Le seul chiffrage fiable des manifestants aux États-Unis le 5 avril dernier est venu, plusieurs jours après, des réseaux militants eux-mêmes qui les avaient impulsés : 5,1 millions de manifestants. Ils ont remis ça le 19 avril. A nouveau, il est très difficile d’avoir un chiffre précis. Les images, de Wachita dans le Sud profond (là, c’est nouveau) à Philadelphie en passant par Salt Lake City, sont tout aussi impressionnantes. On peut supposer qu’au total, il y a eu moins de manifestants – 4 millions ? Cela ne veut en rien dire qu’il y a recul, mais plutôt concentration, recherche, approfondissement. Dans le Sud surtout, le mouvement semble s’être approfondi. La conscience est là qu’il va falloir affronter Trump et le triumvirat Trump/Musk/Vance, que la guerre avec eux est là, ce sont eux qui l’ont commencée.
Passons sur la presse francophone qui, divisant la réalité par mille, parle des « quelques milliers » de manifestants et s’interroge de manière faussement candide : « la fin de l’état de grâce de Trump pointe-t-elle son nez » !
Ces « journées » nationales de manifestations contre le pouvoir en place sont un phénomène historique aux États-Unis. La participation populaire draine des gens de toutes générations dont certains ont voté Trump. L’angoisse devant la destruction totale d’un système de santé déjà défaillant est souvent un mobile fort. Ces actions ne viennent pas d’organisations nationales appelant de façon claire : les directions syndicales sont aux abonnés absents. Mais les réseaux organisateurs – Federal Unionist Network, Hands Off, FiftyFityOneMovement, et leurs équivalents locaux qui foisonnent – sont formés de sections syndicales et de militants syndicaux, qui donnent son armature à la résistance anti-Trump. Leur prochaine date rejoint le monde entier, puisque c’est le 1° mai.
L’expression politique de cette lame de fond est donnée par la formidable tournée de meetings de Bernie Sanders et Alexandra Ocasio Cortez, qui appellent à la défense de la démocratie au nom de la constitution, à l’organisation autonome de la classe ouvrière, et à « affronter l’oligarchie », drainant des foules immenses. Là encore, on peut observer que les grands rassemblements dans les grandes métropoles – 32 000 à Los Angeles, organisé par l’AFL-CIO de Californie, avec Joan Baez, Neil Young, Maggie Rogers … et la haie des institutrices syndiquées – sont proportionnellement moins puissants que ceux des petites villes : à Folsom, près de Sacramento, elles et ils étaient plus nombreux encore. Tous les commentateurs soulignent que le duo Berrnie/AOC se porte en terres « rouges » (= républicaines) et drainent les foules. Ils ont ainsi parcouru les Appalaches en souffrance sociale, puis les grandes plaines et l’Ouest, et commencé à aborder le vieux Sud. Leur tournée est préparée par des réseaux militants qui sont bien sûr les mêmes que ceux des journées nationales de manifestations, intégrant les Democratic Socialists of America (DSA), mais les dépassant largement.
Soyons nets : l’affrontement se durcit. L’état d’urgence proclamé le 20 janvier sur l’immigration en même temps que commençait le viol de la constitution sur le droit du sol, n’a pas basculé dans des rafles de millions de personnes principalement en raison de la résistance sociale dont il vient d’être question. De même, Trump a renoncé à envoyer la garde fédérale attaquer les écoles de Chicago, dès les premiers jours. Mais les arrestations illégales se multiplient, la plus emblématique étant celle du militant défenseur des droits des Palestiniens Mahmoud Khalil, à l’université de Columbia (New York). Les arrestations massives de latinos-américains, ou de citoyens d’origine latino-américaine, accusés d’être membres de mafias vénézuéliennes, donnent lieu à des déportations vers les sinistres prisons salvadoriennes, qui font penser aux camps pour Ouïghours du régime chinois. La situation est sur le fil du rasoir et ne restera pas ainsi pendant des mois.

Au plan des relations internationales, Trump a considérablement affaibli les États-Unis par son offensive forcenée sur les tarifs commerciaux : la réaffirmation de la puissance n’a pas conduit à la restauration de la puissance. Le curseur, ce sont les taux d’intérêts sur la dette américaine : ils ne rebaissent pas, et Wall Street n’a pas retrouvé ses niveaux d’avant l’ « Indépendance Day » du 2 avril trompeté par Trump. Cela veut dire que le mouvement global de méfiance du capital envers la fiabilité de l’État US se poursuit et porte atteinte au financement du capital financier US, qui vit à crédit sur le monde depuis des décennies en tant que première puissance impérialiste.
C’est en pleine rédaction de cet article que j’apprends la mort de Jorge Mario Bergoglio, dit François, pape. Il se trouve que son dernier acte politique, malgré sa santé, et sans doute avec hésitation, aura été, hier 20 avril, de recevoir pendant quelques minutes J.D. Vance, le troisième homme – et potentiellement le plus important – du triumvirat Trump/Musk/Vance. JD Vance était en visite à Rome pour recevoir les hommages de Mme Meloni qui, de fasciste d’opposition prorusse, était devenue première ministre atlantiste passant pour pro-ukrainienne, mais qui, en se voulant la meilleure trumpiste d’Europe occidentale, boucle la boucle puisqu’elle peut désormais se faire trumpo-poutinienne. Mais il est probable que sa réception au Vatican était l’affaire la plus importante pour Vance : il a rencontré pendant une heure le n° 2 du pape mourant, le cardinal Pietro Parolin.
Pourquoi l’activisme religieux de J.D. Vance est-il un sujet important, ce sera l’affaire d’un tout prochain billet !
VP, 21-04-2025.