Le congrès de la FSU, première fédération de syndicats de l’enseignement public, s’est tenu à Rennes du 3 au 7 février dernier.
Un moment historique.
Le moment clef de ce congrès a une portée qui concerne tout le syndicalisme et tout le mouvement social en France, le jeudi 6 février lors des interventions conjointes de Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT, et de Benoit Teste, dirigeant fédéral de la FSU (auquel a succédé, le lendemain, Caroline Chevé).
Ce qui s’est passé là, en plus concentré, fut analogue à ce qui s’est passé dans tout le pays lors de la journée du 10 juin dernier, lendemain des élections européennes et de la dissolution, aux origines du NFP et de l’échec de la mise en place d’un exécutif Macron/Bardela : la manifestation, au niveau d’une importante couche militante, de la force et des possibilités réelles du moment présent, contrastant avec les deux figures ennemies de l’impuissance parlementaire que sont les « non-censures » du PS et les censures à répétition de LFI, et s’opposant frontalement à la division en mettant en avant l’unité syndicale.
Cela se passait le jour même où les députés PS ne votant pas l’une des motions de censures issues de LFI étaient accusés d’être les alliés de Macron et de Le Pen par ceux-ci. Le contrepied à la division et le rôle du syndicalisme pour cela étaient au cœur des pensées de toute la salle.
Cet appel à l’unité a été, dans le discours de Sophie Binet, directement relié à la situation internationale :
« Nous sommes dans un moment de basculement. », « Le basculement va maintenant s’accélérer. Pourquoi ? Parce que pour le capital, la démocratie est désormais un problème. » « Ce moment si particulier exige une réflexion, une redéfinition de notre stratégie syndicale à l’aune du danger mortel de l’extrême droite. » « Pour affronter l’internationale d’extrême droite, de Trump, Musk, Poutine, Netanyahou et tant d’autres, il nous faut renforcer notre stratégie internationale et européenne. Ce contexte glaçant est aussi un moment de clarification. Un moment où il va falloir choisir son camp. »
Ce que Benoit Teste a repris en précisant que le syndicalisme allait avoir à choisir entre l’unité pour faire front et le « corporatisme dont peut s’accommoder l’extrême-droite ». Si l’on peut supposer qu’il envisageait par-là plutôt le repli professionnel étroit (et des stratégies perdantes que nous avons aux Etats-Unis chez les Teamsters ou les Dockers envers Trump), que l’intégration à l’Etat sous le label du « dialogue social », c’est là une autre déclaration importante.
La pleine dimension internationale a été apportée, dans ce congrès, par Sophie Binet – c’est un fait. Si bien des interventions se sont acharnées sur « Gaza », « la Palestine » et « le Génocide », aucun de ces délégués, je dis bien aucun, n’avait eu le sens de proposer une motion solennelle du congrès dénonçant le projet de déportation des Gazaouis par Trump !
A propos de la maison commune CGT/FSU.
Ce moment du congrès était relié à la discussion de la « maison commune » annoncée maintenant officiellement par la CGT et la FSU. Solidaires était présent par ses deux co-secrétaires générales mais n’est pas officiellement partie prenante de ladite « maison commune ». Le congrès a scandé « Unité » au début, et chanté l’Internationale à la fin de cette séquence.
C’est quoi la « maison commune » qui n’est « ni une fusion ni une absorption » selon les textes adoptés ?
Jusque-là c’était souvent un peu un maronier même s’il prenait de plus en plus de volume : l’une de ces formules sibyllines pour préserver les appareils existants tout en disant vouloir bâtir un « nouvel outil ».
Mais le contenu a commencé à changer suite au congrès confédéral de Clermont-Ferrand de la CGT tenu au printemps 2023, et surtout lors des législatives et de la naissance du NFP. Sans doute le jeudi 6 février 2025 a-t-il été l’étape suivante.
Car le « ni fusion ni absorption » est associé consciemment au fait qu’il y aura bien à moyen terme une organisation syndicale commune, donc une confédération, donc l’unité organique. Cela doit donc vouloir dire que la CGT s’unifiant avec la FSU serait autre chose que la CGT actuelle. Et que ceci aurait des retentissements sur les autres organisations, Solidaires évidemment, mais aussi le SE-UNSA et FO …
Cette perspective s’est traduite par des échanges de formules amusantes, dignes du credo théologique de Nicée entre nos deux dirigeants, jugez en : Sophie Binet : « nous ne ferons pas un 1+1 = 1,5 ». Benoit Teste : « Ce que nous voulons c’est 1+1 = 3 ! » !
Le conclave, obstacle à l’unité.
Alors, unité d’action syndicale dans la confrontation avec gouvernement et patronat conduisant, contre Trump/Musk/Poutine et Le Pen, à l’unité organique refondant une grande CGT de classe et de masse, indépendante et démocratique, ou bien poursuite du ronron autour de formules néo-unitaires tout en participant aux conclaves et autres sommets du dialogue social ?
Les faits trancheront mais la séance du congrès FSU du 6/02/25 a été un pas dans le bon sens. Parmi les faits, tout de suite, il y a le verrou du « conclave » de Bayrou. Sophie Binet a bien déclaré que c’est un piège, mais qu’il faut y aller (et défendre le droit de la FSU et de Solidaires d’y être) car son existence est la conséquence d’une victoire, à savoir qu’« ils » n’ont pas pu effacer la question de la réforme des retraites, et qu’il faut donc avoir « un pied dans la porte » tout en réclamant l’abrogation.
Cette argumentation, que l’on ne retrouve pas dans les versions diffusées de son discours où manquent les passages sur le conclave, est faible. Si le but est l’abrogation, il est clair que telle n’est pas la fonction du conclave. La mobilisation unitaire est donc nécessaire pour l’abrogation, comme elle l’est, tout de suite, pour la hausse des salaires, l’arrêt des plans de licenciements et le sauvetage des services publics, et le conclave est ici un obstacle : il faut en sortir.
Maison commune et unité organique.
Reliée à la nécessaire indépendance envers l’Etat et le patronat, la perspective d’une nouvelle forme d’unité organique du syndicalisme en France, peut, et donc doit, être un point d’appui et un espoir authentiques.
L’unité organique du syndicalisme, en France, est historiquement reliée à l’histoire de la CGT, telle qu’elle s’est constituée, en tant que confédération, entre 1895 et 1906. L’union sacrée de 1914 a produit la division de 1921 et la réunification en 1935 a redonné des forces à la classe ouvrière, forces qui ont explosé en 1936. La politique du Front populaire puis le pacte germano-soviétique ont à nouveau produit la division, surmontée en 1943 à l’approche de la libération. Le refus des grèves au nom de l’union nationale de 1944 à 1947 puis la guerre froide ont à nouveau produit une scission, entre CGT et CGT-FO, en 1948. La FEN a alors préservé son unité en affirmant l’objectif de la réunification (motion Bonissel-Valière, 1948), et la FSU – y compris dans ses statuts – a gardé cette vocation unitaire, liée au droit de tendance, vocation reniée par les fondateurs de l’UNSA.
La pluralité syndicale est aujourd’hui ancienne et elle s’est compliquée de l’évolution de la CFTC en CFDT (1964) et de la formation de l’UNSA et de Solidaires au début des années 1990. La perspective historique, pour ainsi dire programmatique, d’unité organique sur les bases de la Charte d’Amiens, reconstituant une grande CGT indépendante et démocratique, doit être une la référence des discussions sur la maison commune, qui ne la reproduiront toutefois pas à l’identique.
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Le congrès de la FSU a eu bien entendu bien d’autres aspects : ce fut un congrès vivant d’un organisme vivant (1), vertébré par des militants qui, globalement, ont été renforcés par le rôle joué par la grève de l’enseignement public et l’existence même de leur fédération et de ses syndicats, le 5 décembre dernier, contre les pires mesures anti-fonctionnaires tentées par le pouvoir exécutif, et contre la mise en œuvre du « choc des savoirs », cette attaque centrale contre l’enseignement public et contre la jeunesse.
Vincent Présumey (délégué à ce congrès), le 15 février 2025.
(1) Les camarades de la tendance Emancipation ne partagent manifestement pas ce point de vue, qui font grand bruit autour d’une brève confrontation entre quelques « totos » envers des représentants de la direction de la FSU lors du passage d’une manifestation étudiante devant le lieu du congrès au centre-ville de Rennes. Cette fixette est regrettable car à mille lieux de ce qui s’est réellement passé durant ce congrès.