Présentation
Nous reproduisons ce petit billet sur le vif en provenance de Belgique. Il illustre la communauté de problème auquel nous sommes confrontés : une droite ultra-libérale et ultra-réactionnaire à l’offensive, la solution dans l’auto-organisation démocratique par en bas pour permettre la contre-offensive. Cette pratique des assemblées populaires est aussi nécessaire en France pour le développement du NFP et de toutes les manifestations politiques et sociales qui s’imposent. L’unité imposée par en bas qui a donné le NFP en France peut et doit s’enraciner et franchir les frontières.
Document : compte rendu subjectif, Place du Conseil, Anderlecht, vendredi 23 août.
L’échevine Engagés des bâtiments avait fait pression sur l’association hôte qui avait dû faire annuler la tenue du week-end Vert-Rouge. Le MR a clairement assumé qu’il était à la manœuvre et continue ainsi sa guerre culturelle de dépolitisation de la société civile, travail préalable aux trains de réformes libérales et à la casse sociale. C’est que le front de droites n’a pas chômé durant l’été. Dès début juillet, les libéraux francophones et néerlandophones de Bruxelles faisaient savoir qu’ils iraient ensemble aux élections communales sous le nom de « MR+ » dans l’objectif stratégique déclaré de « neutraliser le risque d’une majorité de gauche dure du PS-Ecolo et du PTB » selon les propres termes de Weytsman.
Au même moment, à Anderlecht, le MR, les Engagés, le CD&V et le VLD annonçaient constituer un cartel pour gouverner la Commune. Pour le MR, les élections communales constituent clairement un second tour visant à affaiblir le poids du PS au niveau régional. De l’alliance Meloni/Von der Leyen, à l’alliance De Wever/Prévôt/Bouchez, partout les fronts de droites ont comme objectif de détruire la gauche et d’envoyer les partis socialistes dans l’opposition. Anderlecht se trouve donc au centre des ces plaques tectoniques et l’annulation du week-end Rouge-Vert doit être interprété de cette façon : empêcher la possibilité de formation d’un front de gauches.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, si les organisateurs n’avaient pas maintenu le débat sur l’école publique qui s’est tenu sur la place du Conseil. A une petite échelle, la plupart des composantes d’un front de gauches potentiel se sont rassemblées pour construire l’unité dans ce qui s’est transformé en une première assemblée populaire. Il y avait là des syndicalistes enseignants, une membre du PTB de Mons, des personnes issues de la société civile politisée, deux membres de Ecolo Anderlecht, des membres du PS anderlechtois, la présidente des jeunes socialistes anderlechtois, des activistes et des citoyens concernés.
Ce n’est pas pour rien que le front de gauches anderlechtois s’est formé dans une discussion sur les attaques libérales contre l’école publique. En effet, l’école a toujours été un dispositif central du capitalisme et constitue pour cette raison un champ de bataille politique. A chaque grande période de mutation du capitalisme, sa guerre scolaire : 1879 – 1884, 1950 – 1959, 1980 – 1990. La déclaration de politique communautaire Engagés/MR annonce très clairement une nouvelle guerre scolaires. Sont visés à la fois les enseignants, les enfants des milieux populaires et l’école publique.
Olivier Mottint (APED) a très justement rappelé que la question du « salaire enseignant » se trouvait au cœur des politiques néolibérales en citant Milton Friedman qui le considérait déjà comme trop uniforme et rigide. La destruction du statut des professeurs qui est le dispositif central des réformes libérales à venir vise alors précisément à produire l’insécurité salariale nécessaire à la libéralisation du secteur. Est également prévue une augmentation du temps de travail avec notamment deux heures de plus par semaine pour les CDI mais aussi en donnant des charges d’enseignement non rémunérées aux stagiaires. Baisse du coup et flexibilisation, voilà les recettes libérales appliquées à l’enseignement. Est aussi en jeu, un refinancement du réseau catholique sans contreparties, ce qui entraîne de facto une destruction de l’école publique. L’enseignement qui avait été un lieu de luttes et de grèves intenses dans les années 1990 doit désormais être organisé selon la logique du marché. Le déficit public est ici l’occasion rêvée pour le patronat de pouvoir enfin libéraliser intégralement l’enseignement. Pour l’axe MR/Engagés, l’école c’est pour le patronat. À l’échelle européenne, il considère en effet que l’emploi moyennement qualifié disparaît et qu’il faut désormais construire une bi-polarisation de la formation (OCDE) : une élite qui constitue la nouvelle économie de la connaissance et de larges classes subalternes peu qualifiées. Bref, le maigre tronc commun détricoté. L’ « esprit d’entreprise » entre donc dans la nouvelle déclaration gouvernementale MR/Engagés. Le rêve de Solvay et de Decroly enfin accompli : « The right man in the right place ».
La question du « comment faire ? » et donc des grèves enseignantes est alors logiquement revenue dans le débat public sur la place du Conseil. Un acteur principal a été un peu oublié et a été rappelé dans deux interventions en fin d’assemblée : les élèves. En effet, en France, les lycéens sont à l’avant garde des grandes mobilisations sociales de ces dernières décennies et un acteur central du Nouveau Front Populaire.
En tant qu’élèves lors des grandes grèves des années 1994/1996, nous sommes nombreux à pouvoir témoigner de combien ces grèves nous ont formé politiquement et nous sommes nombreux à avoir pris ensuite notre part d’engagements politiques multiformes. La grève ce n’est pas que du retard dans les apprentissages scolaires, c’est aussi un formidable accélérateur démocratique. Je renvoie sur ce point au très bon texte de Danielle Rancière « La grève des écoliers » (https://interruptionint.wordpress.com/la-greve-des…/). Il faut également rappeler que les grandes grèves enseignantes sont aussi des formidables moments d’invention pédagogique. « Le maître ignorant » de Jacques Rancière qui est le livre le plus important sur la pédagogie, est écrit et publié en 1987 lors des grands débats sur l’école publique en France.
L’annulation du week-end Rouge-Vert doit donc nous faire réfléchir au moment politique dans lequel nous sommes, ce que les gramsciens appellent la « conjoncture ». Il faut prendre en effet la pleine mesure de la profondeur des attaques libérales en cours. Ce n’est pas un hasard qu’on ait reparlé des grandes grèves de 1996. Friedman (1980) en Belgique c’est Jean Gol, c’est-à-dire les lois racistes sur l’immigration et la fin de l’impôt progressif sur le patrimoine. Tout se tient. Et Gol à Anderlecht, c’était Simonet et sa loi pour expulser les chômeurs étrangers (1995). Le front de droites emmené aujourd’hui par l’héritier de Simonet, Gaëtan Van Goidsenhoven, nous prépare déjà un retour aux années Thatcher/Gol. Les pressions pour faire annuler le week-end Rouge-Vert en sont l’annonce et, dans les commissariats de la zone, les flics racistes attendent déjà le retour des bleus (de Police). Les risques, si nous n’arrivons pas à former un front de gauches sont donc très sérieux.
Depuis juin, avec d’autres habitants, nous poussons depuis la base pour un Front de gauche à Anderlecht. Pour l’heure politiquement, je veux dire en termes d’alliances politiques, ce front n’existe pas et la gauche (PS, Ecolo, PTB) s’apprête une nouvelle fois à aller aux élections divisées, ce qui est une erreur énorme dont nous allons tous subir les conséquences.
C’est pourquoi cette première assemblée populaire était une très bonne amorce. Nous devons pouvoir discuter publiquement et collectivement de telles alliances. Du coup, émerge une proposition pour la suite : organisée mi-septembre une discussion publique autour d’un programme commun de gauche en posant des questions très précises aux membres de Ecolo, du PS, du PTB/PVDA, de Vooruit, de Groen, de Demain et du Parti Humaniste sur les alliances post-élections.
Mettre sur la place publique les petits arrangements politiciens pour que les électeurs sachent à quoi s’en tenir. Il faudrait même ouvrir le débat avec Forest et Saint-Gilles car, nous avons des intérêts en commun, comme l’ont montré les différentes interpellations citoyennes au conseil de Police. L’avenir de la gauche bruxelloise en période d’austérité passe indéniablement par ces formes de solidarité intercommunales. Ce soir, étaient d’ailleurs présents des habitants de Saint-Gilles et de Forest déjà conscients de ces enjeux. On pourrait, à titre d’exemple, prendre la question de la nécessité éco-socialiste d’accès à la baignade publique pour affronter le dérèglement climatique en cours et à venir, ce qui va devenir une nécessité vitale pour les quartiers populaires. Plutôt que des projets privés pour bobos ou des partenariats public-privé mal adaptés aux milieux populaires, pourquoi ne pas regrouper les budgets des 3 communes pour construire 2 piscines extérieures accessibles à prix réduits pour les habitants des 3 communes. Ce n’est qu’un exemple mais il indique de façon sensible ce que pourrait donner un communalisme éco-socialiste pensé aux bonnes échelles. Tout reste à faire …
Martin Vander Elst, 23-08-2024.
Un petit éclairage sur le climat ayant conduit à la tenue de cette assemblée populaire :
Article RésistanceS | LE MR CONTRE LA DÉMOCRATIE À ANDERLECHT
Ce vendredi, il devait théoriquement se dérouler dans la commune bruxelloise d’Anderlecht un « Week-end Rouge-Vert ». Un événement proposé par l’association culturelle Joseph Jacquemotte, une asbl fondée jadis par le Parti communiste belge, avec le Mouvement Demain. Ce dernier est une formation politique écosocialiste issue des Verts de gauche (VEGA). Aujourd’hui, ce courant politico-associatif, représenté avec deux conseillers communaux à Liège, agit sur le plan électoral, à la fois avec le parti ECOLO et le PS de Paul Magnette. Rien de réellement révolutionnaire en soit. Ce n’est apparement pas l’opinion du parti libéral de Georges-Louis Bouchez et du parti post-catholique de Maxime Prévot.
■ MOSCOU EN BELGIQUE ?
Effectivement, sous la pression du Mouvement Réformateur (MR) local, siégeant dans l’opposition, et l’appui des échevins de son partenaire politique en Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles, Les Engagés, membres de la majorité communale avec le PS à Anderlecht, le « Week-end Rouge-Vert » doit être reporté à un autre moment. Prévu de longue date, de ce vendredi à ce dimanche, sur le territoire d’Anderlecht, en première partie un concert de Claude Semal, l’un des meilleurs chanteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles, devait ouvrir ce week-end associatif, progressiste et pluraliste.
Par le harcèlement du MR et Les Engagés anderlechtois, l’évènement a été carrément supprimé pour ce week-end. Rien de moins. Mais où sommes nous ? À Bruxelles ou à Moscou ?
Avec cette forme déguisée d’interdiction, il s’agit purement et simplement d’une entrave au principe élémentaire de la Liberté d’expression, garantie pourtant par la Constitution belge. Dans ce sens, des plaintes devront être déposées sur la base de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
■ « THERE IS NO ALTERNATIVE »
Avec le MR au pouvoir, et même dans l’opposition, comme ici à Anderlecht, et l’apport complice du parti Les Engagés (qui reste fidèle au conservatisme de son ancêtre institutionnel, le parti catholique historique belge), l’État s’engage dans une voie dangereuse. Savonneuse. Qui pourrait le conduire à l’illibéralisme, comme en Hongrie de Viktor Orban, en Russie de Vladimir Poutine ou en Israël de Benjamin Netanyahou. Dans ces pays loins de Bruxelles, nous voyons aujourd’hui où en sont les droits humains. Les références, à l’échelle belge et de celle de la commune bruxelloise d’Anderlecht, sont juste à peine à quelques degrés au-dessus. Et certes sans le goulag comme destination. Mais voyez outre-Quievrain, l’état de la démocratie française sous la coupe du libertarien Emmanuel Macron. Les manifestations y sont réprimées violemment, des arrestations de masse organisées, des lourdes condamnations à de la prison ferme ordonnées lors de comparutions immédiates où les droits à la défense sont limités… Sans compter un nombre important de manifestants blessés à vie.
George-Louis Bouchez, le patron de la start up politique MR, est le fils d’un adultère commis par un trouple asynchrone. Celui qu’auraient pu former Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy avec Margaret Thatcher.
Avec son style bling bling sarkozyste de nouveau riche, le mantra dogmatique de Georges-Louis Bouchez est celui du thatchérisme historique : le TINA. Pour les plus jeunes d’entre-nous, ceux nées après 1990, TINA est l’acronyme du slogan de la Dame de Fer du Royaume-Uni d’antan : « There is no alternative ». Avec lui, elle a réprimé sauvagement les travailleurs en s’attaquant à leurs organisations de défense, les syndicats.
Avec notre Bouchez national, il n’y a que d’autre choix que le sien. Ce petit Benjamin-Viktor-Vladimir-Nicolas-Emmanuel-Margaret de Mons de pacotille en devenir, s’installe au Royaume de Belgique. Avec force et détermination, et un MR et des Engagés totalement à sa botte.
■ EXTRÊME DROITISATION
Si nous n’y prenons garde et n’organisons pas une résistance unie contre les mesures liberticides qui se mettent en place, doucement, il nous sera, un matin, interdit de nous exprimer pour les contester. Trop tard pour éviter la transformation de la Belgique en État illibéral. Dans une démocrature où la liberté ne serait que celle du libéralisme musclé. Une liberté d’imposition. Avec une doctrine du maintien de l’ordre extrêmement droitisée ! Réveillons-nous avant qu’il n’en soit trop tard.
MANUEL ABRAMOWICZ
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PS 1 (post scriptum !)
MANIFESTATION CE VENDREDI
Les organisateurs du « Week-end Rouge-Vert » et diverses associations, pour protester contre ce déni de démocratie voulu par le MR de Georges-LouisBouchez et de David Leisterh, et Les Engagés, appelent à un rassemblement ce vendredi à 16 heures sur la place du Conseil d’Anderlecht où se trouve sa maison communale.
À trois cent mètres de la gare Bruxelles-Midi.
Métro : station Clemenceau
Tram : 81. Arrêt : Conseil.
PS 2
L’asbl RésistanceS déposera plainte pour entrave à la Constitution belge contre tous les membres de la section d’Anderlecht du Mouvement Réformateur, contre son président bruxellois, David Leisterh, et les membres du parti Les Engagés.
Cette plainte sera déposée auprès de la Ligue des droits humains, dont RésistanceS est membre, section belge francophone de la Fédération internationale des droits humains (FIDH). La plainte se basera sur la Constitution belge et la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
PS 3
ILLUSTRATION : photomontage politico-artistique de l’artiste Zam. À partir de la couverture du livre « L’Aurore d’un monde nouveau » écrit par Georges-Louis Bouchez. Ce pamphlet a été publié en 2017 aux éditions du CEP (Créations – Europe – Perspectives), sis à Mons, le fief de Bouchez. Les éditions du CEP ont été fondées par Richard Miller, l’ex-conseiller idéologique de Louis Michel, le président-fondateur du MR.
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