Le SNES-FSU est un syndicat clef, d’une part parce qu’il reste le principal syndicat des personnels d’enseignement et d’éducation des lycées et des collèges (enseignement secondaire), d’autre part pour des raisons historiques, existant depuis 1936 (sous son sigle actuel depuis 1966) et ayant un lien organique avec les identités professionnelles des fonctionnaires travaillant dans ce secteur (une de ses difficultés est d’ailleurs, comme syndicat professionnel, d’assumer les revendications des personnels non fonctionnaires en nombre croissant, non titulaires, AESH, AED). Depuis 1991, le SNES est un pilier de la fédération issue de la destruction de la FEN (Fédération de l’Education Nationale, 1948-1991), mais qui en est la principale héritière, la FSU (Fédération Syndicale Unitaire). Son congrès national se tient la semaine prochaine à La Rochelle.

Ce congrès sera observé et regardé, d’une part par le pouvoir exécutif et le ministère, d’autre part par les personnels de l’enseignement avec des implications qui touchent à l’avenir et à la mobilisation de la jeunesse.

En effet, il va se tenir pile au moment où une poussée du secteur dans lequel il est représentatif, les collèges et les lycées, cherche à affronter le gouvernement. Cette poussée sociale implique donc ses militants et les structures du syndicat, qui en sont, par leur existence même, une composante déterminante. Elle vise à empêcher le « choc des savoirs », attaque contre l’école, les statuts et la jeunesse, lancé par M. Attal afin de se propulser à Matignon, en accord avec Macron. Le bref passage d’Attal rue de Grenelle (ministère de l’Education Nationale) a ouvert une crise sans précédent de celui-ci. Le moment « Oudéa-Castéra » en a été la manifestation spectaculaire, mais la crise du ministère continue et s’approfondit avec Belloubet, car, au jour où sont écrites ces lignes (jeudi 14 mars), il y a de fait deux ministères, un rue de Grenelle et un à Matignon (ou trois, avec l’Elysée !). L’arrêté devant fixer les modalités du « choc des savoirs » dans les collèges n’est pas encore sorti à cette heure. Permettra-t-il ou non d’enterrer collège par collège les groupes de niveaux ségrégant les élèves ou les relancera-t-il ? La crise au sommet et la montée d’en bas ont conduit à cette crise.

Celle-ci place le SNES-FSU pratiquement en position d’arbitre : il peut porter l’estocade. Comment ? Pas en criant « la lutte, la lutte », pas en chantant « le printemps des luttes », pas en disant « collègues, bougez-vous », pas en leur demandant de se lancer dans des grèves reconductibles. Comme l’écrivent des sections départementales du syndicat, la grève ne relève pas de l’ « autonomie des établissements ». Non, c’est en donnant une perspective centrale que le SNES-FSU a la possibilité, et donc la responsabilité, de transformer les quelques demi-résultats ralentissant les attaques gouvernementales déjà obtenus (enlisement du « pacte enseignant », retour, contre l’esprit du Bac Blanquer, des épreuves du Bac en juin, début d’effritement des « groupes de niveaux », quelques mesures sur les carrières) en une défaite frontale du gouvernement consistant dans l’effondrement du « choc des savoirs ». Une telle défaite ouvrirait la voie aux autres revendications notamment salariales et statutaires, contre la « loi de transformation de la Fonction publique », et, surtout, au mouvement de la jeunesse qui refuse les conditions dégradées d’étude, le Service National Universel et les uniformes !

Donner une perspective au lieu de disperser les luttes même en disant les généraliser, cela consiste logiquement dans le fait de fixer une date, ou plutôt deux-trois jours, pour réaliser la grève totale des professions de l’enseignement secondaire et manifester au ministère. La victoire n’est naturellement pas acquise d’avance, mais c’est comme cela qu’il faut aller la chercher, sans craindre d’attiser la crise au sommet de l’Etat et sans reculer devant l’idée de l’accélérer.

Ce dernier point est important, car rappelons-le : si la réforme Macron contre nos retraites est passée au premier semestre 2023, c’est aussi parce que l’intersyndicale a tout fait sauf une centralisation nationale de l’affrontement.

Le débat dans le SNES-FSU sur ces sujets reflète des discussions de nombreuses réunions d’établissements et traverse la profession. Il ne recoupe pas les débats entre tendances, le droit de tendance existant dans ce syndicat ainsi que dans la FSU, mais traverse plutôt toutes les tendances et principalement la plus grosse, plus ou moins identifiée au corps militant du syndicat, qu’est U&A (Unité et Action). Un appel, et pas le dernier jour, du congrès du SNES-FSU fixant une date proche pour affronter le ministère par la grève et la manifestation, serait entendu, plus encore, il permettrait des mobilisations dont il ne faut pas s’étonner qu’elles ne démarrent pas si on ne parle aux collègues que « journées d’action », « printemps des luttes » et « grève reconductible ».

Bien entendu, une telle perspective rassemblerait aussi d’autres syndicats, dans la FSU d’une part, et hors d’elle d’autre part, comme actuellement en Seine-Saint-Denis où la grève lancée à la rentrée le 26 février dernier s’est développée en un puissant mouvement touchant la population et la jeunesse en fonctionnant par des large AG qui fixent des échéances d’élargissement : première manifestation au ministère le 7 mars, grève de la fonction publique le 19 mars, notamment. Ce mouvement a été initié par une intersyndicale FSU/CGT/SUD/CNT que les AG ont régulièrement mandatée à chaque étape, FO s’y rajoutant ou non selon les étapes.

La réalisation de l’unité sur le terrain, pour le retrait du « choc des savoirs » et la défense de l’école publique et laïque, voit donc des militants de différentes fédérations marcher ensemble, comme dans tous les grands mouvements depuis 1995. Présentement, ceci peut interférer, de manière positive, avec l’existence de discussions de sommets entre la CGT et la FSU, depuis le dernier congrès de la CGT. La question d’une unification syndicale, inséparable de celle d’une certaine transformation de la CGT, est posée de plus en plus ouvertement entre CGT et FSU, la FSU apportant sa propre histoire avec ses quelques gros syndicats nationaux professionnels et le droit de tendance, qui provient de toute l’histoire du syndicalisme enseignant (la FEN et, avant elle, la Fédération Unitaire CGTU en 1920-1935). Elle va forcément aussi concerner Solidaires, qui connait des problèmes importants. Plus encore : l’éventualité d’une unification réussie CGT/FSU bousculerait tout le champ syndical, au-delà des représentations qu’en ont bien des militants, et non pas le seul « syndicalisme de transformation sociale », une catégorie floue – parlons plutôt de syndicalisme ayant encore une existence autonome relative, tout simplement ! Elle concerne FO, car elle interpelle forcément sur la division structurelle des organisations issues de la vieille CGT, datant de 1948, et, contrairement à ce que racontent ses adversaires FSM dans la CGT, la FSU n’est pas une fédération « autonome et sociétale » mais la continuation de l’ancienne FEN, qu’elle l’assume elle-même plus ou moins bien. Et même l’UNSA, où le secteur des écoles du SE-UNSA, issu lui aussi de la FEN que sa direction avait détruite, ne saurait cohabiter éternellement avec l’UNSA-Police ouvertement fascisante …

L’avenir du syndicalisme est donc le second point important dont ce congrès devrait débattre, certes de façon moins immédiate qu’à propos des luttes présentes, mais en espérant justement, que le lien commence à être fait, car les fusions et recompositions syndicales par en bas et à chaud sont plus fortes que par en haut et à froid !

Enfin, toute organisation syndicale aujourd’hui devrait avoir des débats approfondis sur la situation internationale, qui n’est en rien un domaine réservé ou séparé des autres sujets. Et généralement ce n’est pas le cas. De façon immédiate, le positionnement pour un cessez-le-feu total à Gaza et pour la solidarité avec le peuple ukrainien sont les deux exigences incontournables, et que l’on devrait exprimer de manière inséparable. A ma connaissance, deux congrès académiques du SNES-FSU préparatoires au congrès national se sont prononcés pour aller plus loin que des déclarations générales dans la solidarité avec le peuple ukrainien, à Clermont-Ferrand et à Lyon. Evitons les faux débats produits par les déclarations faussement bellicistes de Macron, et rappelons que, selon l’ISW et le Kiel Institute, l’aide militaire française est dérisoire, inférieure aux chiffres annoncés (moins de 0,7 milliards et non pas 3,8), et que ce n’est pas cette « aide » qui escamote les moyens du service public (elle est même séparée des dépenses de la loi de programmation militaire) : il serait bon que les congressistes aient ces éléments d’informations quand, sans aucun doute, de bonnes âmes les appelleront à un moment ou un autre à dire « pas de sous pour l’Ukraine et la guerre, des sous pour l’école » – qu’au moins le syndicalisme, à défaut d’aborder franchement la question des armes, ce qu’il devra faire tôt ou tard, ne s’oppose pas à la résistance du peuple ukrainien !

Bon congrès aux camarades et ami.e.s qui  vont s’y rendre.

Vincent Présumey, le 14/03/24.