Présentation

Nous reproduisons la contribution du militant afro-américain Clay Claiborne sur l’enjeu des élections présidentielles de novembre 2024 aux USA, parue initialement sur le site d’Oakland Socialist

Introduction d’Oakland Socialist

Un débat est en cours au sein de la gauche sur l’opportunité de voter ou non pour les Démocrates. Certains à gauche s’opposent au vote pour les Démocrates et invoquent comme raison le soutien des Démocrates au génocide d’Israël. La vérité est que la plupart de ces gens se sont opposés à tout temps au vote pour un quelconque démocrate, y compris avant le début de cette guerre génocidaire menée par Israël. Mais même pour ceux pour qui cette guerre est véritablement la raison pour laquelle ils ne votent pas pour les Démocrates, il y a d’autres questions à prendre en compte. Ici, Clay Claiborne explique son point de vue. Il commence par la question de savoir si ce sont les Palestiniens ou les Noirs américains qui « souffrent le plus ».

Contribution de Clay Claiborne

Il ne s’agit pas de savoir qui souffre le plus. Il s’agit du rôle des différentes luttes dans les élections américaines. Même si le résultat de ces élections aura sans aucun doute un grand effet sur la population de Gaza – et je suis prêt à parier que leur sort sera bien pire si les nationalistes chrétiens remportent les élections – il ne se décidera pas sur la base de la question de Gaza, à moins que la gauche blanche n’utilise avec talent cette question pour faire basculer les élections en faveur des Républicains.

Principale contradiction dans la « démocratie bourgeoise » américaine
La contradiction principale dans les élections américaines de 2024 est sa déclinaison particulière de la principale contradiction des États-Unis depuis leur fondation et incarnée dans leur Constitution, à savoir la contradiction entre la « démocratie bourgeoise » et le recours au travail des esclaves africains comme moteur de l’accumulation primitive du capital. Une grande guerre civile a été menée pour mettre fin à cette période d’accumulation capitaliste, et la démocratie bourgeoise a emporté la victoire au bout. La lutte pour achever cette tâche fut fortement étouffée lorsque la période de reconstruction noire (1) a été stoppée vers 1876. Depuis lors, les progrès sur ce front ont été lents et hésitants, mais des progrès ont néanmoins été réalisés et ils ont entraîné dans leur sillage des progrès sur un certain nombre d’autres fronts qui cherchent à obtenir le fruit des promesses de la démocratie bourgeoise.

Les nationalistes chrétiens suprématistes blancs ont été la force motrice du 6 janvier.

Aujourd’hui, un puissant mouvement réactionnaire, une résurgence de la suprématie blanche, s’est développé sous la direction de Donald Trump. Son objectif est de rétablir la suprématie blanche dans sa position de domination incontestée (« Make America Great Again »). Il dispose d’une base de masse et d’une direction fasciste. Il a réussi à s’emparer du pouvoir d’État pour la première fois en 2016, avec le concours significatif de la gauche blanche , mais il n’a pas réussi à consolider le pouvoir d’État et a été chassé par les masses en 2020. Aujourd’hui, ils envisagent d’utiliser les élections de 2024 pour reprendre le pouvoir d’État, d’une manière ou d’une autre, et le conserver !

L’opposition à cette prise de pouvoir fasciste s’est très vite rassemblée autour de la nouvelle leader des Démocrates, une femme noire d’origine asiatique, Kamala Harris. C’est ainsi que se jouera dans les six prochains mois ce qui a toujours été la principale contradiction historique de la démocratie bourgeoise aux États-Unis. Et même si la question du génocide israélien à Gaza jouera un rôle mineur dans les élections, le résultat de ces élections aura probablement un effet incroyablement puissant sur le cours de ce conflit, les difficultés auxquelles les Palestiniens seront confrontés seront bien pires si cette résurgence de la suprématie blanche l’emporte aux États-Unis.

Beaucoup, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du mouvement « Uncommitted» (2), voient son utilité comme un moyen d’attaquer Harris. Il s’agit notamment des suprémacistes blancs du Parti républicain aussi bien que de soutiens du Kremlin. Fox News accorde déjà la plus grande couverture médiatique aux manifestations « non engagées » au DNC(3) et Chris Stirewalt de l’AEI (4) écrit dans The Dispatch « le GOP(5) encourage le chaos à Chicago ». Ils comprennent que les attaques « non engagées » contre Harris aident Trump.

[ Oaklandsocialist publiera un article documentant les liens entre Poutine, les Républicains et Jill Stein pour la présidence et Cornel West pour les campagnes présidentielles. Restez à l’écoute.]

Pour moi, cela inclut également cette large cohorte de militants de gauche qui sont restés silencieux sur les agressions d’Assad et de Poutine contre les Palestiniens et autres habitants de la Syrie qui ont refusé de se soumettre à son régime. Cette « gauche » a soutenu Assad lorsqu’il a massacré plus de 1300 personnes, dont environ 400 enfants, au gaz sarin. Aujourd’hui, ces mêmes militants de « gauche » utilisent hypocritement Gaza comme excuse pour s’opposer à Harris alors qu’ils se seraient opposés à elle de toute façon.

Je trouve risible que ceux qui prétendent que les deux partis sont identiques justifient leur concentration sur Biden/Harris en disant que c’est eux qui soutiennent/commettent le génocide maintenant. Ainsi, selon eux, d’un côté, les deux partis représentent l’impérialisme américain, mais ce n’est pas l’impérialisme américain qui soutient/commet le génocide, c’est juste le parti au pouvoir actuellement. Ainsi, l’autre parti, composé des sionistes les plus extrémistes, obtient un laissez-passer.

Mais l’enjeu des élections n’est pas de savoir qui est au pouvoir maintenant, mais plutôt de savoir qui sera au pouvoir après les élections.

Je crains que la gauche blanche n’utilise le génocide israélien à Gaza lors des élections de 2024 de la même manière qu’elle a utilisé les manifestations de Standing Rock (6) en 2016 pour se saisir du champ de la moralité tout en abandonnant le terrain aux insurgés suprémacistes blancs.

Clay Claiborne en 1975

Le site du blog de Clay peut être trouvé ici

Notes

(1) Reconstruction noire. La Reconstruction (appelée en anglais Reconstruction Era, époque de la reconstruction) est la période ayant succédé à la guerre de Sécession (1861-1865). De 1865 à 1877, elle voit la fin du régime esclavagiste de la Confédération, le retour des États du Sud dans l’Union et l’échec de l’intégration des affranchis afro-américains dans les anciens États du Sud, que ce soit du point de vue juridique, politique, économique ou social.

(2) Uncommitted Le vote « uncommitted » (non engagé) est une option régulièrement proposée aux électeurs pour jauger du soutien, ou non, à un candidat à la présidence.

(3) DNC : Democratic National Committee, Organisme de direction du Parti démocrate.

(4) AEI : L’American Enterprise Institute for Public Policy Research , « Institut de l’entreprise américaine pour la recherche sur les politiques publiques ») est un think tank politiquement néoconservateur et économiquement néolibéral fondé en 1943.

(5) GOP : Grand Old Party, expression attachée au Parti républicain.

(6) « Standing Rock » a été le lieu de manifestations contre le Dakota Access Pipeline [DAPL], un oléoduc souterrain de 1 172 milles de long qui traverse le fleuve Missouri à proximité dangereuse des terres tribales des Sioux de Standing Rock. En juin 2016, alors que les manifestants étaient déjà à Standing Rock, Donald Trump devenu le candidat républicain présumé était venu saluer Energy Transfer Partners, LP lorsque cette entreprise a commencé la construction du projet de 3,78 milliards de dollars. Avant les élections, Standing Rock était la nouvelle cause célèbre de la gauche blanche.
Aller à Standing Rock est devenu à la mode alors que l’année électorale avançait. D’éminents gauchistes blancs comme Jill Stein et Amy Goodman s’y sont rendus. Des mandats d’arrêt ont été émis contre elles deux et l’acteur Shailene Woodley a été arrêtée. Ce n’était pas seulement la tentative de prise de contrôle de la Maison Blanche par les suprémacistes blancs qui avait été ignorée par les militants de Standing Rock, c’était aussi le massacre d’un autre peuple brun dans une partie du monde qui ne les concernait pas. Alors qu’ils étaient préoccupés par l’arrêt de ce pipeline et que le reste de l’Amérique était distrait par les élections, la Russie et Assad menaient une attaque meurtrière contre tous les Syriens qui leur résistaient. » (C. Claiborne) 

Source : Elections 2024 and white supremacy in the United States

Traduction par nos soins