Les militants de France Insoumise ne sont pas en droit de contester la politique de leur organisation à l’international, car comme dans la constitution de la Vème République, ce domaine est réservé à Jean Luc Mélenchon et à son petit imperium. Il est temps que la discussion s’ouvre sur la question des BRICS dans France Insoumise, comme dans la gauche en général. D’autant que la question de la continuité de l’offensive militaire de Poutine sur l’Ukraine et les droits de son peuple vient brutalement de s’infléchir. Le site Kasparov (1) souligne que le commandant en chef des forces armées ukrainiennes Alexander Syrsky déclare qu’il a à faire face à la plus grande offensive de la Russie depuis le début du conflit.
Si l’on en croit la déclaration liminaire fondant la perspective des BRICS en 2001 et regroupant alors la Russie, l’Inde, la Chine et le Brésil – pour soi-disant favoriser l’économie des pays dits « émergeant », que devons-nous conclure alors que le sommet mondial vient en octobre 2024 de se terminer ? C’est Jim O’Neill, un banquier d’affaires de Goldman Sachs, firme britannique, qui quitte ce groupe pour une situation plus juteuse à New York en 2012, qui a eu l’idée de réunir ces pays dans un produit financier. Son œuvre est saluée chaleureusement le 22 août par le journal La Croix : « l’homme qui a posé les premières BRICS ». La hiérarchie catholique, les relais de celle-ci dans la gauche française, l’Église orthodoxe qui bénit les canons de Poutine, soutiennent les BRICS. Le bloc des 4 est rejoint aujourd’hui par l’Afrique du Sud puis l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran.
Si l’on raisonne une minute en termes d’apparition d’un nouveau bloc géopolitique au sein du monde multipolaire actuel, qui défendrait les intérêts des peuples, force est de considérer que le sommet de Kazan ne représente pas une alternative écologique et sociale aux puissances impérialistes regroupées dans le G7 : États-Unis, Allemagne, France, Royaume-Uni, Canada, Japon, Italie et Union européenne. Elles sont plutôt une décomposition plus avancée du capitalisme mondial.
Dans la gauche française, François Mitterrand, s’appuyant sur les positions du chrétien social Jacques Delors, véritable père spirituel de l’Europe néo-libérale actuelle, avait jeté tout son poids dans la balance pour le oui à Maastricht : « Pour les hommes de ma génération, affirmait-il, je vous le dis tout net ! Le nationalisme, c’est la guerre ! » Acceptez la concurrence libre et non faussée et nous y construirons un volet social ! Aujourd’hui, on a l’Europe néo-libérale, le volet social y est bien maigre, par contre nous avons la guerre. Après une campagne acharnée pour le non de gauche, le peuple français rejetait en 2005 par 55% des suffrages l’Europe néo-libérale : les gouvernements de droite comme de gauche, Sarkozy puis Hollande, vont s’asseoir sur ce vote, devenir les commis-voyageurs des politiques néo-libérales, continuer en France la destruction des conquêtes sociales imposées par la montée du prolétariat à la fin de la seconde guerre mondiale.
Jean Luc Mélenchon et la politique de son premier cercle qu’il impulse sont bien dans la continuité du Mitterrandisme : son soutien aux BRICS comme alternative à l’impérialisme étatsunien est sur la même ligne. Être la force qui dans ce nouveau bloc en développerait le volet social et écologique.
Récemment, le leader de FI a fait une tournée en Afrique, au Sénégal. Sa conférence du 17 mai 2024 aux côtés d’Ousmane Sonko (2) était consacrée, face à une jeunesse universitaire, à l’implication des pays de la région sub-saharienne dans les BRICS. Il répondait d’ailleurs au souhait qui avait été formulé par Jim O’Neill après 2001.
Sauf que l’on cherchera en vain dans les conclusions du sommet mondial de Kazan des aspects intéressant une perspective de gauche. Non seulement les gouvernements des pays concernés sont dans une logique capitaliste, mais les deux qui en constituent la tête de pont, sont des dictatures issues d’une contre-révolution. Léon Trotsky établissait, du moins pour le sort de la révolution de 1917, dans les derniers mois de sa vie un diagnostic : sans révolution politique en URSS, la liquidation des conquêtes révolutionnaires par la bureaucratie stalinienne conduira inéluctablement à l’émergence d’un capitalisme de type maffieux. Nous y sommes pleinement avec la Russie impériale de Poutine.
Quels sont les points centraux du sommet de Kazan :
- Il n’y a aucune remise en cause du FMI et de la Banque Centrale mondiale : « Nous réaffirmons notre volonté de maintenir un filet de sécurité financier mondial solide et efficace, avec en son centre un FMI ». Aucune critique n’est avancée concernant les pays qui font appel à ses crédits.
- Dans le point 11 : « Il s’agit également de féliciter le FMI pour son intention de permettre aux pays d’Afrique subsaharienne, scandaleusement sous-représentés dans la direction du FMI, d’obtenir en son sein un siège supplémentaire. » C’est ici que l’on retrouve le commis voyageur Mélenchon et son voyage africain.
- Soulignons qu’il n’y a aucune demande et aucun engagement pour l’annulation des dettes.
- Sur l’écologie, rien n’est dit sur le réchauffement climatique, alors que la Chine est le premier pays pollueur de la planète : les anciennes puissances impérialistes et les grandes entreprises qui vivent de l’énergie fossile ne sont pas dénoncées.
- La politique de l’État d’Israël est condamnée, mais les BRICS continuent à fournir à ce pays du pétrole, du gaz, du charbon, indispensable pour continuer à soutenir son effort de guerre. Au point 33, ils condamnent, sans les nommer, les actions des Houthis qui s’attaquent aux bateaux qui commercent avec Israël en déclarant : « …il importe de garantir l’exercice des droits et libertés de navigation des navires de tous les États en mer Rouge et dans le détroit de Bab Al-Mandab. »
- Aucune condamnation de la politique d’occupation et d’agression contre l’Ukraine, contre les droits nationaux de son peuple : « Nous rappelons les positions nationales concernant la situation en Ukraine et dans les environs, telles qu’elles ont été exprimées dans les enceintes appropriées, y compris le Conseil de sécurité des Nations unies et l’Assemblée générale des Nations unies. (…). Nous prenons note avec satisfaction des propositions pertinentes de médiation et de bons offices, visant à un règlement pacifique du conflit par le dialogue et la diplomatie. » Souvenons-nous, Mélenchon n’a pas dit autre chose au début de la guerre et, obligé de sortir de son silence lors d’une conférence en octobre 2024, faisant le point de la situation pour ses cadres politiques, il n’a pas dit autre chose. (3)
- La NBD (Nouvelle Banque de Développement) prête essentiellement en dollars. Sa gestion sera tournante. La présidence actuelle avec Dilma Rousseff est brésilienne, la prochaine sera russe et désignée en 2025 par Vladimir Poutine qui vient d’être réélu à la présidence de la Fédération de Russie jusque 2030. (4)
On a souligné dans les dernières semaines que la Chine diminuait ses exportations en direction de la Russie. Les préventions que le gouvernement chinois pouvait avoir sur la continuation de la guerre contre l’Ukraine, sont celles d’un État prédateur, vis-à-vis de la Russie. Ce sont les visées d’un État lui-même impérialiste qui cherche à profiter de la faiblesse de son voisin. La Chine est dans la continuité de la résolution du sommet de Kazan sur l’Ukraine. Qui ne dit mot consent. Poutine sort donc en grand vainqueur de ce sommet : le lendemain même, les bombardements s’amplifient en Ukraine. Aujourd’hui le commandant en chef des forces armées ukrainiennes Alexandre Syrsky déclare que les forces ukrainiennes retiennent l’une des offensives russes les plus puissantes depuis le début de la guerre. A laquelle va s’adjoindre les unités venant du régime post-stalinien de la Corée du Nord. La république tchèque sauve l’honneur en autorisant 60 de ses concitoyens à rejoindre l’armée ukrainienne. Donc Kazan, c’est la continuité de la guerre pour asservir le peuple ukrainien.
Le journal Midi Insoumis est très lu dans la LFI et jusqu’à ce jour il s’est montré très empressé de défendre la politique de Jean Luc Mélenchon à l’international. L’un des collaborateurs réguliers de ce journal s’appelle Hervé Debonrivage.(5) Il vient du Christianisme social. Il avait commis en son temps un article portant sur une comparaison entre l’encyclique Caritas in Veritate de Benoit XVI et le programme l’Humain d’abord du Front de gauche. Son article du 1er novembre 2024 relève d’une admiration sans borne pour Poutine, l’homme des BRICS et de la guerre contre le peuple ukrainien :
« On comprend la haine, la rage des éditocrates voyant, en utilisant leurs termes, le dictateur, le fasciste, le criminel de guerre, l’envahisseur, le sanguinaire, bref l’incarnation du diable, Poutine qui est loin d’être isolé sur la scène internationale. Les chefs d’État présents, les délégations représentent une population de 4,8 milliards d’habitants. Et celui qui a donné le signal de la désobéissance au début des années 2000, en cette période post–coloniale et post–soviétique, c’est le diable Poutine ! On comprend donc que, outre la technique classique de propagande de guerre par diabolisation, Poutine est bien l’homme à abattre »
Une telle évolution au sein du Parti de Gauche et de la France Insoumise, ce n’est plus le rose bonbon christiano-champêtre de Jacques Delors mais déjà le rouge-brun. Cependant nous n’assimilons pas l’électorat de France Insoumise et ses militants aux orientations de son petit imperium centré sur l’ambition présidentielle de Jean Luc Mélenchon. Si Les BRICS géographiquement sont loin de la France, leur politique s’exprime ici chez nous à Grenoble.
Vencorex fabrique sur la plateforme de Pont-de-Claix des substances pour les peintures et vernis. Cette unité de production est directement menacée par la concurrence de nombreuses usines chinoises qui, dans ce régime dictatorial où la protection et le droit social sont pour le moins faibles, se développent à l’international. Ils sont en mesure de venir en France pour faire la proposition de racheter cette entreprise, licencier 95% du personnel, puis relancer l’activité en baissant les coûts de production par les réductions salariales. De plus, cette soumission au dumping chinois va toucher d’autres usines du bassin industriel (Arkema, Suez, Framatome, etc…) Vencorex est en grève illimitée. Le premier ministre Barnier a mis un mois et demi avant de répondre et de transmettre le dossier au ministre de l’économie. Une manifestation de soutien de la population s’est tenue ce mercredi 30 octobre. Un groupe local de France Insoumise réagit et impulse une initiative : un tract du NFP (Nouveau Front Populaire)38, co-signé par les organisations Écologistes, La France Insoumise, PCF, PS et Place publique, Génération.s etc… est diffusé. Là où la bataille sociale s’engage, le NFP renaît et dépasse ses contradictions internes. Le gouvernement va-t-il accepter la logique des BRICS et abandonner l’entreprise à la main invisible du marché. En France il y a des entreprises déjà installées sur notre sol qui sont régies par les réglementations de leur pays et ont reçu de nos gouvernements précédents une dérogation leur permettant d’échapper au droit social de notre pays. En sera-t-il de même si le gouvernement illégitime de Monsieur 6% accepte la proposition de rachat de l’entreprise chinoise.
Les militants de France Insoumise devront choisir entre une ligne de collaboration avec les BRICS, rappelons la position sur Midi Insoumis d’Hervé Debonrivage ou la Résistance, l’Unité du Nouveau Front Populaire en soutien aux travailleurs en lutte.
RD, le 04/11/2024.
Notes :
- Les forces armées ukrainiennes retiennent la plus grande offensive de la Russie depuis le début de la guerre : http://www.www1.kasparov.org/material.php?id=67262F258656D
- Si vous voulez écouter un modèle de soutien aux BRICS pour une prétendue aile gauche par le chef de FI, regardez cette vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=Mo1H4OYDL9U
- Conférence « le Moment politique » au siège du POI le 4 octobre : https://melenchon.fr/2024/10/04/le-moment-politique-avec-jean-luc-melenchon/
- Lire cet article de fond dont je me suis inspiré pour énumérer les points précédents contenus dans le document produit par le sommet de Kazan par Le Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes (CADTM) : https://www.cadtm.org/Un-sommet-des-BRICS-en-Russie-qui-n-offre-pas-d-alternative
- Article du 2 novembre sur le site de Midi Insoumis intitulé Sommet des BRICS à Kazan en octobre 2024 : vers un nouvel ordre mondial : https://www.gauchemip.org/spip.php?article48136