L’ambition des auteurs de La Meute tient de l’exposé journalistique et sociologique du phénomène qu’est le premier cercle dirigeant de LFI, l’Impérium, évoluant autour du Chef, aspirant Bonaparte. De ce point de vue là, c’est assez réussi : les révélations obtenues auprès des divers participants, ex ou toujours dans LFI, donnent la nausée. Du tableau dressé, il se dégage une atmosphère et des mœurs totalement étrangères à un projet émancipateur dans lequel celles et ceux d’en bas prennent consciemment leurs affaires en main et avancent d’une façon collective, cohérente, réfléchie, rationnelle, dans un cadre où la discussion des divergences relève de l’évidence et non du crime de lèse-majesté, et où la délibération finale se nourrit du débat préalable.

Cependant, même s’il fournit des éléments en ce sens, cet ouvrage ne visait pas une telle réflexion politique.

Or, l’existence aujourd’hui du phénomène politique et social qu’est LFI pose un problème à toute la gauche car dans le parcours politique de plus de cinquante ans de Jean-Luc Mélenchon se révèle en creux le bilan de toute la gauche, du PS … au NPA !

Si l’on peut résumer la vie politique de JLM en deux tableaux, acte 1, le PS, acte 2, après le PS, il n’en reste pas moins un élément de continuité essentiel : la défense de l’ordre établi, et singulièrement de la 5ème République, en se donnant pour un critique radical du système.

Sous cet angle, il est important de tirer le bilan du Mélenchon, premier opposant du PS pendant 33 ans (1975-2008). Bien que formé au départ dans le cadre de l’OCI, Mélenchon n’a pas été un sous-marin de Lambert ; il est entré par lui-même avec ses projets propres au sein du PS, celui, en apparence, de construire une aile gauche, appuyée sur une tradition laïque, républicaine, ancrée dans le mouvement ouvrier réel, syndicats et associations, avec une dose de jauréssisme, proclamant la nécessité de la rupture avec le capitalisme via un réformisme de combat, avec au minimum de vraies réformes.

Ces décennies de combats de courants au sein du PS se réduisent à la réalité de la fidélité apportée à deux personnages clés dans l’histoire du PS, aux moments clés de son accession aux affaires en 1981, puis en 1997, Mitterrand et Jospin. Ainsi, le récit de la façon dont JLM, devenu ministre de la formation professionnelle de Jospin, reste insensible aux avertissements d’un Corbière « revenu à l’usine » sur la montée du ressentiment social, tel qu’exprimé dans les salles des profs, envers Jospin et sa politique, est édifiant.

Mélenchon, comme Dray, comme les sous-marins de Lambert n’auront finalement servi qu’à une chose : empêcher l’apparition au sein du PS d’une véritable aile gauche refusant l’austérité et les institutions de la 5ème République et engageant, dans les faits, la rupture avec cette politique néo-libérale. Nous aurons la méchanceté de rappeler le Oui à Maastricht de 1992, et l’adoption du principe de la CSG de Rocard qui survit aujourd’hui encore dans le programme de l’AEC, avec notamment le projet d’un prélèvement unique fusionnant CSG et IRPP, soit la destruction de la cotisation sociale, fondement premier de la Sécu de 1945.

Après s’être refait une santé dans la bataille pour le « Non socialiste » contre le TCE (Traité Constitutionnel Européen) en 2005, JLM fit le choix de ne pas s’appuyer sur la légitimité de la victoire du Non pour poser la question du pouvoir à travers la dissolution de cette Assemblée nationale qui avait approuvé le TCE contre la volonté majoritaire exprimée le 29 mai, et l’exigence du départ de Chirac. A la place, il participa aux grandes manœuvres du congrès du Mans de novembre 2005 dont la synthèse donna … la candidature de Ségolène Royal pour la présidentielle de 2007, véritable faire-valoir de Sarkozy, avec le succès que l’on sait.

2007, c’est la négation de la poussée d’en bas exprimée par la victoire du Non au TCE le 29 mai 2005, précédée de la grande vague de grèves du printemps 2003 contre les attaques sur les retraites et les services publics, la révolte des banlieues de l’automne 2005, et la mobilisation victorieuse de la jeunesse en lien avec les salariés contre le CPE de Villepin au printemps 2006. Et JLM a apporté sa pleine contribution à cette négation …

Ensuite le balancier repartira dans l’autre sens avec la victoire de Hollande sur Sarkozy en 2012 dans une configuration rarement rencontrée : le début du Front de Gauche, la 1er candidature de JLM qui apparaît alors comme prometteuse, la gauche, PS en tête, conquérant l’Élysée, la majorité à l’Assemblée, l’immense majorité des régions et des grandes agglomérations, tout cela pour nous amener …. à la loi Travail de Valls-Rebsamen-El Khomri, et à Macron, fils putatif de Hollande. Avec des « frondeurs du PS » qui passent leur temps en mode « retenez-moi, sinon je vais faire un malheur ! », se refusant à ouvrir la crise politique en votant résolument contre cette maudite loi Travail.

Entre temps en 2008, c’est la sortie à froid du PS pour Mélenchon. Sans concertation avec les autres forces du Non socialiste, JLM jette les bases du Parti de Gauche qui naît en 2009 avec quelques attributs attractifs d’un parti de gauche offensif rompant enfin avec le social-libéralisme. Hélas, les espoirs des débuts sont vite étouffés : le nouveau parti ne saurait être autre chose qu’une fraction autour du Chef, centralisée et contrôlée au plus serré. Le PG ne sera pas un nouveau PSU amalgamant des courants issus de traditions différentes ! Certes, il y a encore des débats de congrès, des motions débattues jusque tard dans la nuit mais tout cela sera vite balancé avec le lancement de LFI en 2016. Lancement qui succède aussi au sabordage du Front de gauche, cette alliance électorale de Mélenchon avec le PCF à laquelle il sera interdit de devenir une vraie opposition de masse, effective et rassembleuse, au social-libéralisme de Hollande.

2016 incarne la rupture avec la forme parti classique (adhérents cotisants, structures établies, congrès, débats, motions, élections des responsables, votes publics des orientations ) par le choix du mouvement gazeux où seul, le vrai centre organisateur, jamais élu, jamais comptable de son action, sait tout, contrôle tout, décide de tout, même des détails.

L’intérêt de La Meute est d’illustrer la façon dont toute la stratégie de JLM à partir de la sortie du PS repose sur la centralité de l’élection présidentielle, avec la promesse d’une 6ème République en tête de gondole pour les gogos. Ceux qui voudraient vraiment ouvrir la voie d’une authentique assemblée constituante balayant la 5ème, sont priés de bien vouloir attendre l’élection préalable du dernier président de la 5ème !

Dans ce magma gazeux où cohabitent groupes d’action, contributions ponctuelles à la carte via le parti plateforme, boucles Telegram en tous sens, diverses structures plus ou moins connues du sérail militant, seul a voix au chapitre le noyau central dénommé à juste titre La Meute, centrée sur le vieux Chef.

La place prise par une intrigante dénommée Sophia Chikirou illustre le principe que « là où il y a des rois, il y a des reines ». Sauf qu’en la circonstance, Marie-Antoinette avec ses caprices fait pâle figure face à la réincarnation de Jiang Qing, clonée avec un zeste d’Helena Ceaucescu.

Plus la stratégie présidentielle prend de poids, avec, le temps passant, l’hypothèque de l’âge grandissant qui frappe Jean-Luc comme tout un chacun, en dépit de la déification de sa personne par les fidèles, plus l’aspect de clan, de meute, de bande, autour de l’aspirant Bonaparte devient criant.

Dans l’histoire de LFI, il y a eu beaucoup de départs individuels et de déceptions accumulées, bien des mises à l’écart et des exclusions, mais jamais une purge comme celle aboutissant à la non reconduction de l’investiture de six députés sortants lors des législatives de 2024. Cette crise, commencée avec la mise à l’écart du cercle central de Clémentine Autain, François Ruffin, Alexis Corbière, Danielle Simonnet et Rachel Garrido fin 2022, a culminé dans la crise de mai-juin 2024. On peut espérer que celle-ci marque un tournant vers la crise finale de LFI. Mais pour cela, il faudra que les principes de démocratie dans toutes les formes de structuration et d’action, et d’unité contre l’ennemi commun dans le respect des divergences et des différences, prévalent là où « le bruit et la fureur » ont pris la place.

Il n’est pas anodin qu’aux origines de cette crise il y eut l’affaire Quatennens, du nom du député qui distribuait des claques à son épouse. Toutes celles qui, comme Pascale Martin, Clémentine Autain, ou Danielle Simonnet, ont mis le doigt là où çà faisait mal, ont permis le démarrage d’un cycle nouveau. La lutte pour l’émancipation ne peut s’accommoder des pratiques rétrogrades et maltraitantes, aussi bien physiques que psychologiques, dans la sphère privée comme dans la sphère publique. Le machisme et la domination masculine fondent la nécessité du mouvement de libération des femmes ; ils ont aussi à voir avec les dispositifs de protection et de perpétuation de l’ordre établi, dont l’État de la 5ème République. Raison supplémentaire, pour les partisans de la démocratie intégrale, donc de l’expropriation du capital, de les combattre sans concession.

Ni César, ni tribun, ni président : assemblée constituante !

OD, le 15/05/2025.