Nous communiquerons par mail aux lecteurs le souhaitant les « Mémoires » de Pierre Broué, en accord avec ses enfants. Le livre devait paraître, chez Fayard, peu après la mort de son auteur, en 2005. Cette parution a été évitée par Michel Broué, qui est intervenu auprès de l’éditeur. Il a ainsi empêché une parution qui aurait été préjudiciable à la mémoire et à la réception de l’œuvre historique de Pierre Broué, qui aurait alors consisté en un pseudo-couronnement de celle-ci par ce qui est en réalité le tapuscrit d’un homme malade et sous curatelle renforcée, ne disposant pas de toutes ses facultés.

Contrairement aux rumeurs que certains ont fait circuler, cet ouvrage n’a pas été « interdit » de parution ; l’édition a juste été annulée en 2005, de nombreux exemplaires circulant, communiqués y compris par l’éditeur à qui en faisait la demande. Si certains de ses possesseurs ont cru avoir en leurs mains un ouvrage interdit, c’est leur problème. Il est, par contre, étonnant qu’untel soit allé jusqu’à prétendre avoir là le « testament politique » de Pierre Broué.

On peut aussi noter qu’aucune des personnes en possession du fameux tapuscrit, l’invoquant voire protestant contre un interdit imaginaire, n’ait exprimé la moindre gêne, avant ou après MeToo, envers les fantasmes de domination masculine qui le hantent, comme ce sous-chapitre entier (totalement imaginaire) consacré à la prise des petites culottes sur un air de samba …

On l’aura compris, la crédibilité de bien des récits contenus dans cet ouvrage est fort sujette à caution. Il était, de plus, insupportable à ses enfants que soit publié un écrit souvent délirant, en ce qui concerne les relations de l’auteur avec leurs mères, laissant transparaître, entre autres, dans le ton faussement comique et brusque, un comportement toxique dont ils ont eu à souffrir. Au demeurant, il est assez facile de déceler les bobards une fois que l’on a compris leur principe : l’auteur est toujours le premier de la classe et l’idole des femmes même quand elles n’osent pas le dire ou qu’elles l’ont quitté. Il gagne les parties de bras de fer et les concours d’absorption de whisky, il devine et il déjoue.

Il n’en demeure pas moins que, comme tout écrit, cet ouvrage est un document historique à sa façon, non pas en tant qu’ouvrage historique sur et de Pierre Broué, mais en tant que document sur l’état où était son auteur à la fin de sa vie, avec des éléments principalement psychologiques sur les milieux qu’il a fréquentés et des données partielles sur son existence. On y trouvera bien des notes d’ambiance à prendre avec du recul, mais symptomatiques voire amusantes si on sait les situer et les interpréter, concernant notamment l’histoire de l’OCI (Organisation Communiste Internationaliste).

A propos de la période 1940-1944, le résumé factuel vraisemblable de l’histoire réelle de Pierre Broué a été fait par Vincent Présumey, qui disposait du tapuscrit, en 2005 : il est éloigné du « crapahut » évoqué, souvent dans une grande confusion, sur sa jeunesse par Pierre Broué. On regrettera que des « historiens » officiels, tels Jean-Guillaume Lanuque, aient accrédité sans vérification ce que leur a raconté le vieil homme, et l’ait publié dans le Maitron. On notera que le résistant puis communiste Paul Noirot, dans son livre paru en 1976, La mémoire ouverte, que P. Broué est venu voir après sa rupture avec le PCF, admet l’avoir eu comme « agent de liaison » tout en indiquant n’avoir strictement aucun souvenir de lui, mais mettant cette étrangeté au compte de la censure mémorielle du stalinien qu’il fut. Très bon conteur, Pierre Broué l’avait donc convaincu.

Ce bon conteur et affabulateur sur lui-même fut un grand historien. C’est en particulier cela qui doit demeurer et qui aurait été affecté par une publication. Il y a maintenant prescription, et les rumeurs fantasmatiques sur le mystérieux mémoire interdit de Pierre Broué ont assez duré.

Michel Broué, Vincent Présumey, le 09/02/25.