Présentation

Oleksandr  Skyba est membre du syndicat VPZU (Syndicat libre des cheminots d’Ukraine – KVPU) au dépôt ferroviaire de Darnytsa et président de la Fondation pour le développement de l’Union. Il a récemment publié sur l’évolution du mouvement syndical ukrainien un texte que l’on peut lire sur le site du Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes :

https://laboursolidarity.org/fr/n/3467/levolution-du-mouvement-syndical-en-ukraine

Sur le site Oakland Socialist, il nous livre ses observations sur la situation de la gauche américaine.

Document

Un point de vue ukrainien : un dirigeant syndical ukrainien commente la gauche américaine

L’Ukraine traverse actuellement un état de guerre, où chaque déclaration politique est confrontée aux réalités les plus dures. L’observation de l’actualité aux États-Unis – fragmentation de la gauche, vacillement de la classe moyenne – montre de plus en plus clairement qu’un moment de vérité approche. Ce moment marquera soit un tournant décisif vers une profonde transformation sociale, soit l’effondrement définitif de la confiance du public dans la démocratie comme mécanisme de justice. Les États-Unis abritent de nombreuses organisations de gauche, progressistes et socialistes. Pourtant, elles opèrent souvent dans des réalités parallèles et déconnectées. Certaines se concentrent sur la construction syndicale, d’autres organisent des marches, tandis que d’autres encore rédigent des manifestes. Mais où est la vision commune ? Où est le front uni autour d’une revendication simple et urgente : une vie digne pour la majorité ?

Vus de l’extérieur, les États-Unis apparaissent aujourd’hui comme une nation à capital hyperconcentré, confrontée à un vide social grandissant. C’est précisément dans ces conditions que naissent les mouvements – non seulement en réaction à l’injustice, mais aussi comme des idées visionnaires d’une nouvelle nation qui rassemble les dispersés, les épuisés et les oubliés.

La classe moyenne américaine se sent de plus en plus trahie. Des millions de personnes vivent au jour le jour, avec un accès limité, voire inexistant, aux soins de santé, à l’éducation ou au logement. Pendant ce temps, la classe politique soit se plie aux exigences du capital, soit s’engage dans des conflits culturels déconnectés des réalités quotidiennes de la majorité. C’est un terreau fertile pour l’émergence d’une véritable gauche, mais elle n’est pas encore en voie de se concrétiser.

Ici, en Ukraine, nous avons constaté comment les « gauchistes » dénués de tout programme économique deviennent rapidement de simples éléments décoratifs. Nous comprenons le coût d’une contestation désorganisée.

C’est pourquoi nous lançons un avertissement : sans racines dans le travail, dans la production, dans la vie réelle, aucune idéologie ne peut survivre. Seules des revendications matérielles et concrètes – augmentation du salaire minimum et du salaire moyen, réduction du temps de travail, défense des droits syndicaux – peuvent mobiliser le travailleur moyen comme le spécialiste hautement qualifié. C’est dans la lutte pour un juste partage des richesses collectives, et non dans des slogans abstraits, que peut se former une large coalition de gauche.

Aux États-Unis, ceux qui sont longtemps restés à l’écart – militants, marxistes, écologistes, syndicalistes – ont désormais une opportunité historique. Mais seulement s’ils renoncent au rôle d’opposants perpétuels et assument le rôle de véritables bâtisseurs d’alternatives. Notre guerre nous a appris une leçon essentielle : personne ne vous sauvera, si vous ne vous sauvez pas vous-même.

Ce dont l’Amérique a besoin, ce n’est pas seulement d’une manifestation, mais d’un projet. Un projet pour un État juste. Un projet pour une société qui fonctionne. Peut-être que ceux qui sont actuellement considérés comme marginaux deviendront, avec le temps, les auteurs d’un nouveau manifeste. La solidarité entre les peuples commence par un regard honnête sur soi-même. Et cela exige une réponse honnête à une question fondamentale : êtes-vous prêts à vous battre non pour des symboles, mais pour l’essentiel ?

Salutations du front ! Nous payons actuellement un prix très élevé. Mais si vous restez silencieux, vous risquez de perdre encore plus.

* – Aleksandr Skyba est un cheminot et un dirigeant du syndicat des cheminots.
(Traduit par Oksana Skyba)

Commentaires d’Oaklandsocialist :

Nous remercions Aleksandr Skyba pour cet article.

Une grande partie de la gauche ici devrait prendre en compte les commentaires d’Aleksandr sur la nécessité d’un programme économique. Il a raison sur ce point. Par exemple, lors des manifestations contre l’expulsion des immigrants par Trump, la question des droits syndicaux, du salaire minimum et d’autres questions similaires devrait être soulevée. Malheureusement, une grande partie des manifestations visent ce que l’on appelle la « politique identitaire » plutôt que la politique de classe. Le problème est que, lorsque les dirigeants syndicaux prennent la parole lors de ces manifestations, ils ignorent eux aussi ces questions.

À cela s’ajoute le fait qu’une grande partie de la gauche, y compris la gauche socialiste, se sent obligée de s’opposer à tout ce que fait le gouvernement américain. Cela les expose à l’influence de Poutine et les expose à trouver des excuses pour l’invasion russe de l’Ukraine.

Source : https://oaklandsocialist.com/2025/06/11/a-view-from-ukraine-ukrainian-union-leader-comments-on-u-s-left/