Ces réflexions sont politiques et personnelles à la fois, parce que je me trouve, de fait, au cœur de ce combat, tout en estimant indispensable, pour le mener, de l’éclairer d’une vision générale, alors que simultanément, il doit éclairer aussi celle-ci.
Le vote par les majorités du Conseil départemental de l’Allier, du conseil municipal de Moulins et de la communauté d’agglomération, des subventions publiques énormes à cette opération – 169 000 euros avec les crédits européens induits par ces votes, sans compter les aides indirectes avec la fourniture d’un lieu public, patrimonial et prestigieux – a vu un festival de lâcheté complice et de propos pathétiques, obséquieux, ridicules et sirupeux, de la part des politiciens locaux, tous ces élus « qui ne font pas de politique » et disent ne faire que du « culturel » touristique. Ce faisant, nous assistons en réalité, par le moyen de « Murmures de la Cité » coaché par Stérin, à la mise en place de l’union des droites. Qu’est-ce que l’union des droites ?
Le projet découle directement de ce qu’avait été la perspective d’une victoire du RN aux législatives de 2024 déclenchées par Macron, et d’un gouvernement Macron/Bardella. Le blocage de ce danger immédiat par la poussée d’en bas qui a imposé et porté le NFP a ouvert un délai qui voit la maturation du processus. Car un exécutif Macron/Bardella avait aussi ses inconvénients du point de vue du capital et des vieux partis bourgeois, d’où leur acceptation formelle du « barrage » au second tour dont le maitre d’œuvre a été le NFP. Inconvénient de l’hypothèque Macron et inconvénient d’une prééminence du RN guettée par la dualité Le Pen/Bardella et polarisant sur lui les hostilités.
L’union des droites conçue depuis, dans de nombreuses rencontres discrètes, va, elle, d’Edouard Philippe à Marion Maréchal : englobant Horizons, LR, le RN, Reconquêtes, l’UDR de Ciotti et l’ensemble de la fachosphère, elle a un ancrage français fondamental en ce qu’elle constitue la réunification des rameaux disloqués du post-gaullisme avec les héritiers de l’OAS (héritiers aussi, plus anciennement, des SS et des collabos) : la réunification des forces qui ont porté le régime de la V° République sur les fonts baptismaux, quand les putschistes de 58 informaient De Gaulle heure par heure et que Le Pen père manifestait pour eux aux Champs Elysées. C’est un processus de très longue durée car en un sens, c’est De Gaulle qui l’avait inauguré en graciant le quarteron des putschistes de 61, en mai 68, contre leurs adversaires communs : le salariat et la jeunesse.
L’union des droites est théorisée et financée activement par le milliardaire Stérin, le célèbre exilé fiscal volontaire, avec l’aide de la maison Bolloré et l’impulsion internationale porteuse et décisive de l’Axe Trump/Poutine.
Point décisif : elle est présente dans l’exécutif actuel. En effet, alors que Macron et Bayrou se sont affaiblis mutuellement, que Macron, à travers le sommet de l’OTAN et sa conversation de deux heures avec Poutine, vient de sabrer le début de reprise du poil de la bête qu’il avait amorcé au moyen de ses prérogatives internationales et militaires, et que Bayrou, de Betharram en Pélussin, pourrit littéralement sur pied, il est un ministre qui semble fort : Retailleau.

Représentant de l’union des droites dans l’exécutif, union des droites qui a donc, déjà, en main l’Intérieur, la Préfectorale, la Police et les Organes spéciaux, Retailleau est directement lié à Stérin, qui voit en lui un contrepoids au côté trop « gauche » (sic !) que pourrait avoir le RN par démagogie sociale. Il est même spécialement associé aux opérations visant à promouvoir l’enseignement privé hors contrat, cette lubie des réseaux Stérin – « hors contrat » ne signifiant pas privés d’argent public : les élus de l’union des droites doivent le détourner en leur faveur !
L’union des droites est le débouché que des secteurs décisifs du capital souhaitent apporter à la crise actuelle de la V° République une fois réglée l’hypothèque Macron. L’union des droites, c’est donc la question du pouvoir en France, du point de vue de notre ennemi, ennemi de classe, ennemi culturel, ennemi physique.
C’est pourquoi la bataille moulinoise, cette petite ville presque au centre de la France surnommée jusque-là la « belle endormie », n’est ni anecdotique ni périphérique, mais exemplaire, voire centrale.
Résumons rapidement le film.
Nous avons trois poupées russes : Murmures de la Cité, association « culturelle » recrutant des figurants dont beaucoup veulent juste faire du spectacle et s’amuser, mais dont d’autres sont recrutés dans les réseaux d’extrême droite, draine fonds privés et fonds publics pour réaliser un spectacle « façon Puy du Fou » en pire, au nom de la prétendue histoire d’une « France éternelle guidée par la providence » les 11-13 juillet avec l’intention de continuer chaque année.

Presque l’affiche authentique !
Dans ce montage, une autre association, Sophia-Polis – c’est elle, la prétendue « cité de la sagesse » qui « murmure » -, organise des stages de formations pour jeunes intégristes, jeunes fascistes, jeunes royalistes, tous réunis dans le château familial du petit chefaillon des deux associations, Guillaume Senet.

Poliste alias Senet.
Troisième matriochka, un autre membre de la bande cherche à ouvrir une école privée hors contrat enseignant l’« anthropologie traditionnelle » à Moulins à la rentrée scolaire 2025, en utilisant pour cela l’argent collecté par Murmures de la Cité.

Un fait géographique important doit être ici compris. Cette opération en trois facettes vise une petite ville positionnée à peu près au milieu de la France et ses alentours. A 80 km au Nord-Est, à Etang-sur-Arroux, le réseau « Excellence Ruralité » de Stérin veut ouvrir un collège privé hors contrat, le « cours Vauban » – les travaux ont commencé. Les agents de Stérin avaient tenté le coup à Luzy, dans la Nièvre, mais se sont heurtés à un refus. Au Chautay, dans le Cher, l’Etat veut fermer l’école publique pour entasser les élèves dans des classes de primaire à 31 élèves à La Guerche, bourg le plus proche, avec la complicité d’une maire qui a découvert que l’avenir de la commune passerait par la fermeture de l’école, et que les réseaux Stérin ont approchée pour récupérer le bâtiment de l’ancienne école publique.
Voici donc une sorte de quadrillage territorial qui cible, de manière remarquablement habile, la faussement dénommée « diagonale du vide » : le cœur territorial et agraire de la France, où les gouvernements successifs affrontent population, syndicats et élus locaux pour casser services publics, écoles publiques, santé publique, transports publics. Territoire qui fut aussi un chaudron bouillonnant de l’éruption des Gilets jaunes. Et où le RN est passé devant dans les zones dites rurales (ce qui ne veut pas dire à prédominance paysanne, mais à population dispersée et pauvre), en 2024.
Je passe ici au plan personnel, car ce territoire est devenu mon territoire depuis des années, celui d’un département, l’Allier, sillonné en tout sens dans la bataille aujourd’hui permanente de la carte scolaire, et qui vient pour moi de s’élargir à toute la zone proche visée par Stérin.
Fin mars j’ai tenu une conférence-débat à Moulins sur « le fascisme 2.0 » qui a réuni 70 participants, toute la gauche locale hors LFI.
Début juin, conférence analogue à Nevers avec l’aide des camarades de l’Après, avec un public remarquablement jeune.

Peu auparavant, j’ai fait connaissance du collectif Morvan Mobilisation Solidaire qui organise la lutte contre la colonisation par Stérin en Saône-et-Loire et tiendra le 27 juillet une « université d’été » à Etang-sur-Arroux sur le thème Extrême droite, éducation et territoires ruraux.

Là-dessus, a démarré la lutte unitaire contre l’opération Murmures/Sophia-Polis/Zita à Moulins.
Avant-hier, j’étais au Chautay, invité par des lecteurs d’Aplutsoc, dans une réunion-débat sur la défense de l’école publique organisée par une association locale populaire, qui a gagné y compris des électeurs RN de 2024 à son combat. Était invité aussi le maire d’Autry-Issard dans l’Allier, grand défenseur de son école que l’Etat veut fermer et pour laquelle nous ferons une épreuve de force – pas un baroud d’honneur, une épreuve de force, réunissant les défenseurs de l’école publique – à la rentrée prochaine.

Le territoire bocager visé par Stérin c’est « mon » territoire de syndicaliste récemment élargi aux départements voisins sur toute la frange Nord de l’Allier !

Dès que s’est formé le Collectif laïque et républicain de Moulins, et qu’il a tenu une conférence de presse protestant contre le pognon de dingue des financements publics de cette opération, nous avons vu se déchainer nationalement CNews, le JDD, le Figaro, Valeurs actuelles, et tout le net d’extrême droite, sur le thème « les gauchistes veulent interdire le spectacle ».
Le mensonge, on le voit, est d’emblée au cœur de leur combat : nous n’avons jamais préconisé l’interdiction du droit de se livrer à des billevesées médiévales, mais nous avons dénoncé le détournement de nos impôts vers l’extrême droite. Parmi les petits élus, les fonctionnaires et contractuels territoriaux des collectivités locales, s’est développé un climat lourd d’intimidation latente. Le passage à l’intimidation ouverte s’est produit après que Guillaume Senet ait été reçu à l’Office du tourisme de Moulins qui, temporairement, compte tenu de l’incertitude sur la signature de la convention publique, avait suspendu, à la demande de son responsable (le maire de Souvigny, « macronien de centre gauche » qui a, ensuite, voté la subvention à Murmures de la Cité !) la diffusion de la plaquette sur la « France éternelle guidée par la providence » : la personne travaillant à l’Office du tourisme a alors été ciblée, sa photo et son nom en évidence, par un appel à la harceler, comme « donzelle » (sic), sur les sites fascistes mal nommés « Riposte laïque » et « Résistance républicaine ».
Au même moment ceux-ci se sont déchainés, tardivement par rapport à l’ouverture de la lutte locale, mais d’autant plus furieusement, contre moi-même, ainsi que contre Laurent Indrusiak, secrétaire de l’Union Départementale CGT. La méthode est rôdée : des articles diffamatoires et injurieux, répétitifs et d’une stupidité étouffante, sont suivis, dans le forum des lecteurs, par des menaces de morts sous pseudos. L’une d’elle vise aussi nos « familles ». Et en même temps, G. Senet et consorts appellent, sur les vidéos de Radio Courtoisie, l’Incorrect et autres, à « venir à Moulins » pour défendre leur spectacle prétendument attaqué.
Deux traits sont caractéristiques dans ces méthodes.
Premièrement, les fake news façon Trump : Yannick Monnet, député PCF de Moulins, se serait « caché dans les buissons » pour espionner le spectacle : on peut en rire et en sourire, mais ces crétins croient à leurs mensonges que reprend, textuellement, le député RN de Montluçon, appelant lui aussi à venir au « spectacle ». Autre bobard : des « gauchistes » auraient « jeté des pierres » sur G. Senet sur un marché.
Deuxièmement, le choix de trois personnes pour leur ciblage menaçant : deux hommes, responsables syndicaux connus, de la FSU et de la CGT, ce qui n’étonnera pas, et une femme attaquée en tant que femme, non militante (et nous, nous ne la nommerons pas) et sans qu’elle n’ait aucune responsabilité dans ce que les fascistes lui reprochent. Associer ainsi des militants connus et une citoyenne « lambda » est une manière typique de la part de qui voudrait semer la terreur.
Terreur dont nous sommes en réalité loin, je le précise d’emblée, cette femme ayant d’ailleurs elle aussi porté plainte, bien décidée à se défendre. Mais nul doute que ces sites fascistes, dont la liaison directe avec la bande de « Murmures » est démontrée par cet appel au harcèlement contre elle, voudraient la terreur. Ces deux sites jumeaux sont spécialisés dans le ciblage ad hominem, et sont caractérisés par deux éléments fondamentaux d’orientation : la haine des musulmans et des Palestiniens, et le soutien à Poutine contre l’Ukraine.
C’est tardivement, disais-je, qu’ils sont entrés en lice à propos de l’Allier, qu’ils suivent pourtant depuis 2014 (eux et moi sommes de vieilles connaissances) : c’est en fait concomitamment à l’affirmation dans « Riposte laïque » de la ligne de Poutine et d’Orban selon laquelle « Georges Soros » (c’est-à-dire les juifs) fait venir arabes et noirs en Europe pour remplacer les blancs, lesquels ne se reproduisent plus à cause de la « théorie du genre ».
La marque du FSB, y compris dans leurs moyens abondants, est ici évidente. Et je sais pourquoi ils m’en veulent … Slava Ukraini !
Confronté, pour la première fois à une telle menace physique, je dois dire à mes amis et camarades à quel point me conforte la réalité de ma vie, qui est insérée dans le mouvement réel des luttes réelles pour l’école publique. Plusieurs collèges de l’Allier ont fait grève dans la dernière semaine de l’année scolaire, un fait notable. Avec mes camarades de la FSU, nous sommes pour ainsi dire, bien que cette expression eût été galvaudée, comme des poissons dans l’eau dans cette réalité. Ces prétendus « laïques » ciblent en moi une figure locale des luttes de défense des écoles, ce qu’ils sont incapables de saisir, mais qui n’a rien de fortuit. Et toute lecture de leurs déjections ne peut qu’inspirer un net sentiment de supériorité morale et intellectuelle …

Le Collectif laïque et républicain de Moulins a réalisé l’unité des forces politiques dites « de gauche » existant ici : PS, PCF, LFI, Place publique, et présence de LO à une dernière réunion. LFI est présente par un de ses groupes, dont des membres ont revendiqué la représentation de la Libre pensée, mais force est de constater que les responsables départementaux du POI et de la LP ont jusque là brillé par une totale absence sur un sujet pourtant éminemment laïque. Mais ceci n’altère en rien le sentiment d’unité réalisée, qui a fait le succès du meeting du 27 juin, 150 personnes, sur Stérin.
Au plan syndical, la FSU et la CGT sont motrices, l’UNSA-Education et la FGR-FP (retraités de la fonction publique) sont dans le collectif.
La Ligue de l’Enseignement et sa radio associative locale, Radio Bocage, est un point d’appui remarquable.
La prise de position commune, tout à fait nécessaire, des associations féministes et LGBT vient renforcer et étendre significativement ce processus unitaire.
Au moment où je termine cet article, je reçois la lettre ouverte des loges maçonniques de Moulins, Grand-Orient et Droit humain. Elles relèvent la formule centrale de Sophia-Polis qui murmure sur la cité : « Le bien commun prime sur l’Etat de droit ». Oui : c’est là l’Axe Trump/Poutine contre l’Etat de droit, en marche.
Nous avons donc réalisé l’unité, de fait, comme au moment du NFP et en fait, le Collectif laïque et républicain, c’est ici la reconstitution du NFP. Cette unité se fait sur le terrain de la défense des libertés démocratiques et de la laïcité, ce qu’ont très bien compris les forces nationales, voire plus, qui impulsent la campagne contre nous avec les méthodes des fascistes et des poutiniens.
Ceci a été moins bien compris par des camarades plus éloignés dans le département, à Montluçon et Vichy, dans le NPA-A et LFI ou indépendants, tentés de se lancer dans une opération « antifa » démonstrative et offensive, ce qui ne serait possible qu’avec des milliers de manifestants, que nous n’aurons pas, c’est certain, à la date estivale du « spectacle ».
Cette interprétation donnée par le NPA-A à la discussion dans la CE de l’UD CGT d’un rassemblement d’au moins 200 personnes le 11 juillet m’a conduit à réagir vivement, car cela pouvait nourrir les provocations contre nous. J’ai donc donné l’impression, vraie, d’engueuler des camarades qui me sont, en fait, tout à fait sympathiques. Mais il y a là un point stratégique : faire de l’antifascisme ne peut consister à se faire plaisir en arborant des symboles, mais demande maintenant une bataille de fond en vue de gagner la majorité. C’est une guerre de position dans laquelle nous entrons (ce que Stérin and co., après Peter Thiel and co., ont compris). Dire cela ne veut pas dire mollesse, bien au contraire, cela demande de la dureté et de la fermeté. Cette guerre, nous la gagnerons.
Car contrairement aux cris répétés de la fachosphère obligée de dire sans arrêt qu’elle a gagné, nous sommes en réalité en train de nous renforcer et d’étendre les réseaux de l’unité.
Il y a là des enseignements de portée nationale, notamment pour la bataille des élections municipales de 2026 qui devra être un affrontement national portant sur la question du pouvoir en France, entre les deux réponses possibles : l’union des droites voulue par Stérin-Bolloré dans l’Axe Trump/Poutine, ou bien l’union démocratique et populaire telle que l’engagement du 2 juillet associant PS, Ecologistes, l’Après, Debout, Génération.s, à une candidature unique aux présidentielle, peut permettre de la réaliser, si la construction se fait démocratiquement par le bas, contre la V° République et les murmures bruns.
Vincent Présumey, le 05/07/25.