Nous souhaitons nous garder du fétichisme des anniversaires. Ces jours-ci, celui de l’invasion réprimant le Printemps de Prague, dans la nuit du 20 au 21 août 1968, et de l’assassinat de Léon Trotsky, le 21 août 1940, se cumulent alors même que Poutine aurait voulu faire venir Zelensky à … Moscou !
Malicieusement, nous « commémorons », si l’on peut dire, un autre anniversaire de la contre-révolution. Notre camarade Fabien Gallet a décroché cette petite perle avec laquelle nous touchons, notamment dans le personnage de Gustav Noske, à la racine des contre-révolutions nazie ou stalinienne. Voici la chose suivie de son commentaire :

Voilà ce que l’on peut considérer comme la première photographie dans la catégorie « people-politique ». Cette photo a été prise le 17 juillet 1919, la plage de Haffkrug, sur la mer Baltique, publiée d’abord discrètement le 9 août, en dernière de couverture du Deutschen Tageszeitung (Journal quotidien allemand), puis à la une du Berliner Illustrirten Zeitung, le Journal illustré de Berlin, le 21 août.
Dès sa parution du 21 août, elle avait fait scandale, le buzz dirait-on aujourd’hui…. La cause : elle montrait le tout récent président de la république de Weimar en compagnie de son ministre de la guerre et de l’intérieur en tournée dans la région pour visiter entre autres une maison d’enfants et de repos gérée par „Production“ une association de consommation, de construction et d’épargne.
Ils se baignent en maillot de bain non conventionnel pour l’époque, torse nu, tétons apparents, alors qu’un homme politique ne devait être représenté qu’en costume et chapeau… La légende de la photo lors de la première parution du 9 août dit qu’il s’agissait de « montrer toute leur beauté masculine », ils voulaient aussi se la « jouer peuple !! »
Mais le vrai scandale, l’indécence ne sont pas là.
Qui sont ces deux baigneurs ?? Friedrich Ebert et Gustav Noske, ce sont les deux plus purs représentants de la social-démocratie allemande (le SPD) dans ce qu’elle eut de plus abject… Partisans résolus de l’union sacrée en août 1914, ils furent les fermes soutiens de l’empereur durant toute la guerre.
Noske, « spécialiste » de l’armée assure la liaison entre le quartier général et le SPD. L’armée mettant sa confiance en lui, il est chargé de maintenir le moral de la troupe !! Lorsque la révolution de novembre 1918 commence par la mutinerie des marins de la flotte de Kiel, la direction du parti socialiste majoritaire l’envoya à Kiel afin qu’il y contrôle la situation révolutionnaire créée par la mutinerie des marins. Très populaire parmi les matelots, il fut nommé gouverneur le 6 novembre, mais ne réussit pas à empêcher l’extension des conseils et la révolution gagna les autres ports et les grandes villes du Nord.
Friedrich Ebert : voilà qui le résume, au tout début de la révolution il déclare : « Si l’empereur n’abdique pas, la révolution socialiste est inévitable. Moi, je ne veux pas de cette révolution : je la hais comme je hais le péché. » Dès le 10 novembre il conclut un pacte avec l’armée : « loyauté » des forces armées contre promesse d’agir rapidement contre la gauche révolutionnaire
Voilà qui sont nos deux baigneurs, soucieux de « montrer toute leur beauté masculine » ils prirent un rôle de premier plan dans la répression de janvier 19 et l’assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg qu’ils sous traitèrent en quelque sorte avec les Corps Francs, groupes militaires d’extrême droite, en application du pacte passé en novembre… Noske s’illustra en déclarant : « Il faut que quelqu’un fasse le chien sanguinaire : je n’ai pas peur des responsabilités ».
Pour la social-démocratie allemande après la trahison et la souillure d’août 1914, ce fut l’infamie de janvier 1919 ;
L’élimination de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg (de Rosa surtout évidemment) eurent un effet insoupçonné à l’époque et même de nos jours pour beaucoup de monde…. Le tout jeune parti communiste (le KPD) fut littéralement décapité… Rosa était comme le disait Lénine un aigle et le restait en toute situation, analyse rapide en fonction de la réalité du moment, elle conjuguait théorie et pratique, pragmatisme et initiative. Consciente que la révolution était mal engagée en janvier, elle s’attendait à son arrestation et avait préparé sa valise en vue de la prison où elle avait passé les quatre de la guerre…. Cet assassinat fut le premier organisé au sein du mouvement ouvrier, en lieu et place de confrontations d’idées, il ne fut pas le dernier, Staline entre autres retenant la leçon.
Parti communiste décapité, affaibli politique en proie à un gauchisme auquel Liebknecht n’était pas indifférent, son histoire fut chaotique… Lors du putsch de Kapp, en mars 1920, le gouvernement de nos deux baigneurs fut paralysé, terrorisé sans aucune réaction contre cette extrême droite. La même paralysie (à un degré moindre) frappa aussi le KPD…. C’est un vieux dirigeant syndical, Carl Legien, qui allait mourir neuf mois après, qui organisa la riposte par une grève générale monstre venue des profondeurs de la classe ouvrière… Tout grand bureaucrate qu’il fut, adversaire déclaré de Rosa de longue date, avait compris qu’avec Kapp, adieu les syndicats et la social-démocratie.
Cet assassinat creusa aussi un fossé énorme entre SPD et KPD. Ce fossé entraîna pour une partie du KPD le refus de toute action avec le SPD et perdura longtemps alors que la majorité des adhérents socialistes n’étaient pas tous loin de là des partisans d’Ebert et Noske. Cela empêcha le succès de la ligne de Front Unique, prôné par Paul Lévi, permit l’aventure vouée à l’échec de l’Action de mars commandée par l’Internationale Communiste en 1921 et servit de prétexte à la fameuse ligne suicidaire de la troisième période mettant dans le même panier socialistes et nazis.
Voilà en quoi cette photo est obscène, Noske et Ebert se pavanant en juillet et en maillot après les massacres de janvier.
Fabien Gallet.