C’est avec tristesse, mais sans surprise, que nous avons appris la mort de Dan Gallin, par Antoine Chollet de Lausanne – son article de ce soir ici. Dan depuis deux ans ne pouvait plus écrire et communiquait peu, lui qui fut un extraordinaire globe-trotter syndicaliste se définissant comme « austro-trotskyste », démocrate révolutionnaire, socialiste démocratique, agent conscient de l’Internationale invisible de l’émancipation humaine …
Ce billet n’est pas la biographie de Dan, qu’il méritera, ni l’hommage que, de manière unitaire et conviviale avec toutes et tous ses camarades dans leur diversité, il faudra organiser. C’est juste un mot immédiat pour faire sentir qui nous avons perdu.
Fils d’un consul roumain en Allemagne, Dan a été envoyé en Suisse pour échapper au nazisme, puis, de là, aux Etats-Unis, où il connait en même temps sa première compagne et le choix, définitif, de la révolution prolétarienne, dans l’Independant Socialist League trotskyste « shachtmanienne », c’est-à-dire dissidente : jamais Dan n’a considéré qu’il y avait en URSS une chose pouvant s’appeler « Etat ouvrier ». En 1953 la police mac-carthyste l’expulse – ils l’auraient bien renvoyé en Roumanie stalinienne, il atterrira en Suisse, où les socialistes genevois l’aideront à obtenir la citoyenneté genevoise.
Il trouve à s’embaucher, car polyglotte (anglais, allemand, français, les trois langues de Marx, couramment, allemand de Suisse, roumain, et pas mal d’expressions et d’éléments de communication dans d’autres langues, espagnol, italien, russe, voire malais …) comme secrétaire auprès de la Fédération syndicale internationale de l’agro-alimentaire, l’IUF (International Union of Food) ou UITA (« Union syndicale internationale de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie et bien plus encore »). Il a raconté dans le recueil partiellement autobiographique Fil rouge comment il est passé du secrétariat administratif avec la correspondance internationale à la direction politique effective de cette organisation, par une lutte visant à assurer sa pleine indépendante envers les Etats-Unis.

Combattant de l’indépendance syndicale, Dan Gallin affrontera les agents de la CIA de tout acabits, notamment en Amérique latine, où la police l’a, un jour, arrêté en Bolivie avec un mandat d’arrêt signé de … Coca Cola !
De même, il affronte les agents du KGB et bataille pour l’indépendance syndicale envers tous les pouvoirs quels qu’ils soient, avec une conception bien ancrée : pas le dialogue social ni les journées d’action répétées, mais le syndicalisme : grouper sans préalables, exprimer les revendications réelles, aller où ça se décide pour gagner, négocier au besoin, avec comme arme centrale la grève (la vraie grève).
Il a rendu vivante la structure un peu vide initialement, de l’IUF-UITA, a favorisé la syndicalisation des ouvrières du Bangladesh comme des femmes de ménage d’Indonésie. Et en même temps, parfois sous le pseudo de Giacometti ou d’autres pseudos, il discutait et écrivait, toujours des articles courts mais alertes, pour expliquer le lien indissoluble entre lutte des classes, socialisme et démocratie. Sa brochure contre le populiste suisse d’extrême-droite Blöcher en est un bel exemple.
J’ai fait la connaissance de Dan, grâce à l’intérêt d’Olivier Delbeke pour les trotskystes hétérodoxes anglophones, vers 2013 à Paris, en même temps que de son vieux pote Richard Greeman, qui avait bien connu Vladi Serge (le fils de Victor). C’est en prenant appui sur lui que nous avons organisé une première réunion publique de solidarité avec l’Ukraine, fin 2014 à Paris, où fut annoncée, par Kyrill Buketov, l’arrestation du militant anarchiste Alexandre Koltchenko en Crimée. En 2015 j’ai organisé, avec la FSU, sa venue dans l’Allier en compagnie d’Hanna Perekhoda, et de sa compagne Joelle, pour expliquer le syndicalisme russe et ukrainien et appeler la gauche à la défense de l’Ukraine contre la menace poutinienne – en 2015 …
Moulins, 15 septembre 2015, Dan Gallin, Hanna Perekhoda, Vincent Présumey.

A ce moment là, Dan avait pris sa retraite de permanent syndical, tout en ayant organisé un réseau mondial de formation de militants, le Global Labour Institute, doté de sections locales à Genève, Manchester et Moscou. Cette dernière est aujourd’hui « en sommeil » mais les militants formés par Dan ou aidés par les réseaux qu’il a animés furent très précieux aux syndicalistes indépendants de tout l’ancien espace « soviétique ». Des camarades issus de l’anarcho-syndicalisme russe comme Kyrill Buketov, ou notre ami Pierre Coutaz de la CGT, savent ce qu’il leur a apportés.
Nous avions alors ensemble, avec Jean Moreau de la revue la Révolution Prolétarienne, préfacé et présenté une brochure d’un prédécesseur de Dan qui se reconnaissait en lui, Edo Fimmen, le dirigeant de la fédération internationale des transports, ports et docks, qui combattait pour le Front unique international du prolétariat en 1923.

J’ai revu Dan une dernière fois, en 2019, à Lausanne pour parler de Paul Lévi. La vieillesse le ralentissait mais peinait à le freiner. C’est avec un pincement au cœur que l’on pense à ce qu’il ressentait sans plus pouvoir le dire au monde entier, pour l’Ukraine. Voici une des dernières photos de Dan en action, magnifique, qui date de 2021 : il est avec Lizavieta Verliak, dirigeante de la délégation à l’étranger du BKPD, le syndicat indépendant bélarusse. Et il n’est pas sans portée qu’avec eux, sur le mur, il y a Corto Maltese …

A la fin des réunions, il sortait une fiole de whisky qu’il trimballait toujours avec lui, et il fallait trinquer. A ta santé, camarade Dan, passeur de la tradition, celle dont Confucius aurait dit : « Celui qui sait réchauffer l’ancien pour comprendre le nouveau mérite d’être appelé maître. »
Vincent Présumey, 1° juin 2025.
Qu’est-ce que le socialisme ? Réponse à Christophe Blocher, par Dan Gallin. Décembre 2000.
Alors que le milliardaire Christophe Blocher, clone suisse de Le Pen, engageait une campagne de propagande visant le mouvement socialiste comme le syndicalisme et les droits sociaux, sans oublier les immigrés, le magazine Domaine Publique a publié une réponse à Blocher rédigée par Dan Gallin qui mérite de figurer dans toutes les bibliothèques de base de formation. A titre d’hommage à Dan, nous la reproduisons.