Depuis la crise Prigojine, la crise russe se poursuit et s’approfondit.
Des rumeurs et informations contradictoires et simultanées concernent le groupe Wagner, tantôt en Biélorussie, tantôt ailleurs, voire, selon un agité du bocal de la Douma, en train de préparer l’attaque de la frontière polono-lituanienne, et Prigojine avec son n°2, le tatoué nazi Outkine, aurait rencontré Poutine, serait à Saint-Petersbourg, etc.
Une chose est sure : l’onde de choc de la crise Prigojine concerne l’Afrique, où se prépare, tôt ou tard, le retournement populaire contre le colonialisme russe (qui ne sera nullement un retour vers la Françafrique dont le pillage Wagner est aussi un fruit final). Les assassins de Boutcha sont les assassins de Moura. Nous y reviendrons, et le camarade Brizon revient par ailleurs sur le sommet de l’OTAN.
Le tournant véritable vient de la Turquie et est une conséquence de la crise Prigojine et de l’affaiblissement de Poutine. Il semble qu’Erdogan ait perdu toute confiance : il avait fait régner, lui, ordre et terreur suite au coup d’État manqué à Ankara de juillet 2016 – et s’était alors rapproché stratégiquement de Poutine. La Turquie tentait d’assurer la reconduction de l’accord céréalier qui expire ce soir, mais menace de le garantir si la Russie ne le reconduit pas en mettant sa flotte militaire dans la balance, elle lève son veto à l’entrée de la Suède dans l’OTAN, et elle permet symboliquement à Zelenski de ramener de Turquie des prisonniers de guerre libérés d’Azov qui y étaient consignés. Aux dernières nouvelles à cette heure (17/07, 14h) la Russie refuse de prolonger l’accord céréalier …
Cette décision serait un nouveau maillon du moment actuel de déstabilisation de la Russie : rupture du barrage de Nova Kakhovka, menace sur la centrale d’Enerhodar, crise Prigojine, crise Popov, dispute nucléaire publique au sommet, rupture de l’accord céréalier …
La « crise Popov », les 12-13 juillet, a été une sorte de réplique à la crise Prigojine. Le général de division Ivan Popov s’est débrouillé pour faire fuiter des messages attaquant violemment le commandement Choïgou/Guerassimov. La fuite a d’abord circulé dans les milieux ultra-nationalistes et chez les anciens combattants. Ses plaintes portaient sur les fournitures d’armes et les rotations de troupes dans le secteur de Zaporijia-ouest. Elles s’adressaient directement au « sommet » c’est-à-dire à Poutine, et visaient à la destitution de Guerassimov
Popov a été suspendu le 13 juillet. La crise dans l’appareil militaire et étatique russe se poursuit donc, comme une bombe à fragmentation.
Mais l’évènement récent le plus lourd et le plus important, guère signalé dans les médias, provient du Conseil russe de politique étrangère et de défense, organisme officiel, qui vient de prendre position publiquement CONTRE le choix éventuel d’une attaque nucléaire contre un pays étranger, sans doute « occidental ».
Cette option avait été développée par le président d’honneur de ce même Conseil, Serguéi Karaganov. Sergueï Karaganov passait pour un « géopoliticien sérieux » qui n’avait jamais déclaré qu’il faudrait recourir aux armes nucléaires comme les Medvedev et autres Soloviev (le milliardaire présentateur télé), mais qui, depuis le début du siècle, préconisait la coopération impérialiste « multipolaire » pour assurer la stabilité de l’ordre capitaliste mondial.
Dans un grand article publié simultanément en russe et en anglais le 13 juin, il expliquait à mots couverts que le piétinement russe en Ukraine menace l’équilibre de la Russie et que la position russe doit être rétablie en frappant un grand coup, présenté à mots nullement couverts comme devant consister dans une attaque nucléaire sur l’Europe, par exemple en bombardant Poznan en Pologne : on s’apercevrait alors que jamais « Boston » ne se battra pour « Poznan » : « Seul un fou, qui, par-dessus tout, déteste l’Amérique, aura le courage de riposter pour la « défense » des Européens, mettant ainsi son propre pays en danger et sacrifiant Boston pour Poznan ». On verrai ainsi que « l’Occident », c’est de la guimauve et la place mondiale de la Russie serait assurée, comme centrale.
Cet article était on ne peut plus sérieux et avait l’aval de Poutine. Mais Poutine est ébranlé depuis les 23-24 juin et la majorité (on ne connait pas la composition et le rapport de force exacts de cette institution) du Conseil russe de politique étrangère et de défense vient donc de prendre position publiquement contre l’éventualité d’une telle attaque nucléaire :
« Nous, membres du Conseil de politique étrangère et de défense, considérons ces propositions comme absolument inacceptables et les condamnons sans réserve. Personne ne devrait jamais faire chanter l’humanité en la menaçant d’utiliser des armes nucléaires, et encore moins donner l’ordre de les utiliser militairement » – ces derniers mots ne peuvent que viser Poutine : il lui est interdit d’appuyer sur le bouton, écrivent publiquement des hauts dignitaires russes (qui par ailleurs adhèrent à toutes les doctrines « géopolitiques » du régime).
La crise ouverte en Russie dans les sommets de l’État porte donc ouvertement et publiquement sur la guerre nucléaire.