À la veille de son cinquantième congrès annuel, Tim Goulet livre une analyse critique de Teamsters for a Democratic Union (TDU). L’article examine l’histoire de ce qui fut jadis, sans doute, la plus puissante organisation de base du mouvement ouvrier américain, dont l’existence a reposé pendant des décennies sur le soutien actif du mouvement socialiste. Or, TDU s’est désormais alliée à certains des éléments les plus réactionnaires du mouvement ouvrier américain, notamment en soutenant le président sortant des Teamsters, Sean O’Brien, partisan de Trump.
Lors d’une récente conférence de presse aux côtés de figures de proue de l’extrême droite républicaine, dont le vice-président JD Vance et le secrétaire aux Transports Sean Duffy, le président de la Fraternité internationale des Teamsters (IBT), Sean O’Brien, s’est aligné sur Donald Trump en accusant les démocrates d’être responsables du blocage budgétaire [shutdown] et en exigeant qu’ils renoncent à leur opposition aux coupes budgétaires proposées par les républicains dans les programmes sociaux. Malgré le cynisme ambiant, cet événement n’est que le dernier d’une série illustrant à quel point O’Brien a éloigné les Teamsters de l’engagement syndical fondamental de solidarité avec la classe ouvrière.
Alors même qu’O’Brien affiche son soutien à Trump et à l’idéologie d’extrême droite, le groupe réformateur des Teamsters pour un syndicat démocratique (TDU) s’apprête à l’accueillir comme orateur principal lors de son congrès du 50e anniversaire, qui se tiendra à Chicago le 7 novembre. Cet événement vise, de l’avis général, à obtenir le soutien inconditionnel du TDU pour un second mandat d’O’Brien à la présidence des Teamsters. La campagne du TDU pour obtenir ce soutien se caractérise par ses efforts pour exclure les voix critiques internes, notamment celles de militants et de dirigeants de longue date des Teamsters et du TDU. Certains de ces critiques prévoient de manifester contre la présence d’O’Brien au congrès. David Levin, directeur du personnel rémunéré du TDU, a joué un rôle déterminant pour empêcher l’accès à l’événement aux membres dissidents. Tout cela contraste fortement avec les assurances publiques de certains responsables du TDU selon lesquelles « le TDU est un groupe démocratique » qui embrasse « un large éventail d’opinions ».
Si le débat et la divergence d’opinions sont véritablement les bienvenus, pourquoi les critiques sont-ils exclus de la participation ? Autrefois mouvement réformateur et groupe de pression reconnu pour son courage à s’attaquer aux puissants, TDU semble désormais se contenter de s’en prendre aux plus faibles, réprimant la dissidence interne tout en se soumettant au pouvoir. Cette évolution amène nombre d’entre nous, au sein de la gauche ouvrière, à nous interroger : qu’est-il arrivé à TDU ?
TDU fut jadis le principal groupe réformateur de base du mouvement ouvrier américain. Membre de l’un des syndicats les plus puissants, fondé par des socialistes, il demeure pour beaucoup un pilier de la gauche ouvrière. Mais force est de constater que TDU a considérablement évolué depuis ses débuts en tant que caucus militant de base.
Comment qualifier une organisation qui a apporté un soutien indéfectible à Sean O’Brien, président syndical réactionnaire et complaisant envers le parti MAGA, qui s’est intégrée à la direction du syndicat des Teamsters derrière O’Brien et qui réprime toute opposition en son sein ? L’évolution de la TDU, passée d’un groupe réformateur radical de base à un partenaire mineur au sein de la bureaucratie des Teamsters, doit être abordée avec lucidité.
La fondation de TDU
TDU a été fondée en 1976 suite à la fusion de Teamsters for a Decent Contract (TDC) et de Teamsters United Rank and File (TURF). Elle a débuté avec 200 membres issus de 44 sections locales réparties dans 15 États.
Les TDC et les TURF avaient tous deux été créés et développés au cours de la vague de grèves sauvages et du regain de militantisme ouvrier du début des années 1970.
Fidèle à ces racines, dès sa fondation, la TDU s’est engagée en faveur d’un contrôle démocratique par la base du syndicat, d’une confrontation avec les employeurs et les dirigeants syndicaux corrompus (y compris les éléments mafieux qui dirigeaient l’IBT). Elle s’est également opposée activement au racisme et à la discrimination sexuelle dans l’industrie et au sein du syndicat.
Cette année-là, elle a mené sa première grande campagne, organisant les rangs des Teamsters pour obtenir un nouvel accord-cadre national sur le transport de marchandises — à l’époque, un contrat couvrant 450 000 travailleurs.
Pour se faire une idée de la menace que représentaient les militants de la TDU pour les syndicalistes d’affaires qui dirigeaient les Teamsters à l’époque : le dirigeant des Teamsters de Cleveland (et futur président de l’IBT) Jackie Presser — qui était congénitalement opposé à toute action de grève — a rejoint une ligne de piquetage composée de fonctionnaires corrompus et de leurs larbins, protestant contre la fondation de la TDU lors de sa convention de 1976 à l’université d’État de Kent !
À la fin des années 1970, la TDU s’est développée grâce à l’organisation de luttes, à l’organisation sur les lieux de travail et à la formation de ses membres. La TDU a soutenu les grèves, mené des actions de démocratisation et a constitué un noyau de militants de base dans des secteurs industriels clés tels que le transport de l’acier et le transport automobile.
En novembre 1979, la TDU comptait plus de 5 000 membres et 35 sections actives. Sa fusion avec le Professional Drivers Council (PROD), une association de défense des droits des conducteurs de poids lourds liée à Ralph Nader, a doublé ces chiffres, atteignant 10 000 membres. Au moins 20 sections publiaient des journaux locaux, et la TDU disposait de son propre journal national, le Convoy-Dispatch.
Le rôle des socialistes révolutionnaires dans TDU
L’un des principaux catalyseurs du rapprochement de ces militants des Teamsters fut l’organisation des Socialistes internationaux (IS) [International Socialists], dont les membres s’étaient délibérément engagés comme Teamsters afin de renforcer la base syndicale et le syndicalisme de lutte des classes. Les membres des IS allaient jouer un rôle prépondérant dans les débuts de la direction et l’orientation politique de la TDU. Ken Paff, fondateur et organisateur national clé, était issu de ce milieu.
Dès le départ, cependant, les dirigeants de TDU ont présenté l’organisation avant tout comme un groupe de réforme pragmatique et de base, plutôt que comme un instrument de la politique socialiste.
Cette approche pragmatique n’était pas sans susciter des tensions parmi certains socialistes qui avaient joué un rôle déterminant dans la fondation de la TDU. L’intention de certains de ses fondateurs marxistes était que la TDU soit une sorte d’organisation de transition, un pont potentiel entre l’organisation de base et les échelons supérieurs de la conscience de classe. L’enjeu principal était de s’organiser autour des enjeux et des revendications centrales auxquels les travailleurs étaient confrontés sur leur lieu de travail, tout en introduisant les idées socialistes fondamentales auprès de la minorité militante des travailleurs les plus avancés, à des moments clés.
À la fin des années 1970, les conflits internes – concernant la nécessité pour la TDU d’intégrer explicitement la politique socialiste dans le travail syndical, la possibilité pour les membres de groupes révolutionnaires de se présenter aux élections syndicales et le degré d’alignement du groupe avec d’autres formations politiques externes – ont atteint leur paroxysme.
L’un des résultats notables a été la scission des IS. Celle-ci a été provoquée en partie par des divergences sur la conception de la stratégie de base et le rôle de l’organisation politique au sein de la TDU, et du mouvement ouvrier en général.
Au-delà des scissions officielles, la direction et la culture organisationnelle de TDU imposaient des limites concrètes à l’activité politique socialiste au sein du groupe. La promotion d’arguments politiques relevant également de la lutte des classes, tels que les résolutions pacifistes ou le recrutement pour des organisations socialistes, était découragée car jugée source de divisions ou stratégiquement contre-productive.
L’aversion de TDU pour les politiques socialistes n’a jamais été simplement le fruit de sa bureaucratisation progressive. Il existait plutôt au sein de TDU une tendance économiste – une tendance qui se focalisait excessivement sur des questions économiques étroites et les opposait à des revendications politiques plus explicites – antérieure au tournant réformateur imposé d’en haut. L’histoire de cette tendance doit être intégrée à celle du virage à droite de TDU. Sans pour autant favoriser le conservatisme, elle l’a certainement facilité. À l’inverse, ce virage à droite n’a fait qu’accentuer l’étouffement de la vie politique et des critiques internes.
En résumé, la TDU est née de militants d’inspiration socialiste qui, dès ses débuts, ont rejeté la politique des partis socialistes au profit d’une stratégie de réforme pragmatique et globale, axée sur la base. Ce choix a favorisé sa croissance et des victoires importantes, mais a également engendré des conflits internes : scissions, exclusions de groupes socialistes affiliés et marginalisation des membres souhaitant une orientation socialiste plus affirmée. Il a aussi conduit à l’abandon des travailleurs les plus engagés au profit de la politique de la bureaucratie syndicale – notamment à la fin des années 1970 – la TDU se définissant alors comme un mouvement non sectaire centré sur la démocratie syndicale et les négociations contractuelles. Surtout, la TDU a renoncé à construire une base socialiste parmi les membres de la base des Teamsters et a négligé des questions cruciales liées à l’oppression qui touchent un grand nombre de ses membres.
Victoires de TDU dans les années 1990
Néanmoins, la TDU remporta d’importantes victoires pour le syndicat dans les années 1970 et 1980, menant la lutte contre les conventions collectives faites de concessions dans le secteur du fret et chez UPS. Dans les années 1980, la TDU poursuivit son expansion en dénonçant la corruption au sein de la direction de l’IBT – notamment sous les administrations de Roy Williams et Jackie Presser – qui entretenait des liens avec le crime organisé et était profondément ancrée dans des structures de collaboration de classe. Ce fut un véritable exploit. Compte tenu de la présence de la mafia parmi les dirigeants des Teamsters, s’y opposer revenait souvent à risquer sa vie.
En 1989, alors que le ministère américain de la Justice s’apprêtait à placer l’IBT sous tutelle, ou contrôle gouvernemental, la TDU a obtenu avec succès le droit pour ses membres d’élire directement les dirigeants et les délégués aux congrès.
La TDU a également remporté une autre grande victoire pour le syndicat en 1989 lorsqu’elle a mené une lutte pour l’instauration de la règle de la majorité simple pour la ratification des contrats par ses membres, renversant ainsi la politique de l’ancienne garde qui exigeait une majorité des deux tiers pour rejeter un contrat.
En 1991, TDU a mobilisé ses militants de base pour élire Ron Carey à la présidence de l’IBT. Carey était un ancien chauffeur d’UPS et dirigeant de la section locale 804 de New York, un bastion historique de la politique réformatrice au sein de l’IBT.
En 1997, grâce à une campagne de négociation collective menée par la TDU, l’IBT a déclenché une grève chez UPS, mobilisant plus de 185 000 travailleurs sur les piquets de grève, et a remporté la première grande grève depuis plus de vingt ans. Cet événement a marqué l’apogée de la force de la TDU au sein du syndicat. Cette même année, la TDU a tenu son plus grand congrès depuis sa création en 1976.
Après la victoire contre UPS, Carey fut délibérément poussé vers la démission sous prétexte d’irrégularités dans le financement du syndicat, accusations dont il fut par la suite acquitté. Mais cette purge inaugura l’ère Hoffa Jr., donnant lieu à une réaction conservatrice qui s’est notamment traduite par la répression des réformateurs – une répression qui perdure encore aujourd’hui.
Évolution de TDU : choix stratégiques et changements du secteur
Les questions que nous devons nous poser sont les suivantes : quand et pourquoi TDU a-t-elle entamé sa transformation conservatrice, passant d’un groupe militant radical à une ONG aux caractéristiques militantes ? Autrement dit, quelles forces ont influencé TDU pour la faire passer d’une orientation de lutte des classes sur le lieu de travail à une approche verticale centrée principalement sur les élections, les réformes juridiques, les appels à la morale et les fonctions de surveillance ?
Le potentiel radical de TDU a sans aucun doute été compromis par le déclin du militantisme de ses membres dans les années 1980, suite à la déréglementation du secteur. Sur la longue période allant de la fin des années 1980 à 2010, on a constaté une évolution notable de la nature de TDU en tant qu’organisation.
Nombreux sont ceux, au sein et autour de la TDU, comme Sam Friedman, membre de Tempest, qui ont soutenu dès 1982 dans son livre Teamster Rank And File , que le danger de voir la TDU évoluer vers une direction plus bureaucratique et conservatrice était une possibilité bien réelle si l’attention principale était déplacée vers les élections syndicales, au lieu de l’organisation sur le lieu de travail.
Les dommages structurels infligés au secteur du transport de marchandises après l’adoption de la loi de 1980 sur les transporteurs routiers ont radicalement transformé le contexte de l’organisation syndicale. La déréglementation, objectif de cette loi, a ouvert la voie à une multitude de transporteurs à bas prix non syndiqués [où il n’y avait pas de présence ou de représentation syndicale donc pas de contrats collectifs minimum], a engendré une concurrence féroce sur les prix et a provoqué des vagues de faillites et de pertes d’emplois dans les entreprises de camionnage syndiquées.
Cet effondrement a réduit considérablement le nombre de chauffeurs routiers militants et de dépôts syndiqués qui constituaient le cœur du recrutement et de l’organisation de la TDU. De nombreux Teamsters se sont alors tournés vers d’autres secteurs ou ont quitté définitivement le secteur. Avec la diminution du nombre de chauffeurs routiers effectuant du transport longue distance, la stratégie initiale de la TDU, axée sur le développement de sections locales centrées sur le lieu de travail, a commencé à perdre de son efficacité.
Avec l’évolution du secteur, les Teamsters se sont de plus en plus concentrés chez UPS et, dans une moindre mesure, dans d’autres entreprises de livraison de colis et d’entreposage, avec des structures d’emploi très différentes de celles des transporteurs de marchandises traditionnels. UPS représente aujourd’hui environ un tiers des membres des Teamsters aux États-Unis et compte plusieurs centaines de milliers de adhérents.
Cela signifie également que le syndicat dépend aujourd’hui fortement de grandes unités de négociation centralisées et de conventions collectives nationales. Cette situation a engendré une logique stratégique différente au sein du syndicat, favorisant des tactiques de campagne et de négociation centralisées et incitant à un accès au pouvoir vertical plutôt qu’à une mobilisation démocratique à la base.
Face à une base de travailleurs du fret plus réduite et plus hiérarchisée, et à un syndicat désormais dominé par les conducteurs de wagons de livraison UPS, les tactiques de la TDU ont évolué dans une direction plus traditionnelle — qui n’a fait que s’accélérer à la suite de la grève de 1997, de la longue période des années Hoffa et de la répression des réformateurs syndicaux.
Alors qu’auparavant la forme d’organisation la plus judicieuse et le moyen d’obtenir rapidement des leviers d’action consistaient à mobiliser les délégués syndicaux, à lancer des grèves sauvages et à former des coalitions locales sur les lieux de travail, la TDU a commencé à investir davantage de temps et d’énergie dans la conquête des postes syndicaux locaux et le soutien de listes. L’objectif était d’installer des responsables favorables qui pourraient ensuite utiliser l’appareil et les ressources du syndicat. De nombreux membres de la TDU sont ainsi passés du rôle d’organisateurs sur les lieux de travail à celui de militants [permaments].
Bien que les statistiques d’adhésion de la TDU ne soient pas publiques (en raison de problèmes de sécurité liés au crime organisé lors de sa création en tant qu’association à but non lucratif au début des années 1980), il est généralement admis que le nombre de ses membres a diminué au fil des ans. Historiquement, on estime que la TDU a compté entre 5 000 et 10 000 membres, mais il est probable que son effectif actif se compte aujourd’hui en centaines.
Ceci est symptomatique d’une évolution progressive vers une logique d’organisation à but non lucratif : ressources limitées, dépendance aux subventions, importance accordée à la communication et prudence dans le discours. Faute d’un apport massif et constant de nouveaux militants, jeunes, engagés et conscients des enjeux de classe – notamment ceux influencés, en partie, par des mouvements politiques plus larges comme BLM, Occupy ou la nouvelle vague de militantisme de base – la direction de TDU a vieilli, tant sur le plan démographique que politique.
Le fait de se concentrer presque exclusivement sur les élections et les actions en justice a entraîné une réduction drastique de l’activité parmi les nombreux membres de TDU. Une orientation vers des luttes, même à petite échelle, sur les lieux de travail – notamment autour des problématiques les plus urgentes qui mobilisent la plupart des travailleurs, mais aussi autour des nombreuses luttes politiques qui, au fil des ans, ont éclaté autour des questions d’oppression, de guerre, etc. – aurait pu contribuer à freiner le déclin du militantisme, voire même à l’inverser.
Ce que nous avons constaté avec TDU, c’est plutôt un sabotage délibéré de la politique socialiste. Par conséquent, si l’évolution de la stratégie de TDU peut sans aucun doute s’expliquer par des réalités économiques et structurelles plus vastes, elle est en partie imputable à ses calculs politico-économiques et à ses tentatives de minimiser, voire de réprimer, toute politique socialiste et toute critique interne.
La route vers O’Brien
Dans les années 2010, le changement de cap de la TDU était manifeste dans sa stratégie électorale pour les postes clés des Teamsters. Faute d’une base militante et mobilisée, la TDU s’est tournée vers des alliances avec l’ancienne garde, alors en perte de vitesse.
En 2011, la TDU a soutenu Sandy Pope à la présidence de l’IBT. Véritable réformatrice, Pope était étroitement liée à la TDU. Elle fut la première femme à briguer le poste le plus élevé des Teamsters. La même année, Fred Gegare, fidèle allié de longue date de Hoffa, opéra un revirement soudain et se présenta comme candidat indépendant. Ce changement de cap fut accueilli avec une dérision compréhensible par la TDU, mais il annonçait la fin de la coalition dirigée par Hoffa.
Au cours des deux cycles électoraux quinquennaux suivants, les choix de TDU sont devenus de plus en plus discutables, car elle a commencé à s’éloigner d’une position indépendante et d’opposition au sein du syndicat.
En 2016, la coalition bureaucratique de Hoffa se désagrégeait définitivement. Hoffa perdait en popularité auprès des troupes en raison de concessions contractuelles inutiles, tandis qu’au sein de la direction de l’IBT, la coalition se fissurait, des désaccords personnels avec divers loyalistes les poussant à poursuivre leurs propres carrières politiques au sein du syndicat des Teamsters.
Fred Zuckerman, un autre ancien fidèle de Hoffa sans lien préalable avec le mouvement réformateur, s’est présenté à la présidence cette année-là, avec le soutien de TDU, et a failli gagner.
En 2021, la TDU a apporté son soutien à Sean O’Brien pour la présidence du syndicat. Non seulement O’Brien avait été un partisan de Hoffa, mais il était aussi un réactionnaire impulsif , connu pour intimider et menacer les réformateurs au nom de Hoffa, y compris les membres de la TDU. Si la TDU avait refusé de soutenir Gegare en 2011, O’Brien, devenu « réformateur » presque du jour au lendemain, n’inspirait guère d’inquiétude.
Comme l’écrit Joe Allen dans Teamsterland , l’expérience de la TDU en matière de campagnes électorales syndicales et son prestige au sein de l’IBT ont offert à O’Brien une autre voie d’accès au pouvoir après son limogeage du poste de négociateur en chef d’UPS. La TDU était le seul atout dont disposait O’Brien pour se revendiquer comme « réformateur ».
TDU a présenté le soutien apporté à O’Brien comme une alliance stratégique et a minimisé son conservatisme et son sectarisme passés, adoptant un ton pragmatique axé sur la « victoire » et l’« obtention de résultats ». Mais était-ce là le résultat logique du pragmatisme ?
En réalité, même si O’Brien avait été le réformateur militant qu’il prétendait avoir été, seule la mise en place d’un mouvement de base avant sa prise de fonction aurait permis à une direction militante d’espérer transformer le syndicat. Or, c’est précisément cette approche que la TDU avait abandonnée depuis longtemps.
O’Brien a remporté l’élection haut la main, malgré un taux d’abstention record. Depuis, TDU est resté totalement indifférent à la position d’O’Brien, qui s’est rapproché de Trump et a défendu certaines de ses pires mesures anti-syndicales.
Il est cruel de voir un groupe se réclamant de la démocratie soutenir un dirigeant syndical d’extrême droite qui appuie un président américain aux tendances fascistes, déterminé à instaurer une dictature. Le fait que la TDU cherche désormais à faire taire ses membres qui osent la critiquer témoigne de son abandon de toute indépendance et de tout principe politique. Tout a été sacrifié pour accéder au pouvoir, la TDU étant désormais pleinement intégrée à la bureaucratie syndicale.
Les fruits de la subordination de la TDU à O’Brien se sont fait sentir en 2022-2023. De larges pans de militants des Teamsters et d’activistes syndicaux d’autres syndicats pensaient que l’IBT se préparait à une confrontation majeure avec UPS — le plus grand employeur avec présence syndicale des États-Unis — qui anéantirait des décennies de concessions.
Au lieu d’une répétition de la grève de 1997, O’Brien annula les préparatifs et accepta un contrat que le Wall Street Journal qualifia de victoire pour l’entreprise et qui ne permit guère de revenir sur les concessions obtenues. TDU défendit le nouveau contrat et réprima même les dissidents au sein de ses propres rangs qui appelaient à voter « non ».
Tirer les leçons de l’histoire édifiante de TDU
La dérive conservatrice de la TDU n’était cependant pas inéluctable. Le recours excessif aux élections syndicales routinières et la transformation du syndicat par le haut ont favorisé un processus de bureaucratisation au sein même de la TDU. À titre d’exemple, de 1978 à 2023, la TDU n’a connu que deux directeurs de l’organisation non élus, dont Ken Paff.
Bien que la TDU n’ait pas pu faire advenir la lutte des classes par la seule force de sa volonté, son changement d’orientation, en s’éloignant du lieu de travail, a ancré un ensemble d’idées et de pratiques totalement opposé, plus en phase avec le syndicalisme bureaucratique traditionnel.
Par exemple, cela fait très longtemps que TDU n’a pas « fait campagne pour une grève nationale ». Plus récemment, TDU est allée jusqu’à retirer sa « Déclaration des droits des membres de base » de son programme lors de sa campagne pour O’Brien, et au moins quatre membres du comité directeur international [national à l’échelon des USA] de TDU sont désormais des employés rémunérés de l’administration d’O’Brien.
L’administration O’Brien et la TDU ont également entrepris de faire taire les critiques. O’Brien a engagé un cabinet d’avocats spécialisé dans la lutte contre les syndicats pour faire fermer TeamsterLink, un site web géré par des réformateurs, tandis que la TDU a interdit aux membres de Teamsters Mobilize (TM) d’assister à ses congrès. TM est un petit réseau de militants Teamsters composé en grande partie d’employés à temps partiel d’UPS. La TDU a également exclu John Palmer, membre de longue date et critique virulent d’O’Brien, et lui a interdit d’assister à son congrès.
Tom Leedham, Tim Sylvester et Bill Zimmerman, trois réformateurs de longue date qui ont créé TeamsterLink et qui cumulent 120 ans d’expérience au sein de l’IBT, ont écrit : « TDU, autrefois considéré comme le chien de garde [de la combativité] , est maintenant l’aile de propagande de l’IBT d’O’Brien. »
La bonne nouvelle est que l’opposition se poursuit de la part de plusieurs militants de longue date des Teamsters et de membres de la TDU. Début septembre, une lettre ouverte a circulé en ligne, appelant la TDU à rompre avec O’Brien ; elle était signée par plusieurs activistes de longue date et de renom de la TDU.
Pour cette seule raison, nous ne pouvons pas complètement écarter les meilleurs éléments de la TDU, qui compte encore de nombreux jeunes militants de base de qualité, ainsi que des vétérans dissidents, qui auraient certainement un rôle important à jouer dans tout mouvement visant à ressusciter les Teamsters par la base.
L’évolution des TDU est un avertissement. Sans indépendance organisationnelle et politique, sans analyse de classe claire et sans noyau de militants ayant une perspective révolutionnaire centrée sur la base, même les mouvements radicaux peuvent devenir des instruments du statu quo.
Pour les socialistes, cependant, l’évolution des TDU est un avertissement. Sans indépendance organisationnelle et politique, sans analyse de classe claire et sans noyau de militants ayant une perspective révolutionnaire centrée sur la base, même les mouvements radicaux peuvent devenir des instruments du statu quo.
La stratégie du mouvement ouvrier doit placer les militants de base [rank and file] au centre de leurs activités et être liée à une vision politique de la lutte des classes et de la transformation socialiste, sous peine de devenir un outil de réparation institutionnelle plutôt qu’une méthode de lutte des classes ou de libération.
Si les organisations socialistes ne doivent pas contrôler les groupes de base, les socialistes ne doivent pas non plus négliger le travail essentiel d’éducation politique des travailleurs, si nous partageons l’objectif de construire un mouvement socialiste fondé sur l’auto-organisation de la classe ouvrière. La clé réside dans la manière d’y parvenir.
Il serait certainement contre-productif de faire de l’adhésion des travailleurs aux idées socialistes sa priorité absolue, plutôt que de les inciter à agir sur les questions les plus cruciales au sein de leur entreprise. C’est en s’engageant dans la lutte que les travailleurs deviennent plus réceptifs aux idées radicales. Mais nous ne devons pas non plus renoncer complètement à convaincre les travailleurs d’adhérer aux idées socialistes, en particulier les plus progressistes au sein de nos syndicats et de nos entreprises. C’est la voie la plus sûre pour transformer nos syndicats et le système en général. TDU, en revanche, a complètement abandonné toute dimension politique.
À l’heure actuelle, face à la menace réelle de l’autoritarisme d’extrême droite MAGA, nous avons besoin de mouvements et d’organisations qui répondent à l’urgence du moment — l’accommodement et le pragmatisme ne suffisent pas.
Pour ceux d’entre nous qui pensent avoir besoin d’un nouveau mouvement de base au sein des Teamsters, il est impératif de prendre en compte ce qui est arrivé à la TDU et d’en tirer les leçons historiques nécessaires.
Tim Goulet, 6 novembre 2025.
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