Lundi soir, le Parti démocrate a célébré sa sortie du XXe siècle et son entrée dans le XXIe. L’« amour » exprimé pour Joe Biden lors de son discours en est un symbole. « Nous t’aimons, Joe », scandaient-ils encore et encore tandis que leurs respirations constituaient la deuxième partie du message : « nous sommes [très] heureux de te voir partir ». Ils exprimaient simplement leur satisfaction du fait qu’il avait finalement accepté l’inévitable, à savoir qu’il pourrait soit céder la place à un autre candidat démocrate avant le DNC, soit la céder à Trump en novembre. Il a choisi la première solution. C’est ainsi qu’une candidate plus jeune, femme, noire et asiatique a pris sa place, même si, à 59 ans, Harris n’est « jeune » que par rapport aux deux alternatives (Biden et Trump).

L’ambiance festive était due au fait qu’il est désormais possible de vaincre les républicains nationalistes chrétiens de Trump-Vance, liés aux fascistes. Les sondages nationaux montrent que le ticket Harris-Walz est désormais en tête du vote populaire. Les Démocrates poussent également Trump à s’aventurer sur un terrain risqué. À Chicago, par exemple, ils ont diffusé des messages lumineux sur une tour appartenant à Trump. « Trump-Vance : Bizarre comme l’enfer » et « Projet 2024 Quartier Général » disent les messages.

Le stratège du Parti démocrate David Axelrod met toutefois en garde. Il a averti que « tout le monde à la convention devrait être très conscient du fait qu’il s’agit d’une course que [Trump] peut gagner. » Axelrod a souligné que 65 % des Américains pensent que les États-Unis vont dans la mauvaise direction et que « le message de Trump selon lequel le monde est hors de contrôle continue de résonner ». 

Sean Fain

Lundi soir, le président de l’UAW (Syndicat des travailleurs de l’automobile), Sean Fain, a chauffé la foule, notamment lorsqu’il a commenté les ricanements de Trump et de Musk à l’idée de licencier les grévistes. Dans un brillant moment théâtral, Fain s’est plaint qu’il faisait trop chaud ici et a enlevé sa veste pour révéler un t-shirt proclamant « Trump is a scab » (Trump est un jaune, un briseur de grève).

Les délégués étaient ravis et scandaient avec lui « Trump est un jaune ». Mais Fain a utilisé deux mots qui, employés ensemble, sont généralement tabous au sein du Parti démocrate (ou républicain) : « classe ouvrière ». (En fait, c’est souvent un tabou aussi parmi les dirigeants syndicaux !). « Familles ouvrières » fut le terme le plus approchant ensuite utilisé. D’autres intervenants ont évoqué « la classe moyenne » (mais jamais « les pauvres », qui, tout comme leurs proches les plus méprisés – ceux qui vivent dans la rue – ne sont jamais mentionnés.) D’autres ont évoqué les femmes, les Noirs, les Latinos, les LGBTQ, les jeunes. En ce sens, le transfert de la couronne d’un homme blanc de 81 ans à une femme noire et asiatique de 59 ans ne représente pas vraiment un tournant.

Israël / Palestine
Le DNC a jeté à peine un coup d’œil après le tournant lorsqu’il a programmé un « panel sur les droits de l’homme » pour lundi après-midi. Il s’agissait d’un panel pour les délégués du DNC qui soutiennent la Palestine. Comme Farah Stockman l’a rapporté dans le New York Times, le panel « n’a pas eu l’impression d’être traité sur un pied d’égalité. L’événement n’a pas eu lieu sur la scène principale ni lors d’une émission de télévision aux heures de grande écoute, comme on s’attend à ce que les familles de certains des otages enlevés en Israël le soient ».

Panel des Uncommitted sur les droits des palestiniens, tenu à l’écart.

Le dilemme auquel ces délégués sont confrontés a été exprimé par plusieurs membres du DNC, délégués « Non engagés » (Uncommitted](1). « C’est notre combat pour l’âme du Parti démocrate », a déclaré Layla Elabed, l’une des fondatrices d’Uncommit (Non engagé). Un autre fondateur a exprimé un sentiment similaire. Stockman rapporte : « Ils ont créé un espace pour cette discussion, et cela n’est jamais arrivé auparavant », m’a dit [Abbas Alawieh, également fondateur du Mouvement national non engagé], en faisant référence au panel. « La salle était pleine à craquer et certains des conseillers de Mme Harris étaient présents », a-t-il déclaré. « On a le sentiment qu’elle veut franchir un cap. Est-ce que ça arrivera demain ? Je ne le pense pas. Mais cela arrivera ».

Mais cela arrivera-t-il ?

Israël est le seul allié stable et fiable du capitalisme américain dans toute la région. Ils pensaient avoir un tel allié avec le Shah d’Iran, et regardez ce qui s’est passé. Ils aimeraient avoir un tel allié en la personne de Muhammed Bin Salman en Arabie Saoudite. Cependant, selon Juan Cole , Ben Salman craint d’être assassiné s’il reconnaît Israël sans l’existence d’un État palestinien. En d’autres termes, il pourrait disparaître en un clin d’œil et un régime nationaliste islamique encore plus dur pourrait prendre le pouvoir en Arabie Saoudite.

Le problème auquel la « nouvelle direction » du Parti démocrate est confrontée c’est que les démocrates sympathisent plus avec les Palestiniens (49 %) qu’avec les Israéliens (38 %). Cet écart va se creuser à mesure qu’Israël s’oriente de davantage vers le génocide et le nettoyage ethnique. En outre, au fur et à mesure qu’Israël avance dans cette voie, cela porte atteinte aux intérêts stratégiques américains dans la région. Cela réduit considérablement l’influence américaine, comme l’indique la menace qui pèse sur la vie de Ben Salman.

Harris face au dilemme
Harris est confrontée à un dilemme. Elle doit faire entendre la voix des opposants au génocide israélien et au nettoyage ethnique, en partie pour conserver leur loyauté et en partie pour faire pression sur le régime israélien. Mais cette voie est dangereuse, car plus elle révèle l’ampleur des crimes israéliens contre l’humanité, plus il est difficile de maintenir le soutien populaire général à l’alliance des États-Unis avec Israël. Et si l’on considère comme des indications l’utilisation d’un tuyau par des soldats israéliens pour violer un prisonnier palestinien et les émeutes pour soutenir ces soldats (comme le rapportent Haaretz et d’autres journaux), Israël continuera à descendre cette pente.

Alors, quelle est l’alternative pour le mouvement  « Non-engagé » ? Ni Jill Stein, du Parti Vert, ni Cornel West ne présentent d’alternative. Stein a une longue tradition de présentation de Trump comme un moindre mal. En fait, lundi, une conférence de presse a été tenue au cours de laquelle Stein a déclaré que c’était le Parti démocrate plutôt que les Républicains qui « était la cause du fascisme ». Quant à West, il a accepté avec joie le rôle central des agents républicains en s’inscrivant sur les bulletins de vote en Arizona , au Wisconsin et en Caroline du Nord [États clés dans le vote pour la présidentielle. Ndr]. Ajoutez à cela le fait que ces deux candidats excusent l’invasion criminelle de l’Ukraine par la Russie, nous n’avons rien d’autre qu’une véritable déguisement pour l’extrême droite en habits de « gauche ».

Les deux partis se basent sur une politique communautaire. Pour les Démocrates, ce sont les personnes de couleur, les femmes et les personnes LGBTQ, avec une dose de « eh les gars, ne pouvons-nous pas tous nous entendre ? » Pour les Républicains, c’est fondamentalement un ethno-nationalisme, avec une dose de machisme, d’intimidation et de violence. En d’autres termes, c’est la démocratie capitaliste contre l’autoritarisme capitaliste/le populisme d’extrême droite. Tout socialiste, quiconque souhaite sérieusement tenter de s’organiser avec la classe ouvrière américaine favorisera certainement la première forme, ne serait-ce que comme palliatif. Mais reste la question de savoir combien de temps l’autoritarisme pourra être retardé. Oaklandsocialist a discuté des perspectives de Harris lorsqu’elle a pris les rênes pour la première fois. Dans cet article, nous avons comparé ses perspectives à celles de ses homologues en Europe. Nous avons souligné que l’équivalent britannique des Républicains, Reform UK, attendait dans les coulisses et que leur équivalent français, le Rassemblement national, était encore mieux placé.

L’avertissement d’Axelrod concernant « un monde hors de contrôle » doit être pris au sérieux. Dans notre récente brochure La nature de cette période , nous avons débattu de la montée mondiale de la contre-révolution. Cela découle de la dynamique même du capitalisme du XXIe siècle. Les républicains MAGA font partie de cette évolution. Un autre aspect de cette évolution a été révélé dans le discours de Sean Fain au DNC. Lui et l’ensemble de la direction syndicale ont lié les syndicats au Parti démocrate, érigeant tous les obstacles possibles pour tout développement vers l’indépendance du mouvement ouvrier et le développement d’un parti de masse de la classe ouvrière.

Pendant ce temps, des milliers de manifestants se sont rassemblés à Chicago. L’ampleur des protestations n’est pas claire, vue de loin (Je n’ai pas pu trouver de logement à Chicago, sinon j’y serais allé pour faire un témoignage). Mais il est certain qu’elles ne seront pas aussi importantes que les manifestations de 1968 contre la guerre du Vietnam, ne serait-ce que pour la raison que les sacs mortuaires ne reviennent pas ici, ils restent à Gaza. Quoi qu’il en soit, les barrières de « sécurité » autour du DNC rappellent la distance que les Démocrates maintiennent à l’égard de tout mouvement politique de masse. D’un autre côté, dans quelle mesure les manifestants se sont-ils démarqués de la politique campiste de Stein et de West ?

Ainsi, s’il est important de garder Trump/Vance loin de la Maison Blanche et de minimiser la présence de leur parti au Congrès, et seuls les Démocrates peuvent le faire pour le moment, il est également important de commencer à construire une alternative de la classe ouvrière aux deux partis. Un mouvement indépendant dans les rues pour arrêter MAGA peut être le point de départ. Stein et West, ainsi que le courant qu’ils représentent, ont prouvé qu’ils n’avaient aucun intérêt à construire un tel mouvement. C’est pourquoi, il faudra le construire à partir de zéro. Il faudra que cela vienne d’un soulèvement élémentaire contre le sectarisme et la violence nationaliste des ethno-chrétiens, ce que représente le Parti républicain.

20/08/2024.

(1) Uncommitted Le vote « uncommitted » (non engagé) est une option régulièrement proposée aux électeurs pour jauger du soutien, ou non, à un candidat à la présidence. Le mouvement Uncommitted prétend représenter cette option en renvoyant dos à dos les candidats à la présidence et en leur refusant leurs voix.

Source : Democratic Party Convention: Day One