Ukraine, la population française n’est pas consciente d’un danger immédiat qui l’obligerait à se poser la question de sa propre défense. Elle fait confiance à « son » armée professionnelle. Pire, la gauche dans sa majorité dénonce toute volonté de défense militaire comme de la propagande « militariste » au service de guerres impérialistes qui ne les concernent pas. La gauche en est revenue à un pacifisme idéal en parallèle à la bombe nucléaire, ce qui n’a aucune cohérence. Et puis, « Poutine ne veut pas la guerre »…
Force est de constater que Macron avec son service militaire volontaire remplit le vide de la gauche (et de l’extrême droite) en matière de politique de défense et géostratégique indépendante des USA et de la Russie. La social démocratie ayant une longue tradition de suivisme pro américain et le stalinisme de suivisme pro soviétique russe.
Aucune défense militaire ne part jamais de rien. Elle part toujours d’une armée et d’une défense réellement existantes.
Puisque Trotski est cité,même l’armée rouge en 1918 a été constituée à partir de régiments mutinés de l’armée tsariste , et Trotski a été le premier partisan de l’utilisation des officiers tsaristes en tant que spécialistes militaires tout en les dépossédant de tout pouvoir politique mais en rétablissant la discipline militaire contre les droits des comités de soldats acquis en février 1917. (ce qui n’est pas sans poser un problème historique. L’armée russe, même à travers l’armée rouge, a conservé son fond disciplinaire impérial et esclavagiste jusqu’à aujourd’hui, la seule interruption ayant été la révolution de février 1917 avec la constitution généralisée de comités de soldats)
De même, la commune de Paris en 1871 s’est constituée à partir des régiments de gardes nationaux.
Pour que la population se mêle de la défense militaire, il faut un enchainement de circonstances qui la pousse à devoir faire un choix : Avoir le désir de sa liberté en risquant sa vie ou accepter sa soumission.
A mon sens, davantage que la question d’un service militaire (en être partisan au titre d’une « armée nouvelle » ou le dénoncer comme Lutte Ouvrière), c’est à la question d’une véritable organisation de défense civile (réseaux d’alertes, d’abris, apprentissage de l’usage des drones…) qu’une gauche pourrait commencer à répondre concrètement aux inquiétudes de la population et travailler à un désir commun de se défendre.
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