La quasi-totalité de sa vie s’est passée en Ardèche et en Haute-Loire, territoires auxquels elle était viscéralement attachée. Fille et petite-fille d’enseignants laïques et républicains, elle a côtoyé au cours de son enfance et adolescence toute la génération ardéchoise des syndicalistes révolutionnaires qui s’illustrèrent dans la Fédération de l’Enseignement de la CGT-U autour d’Elie Reynier : les Serret, France et Gilbert, les Boissel, Paul et Marthe, les Bravais, Louise Abrial, les Varennes, les Chasson, Gaston et Suzanne, parents de Guitou, dont le père fut, comme on dit, l’ami, le frère, le camarade, de Gilbert Serret.
Outre l’activité militante, cette proximité était joyeuse, prenait bien souvent la forme de sorties multiples et variées : historiques, géographiques, géologiques. La parole et le métier de Reynier y rayonnaient. Sorties récréatives et formatrices, mélanges des générations, adultes et enfants. On peut difficilement rêver d’une meilleure école de formation, et cela dans tous les domaines. Et c’est sans nul doute un des derniers témoins de cette période qui disparait, témoin de la période mais surtout témoin de cette façon de militer, brillamment mais humblement, avec une parole forte mais sans verbe haut ni grandiloquence.
C’est tout naturellement qu’elle se retrouva en 1945 à l’École Normale de Privas lors de la réouverture des EN, honnies et supprimées par le régime collaborationniste de Pétain. Pour l’occasion, Élie Reynier fut rappelé de sa retraite (prise en 1934 !), autant comme enseignant que comme réorganisateur. Ainsi continuait la formation. L’Ardèche restait syndicalement une terre à part avec une majorité École Émancipée au sein du syndicat enseignant de la CGT réunifiée puis de la FEN (et ce, jusqu’en 1954), avec une nouvelle génération : Yvonne Issartel, Jacques Boissel, les Sansonetti …
A l’École Normale se développa une cellule du PCI (SFQI), fait notable à l’époque, autour du fils de la directrice du Cours Complémentaire de Privas (ancêtre des CES), Pierre Broué, guère plus âgé que les normaliennes et normaliens, lui aussi élève du « père Reynier ». L’histoire de cette cellule du PCI reste à écrire, autant pour la diversité de ses membres, dont Guitou, que pour leur devenir, leur enthousiasme et leur foisonnement intellectuel. Les liens de camaraderie et d’amitié perdurèrent pendant des décennies, résistèrent à la glaciation qui s’établit par la suite. Tout comme celle de Gilbert Serret, l’existence de cette cellule tomba dans un oubli bien organisé par un stalinisme triomphant, mais elle ne fut pas l’objet de calomnies comme Serret le fut, mais plutôt considérée comme un non-événement, alors que cette cellule était le résultat d’un travail syndical, donc aussi politique, fruit du labourage de longues années de la part de générations des syndicalistes révolutionnaires.
Après l’EN de Privas, ce fut la classe prépa philo (Spinoza !!) au lycée de Lyon, et elle fut admise à l’École Normale Supérieure de Fontenay mais étant mariée elle ne put y entrer. Elle, que tout destinait à continuer sur les pas de ses parents et grands-parents, n’épousa pas tout de suite le métier d’enseignant, mais un étudiant en médecine originaire de Saône-et-Loire, Henri Présumey.
Après quelques années d’internat à Annecy, ce fut l’installation au pied du Mont Gerbier de Jonc, à Sainte-Eulalie sur le plateau ardéchois, qui se transformait l’hiver en île tant l’isolement était réel et les hivers plus que rudes. Pourquoi ce choix ? Lors des demandes, l’interne Présumey nota que la mortalité infantile sur le plateau était la plus forte de la région. Cap sur l’Ardèche et en quelques années le taux baissa pratiquement de moitié. Guitou fut femme de médecin de campagne, mais aussi assistante et, qui sait, serait suspectée aujourd’hui d’exercice illégal d’actes médicaux …
C’est là, puis au Monastier, en Haute-Loire toute voisine, que grandirent leurs quatre enfants : Jean, Pierre, Aline et Vincent. Pour avoir un aperçu de ce que furent ces années, et de la personnalité hors normes d’Henri Présumey on peut lire le livre de Pierre Présumey : Docteur : Souvenirs et légendes autour du docteur Henri Présumey, éditions Hauteur d’Homme.
Pour Guitou, de son propre aveu, « ce furent des années lumineuses et de bonheur … ». Mais le bonheur et la lumière ce n’est pas éternel.
Elle devient professeur de collège au Monastier, collège rural : elle enseigne Français, Histoire, Géographie, Musique et elle anime la chorale.
Elle participe au renforcement du SNI-Pegc du département, et au développement de l’École Émancipée traditionnelle. En mai 68 elle participe à un Comité d’Action mis en place au Monastier !!
Clin d’œil de l’histoire, la voici enseignante dans le département où fut déplacé par Vichy, Gilbert Serret. Pour faire bonne mesure elle reprend ses études pour finir et obtenir sa licence de philosophie.
Retraitée, la grande lectrice qu’elle était collabora à Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, revenant sur le syndicalisme ardéchois, Élise Avenas, la réouverture des Écoles Normales, Élie Reynier, Maurice Boulle, le copain de promo et de cellule. Elle fut conseillère et personne-ressource de plusieurs étudiants et chercheurs. Ses archives furent la base de la brochure écrite par Vincent Présumey, son fils, sur Gilbert Serret, et publiée par Mémoire d’Ardèche et Temps Présent.
La pianiste qu’elle était aussi, déjà âgée, apprit l’orgue, montrant ainsi qu’il n’y a pas de limite aux apprentissages.
Véritable bibliothèque vivante : savoir et connaissances n’étaient là que pour être partagées, offertes au plus grand nombre. Ce faisant elle ne faisait que mettre en pratique ce qu’elle avait reçu de ses formateurs.
On appelle cela une vie pleine, droite, où la rigueur et la fidélité ne sont pas de vains mots mais des axes fondamentaux.
Fabien Gallet.
Superbe hommage à une grande vie
Amitié, cher Vincent
Anne Gorouben http://www.annegorouben.com
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