Le 24 juillet on avait connu l’enracinement du mouvement, le 31 juillet la progression du nombre de manifestants avait montré que Macron était en train de perdre la bataille de l’opinion qu’il avait pourtant lancé lui-même autour de la confusion organisée entre la vaccination et l’obligation vaccinale.

Ces deux tendances ont encore été confirmées par les manifestations du 7 août. A cela, se sont ajoutés trois nouveaux basculements.

PREMIER BASCULEMENT

Le premier basculement du 7 août se situe dans la signification que porte l’augmentation du nombre de manifestants pour la 4e semaine consécutive alors que la manifestation a eu lieu dans la première quinzaine d’août qui, avec les congés de cette période, est la plus creuse de l’année.

Nous étions pour les comptages militants près de 450 000 le 31 juillet et probablement proches de 550 00 ce 7 août, voire peut-être plus encore.

Même le ministère de l’Intérieur reconnaît la progression. Selon lui, la mobilisation est passée de 160 000 personnes le 24 juillet, à 204 000 le 31, pour atteindre 237 000 ce 7 août.

Ce phénomène est doublement inédit, à la fois pour la période et aussi pour cette progression continue dans cette période même. Et cela d’autant qu’avec les importants va-et-vient de vacanciers durant ce moment de l’été et les nombreux primo-manifestants encore ce 7 août, on peut légitimement penser que pendant que les uns arrivent, d’autres partent en congés et donc que le mouvement a encore une large marge de progression, même durant l’été, n’ayant pas cumulé au même moment l’ensemble de ceux qui ont participé à l’une ou l’autre des manifestations.

Même les Gilets Jaunes n’avaient pas connu un tel grossissement.

Par ailleurs, cette mobilisation a la particularité d’avoir de nombreux motifs de colère différents, du vaccin ou passe sanitaire et obligation vaccinale aux libertés en passant par le manque de moyens pour la santé, les inégalités sociales, les retraites ou la loi sur le chômage, mais avec la volonté claire et forte de l’ensemble du mouvement d’unifier toutes ces questions pour aller plus loin ensemble.

Cela témoigne probablement que la mobilisation ne s’arrêtera plus.

Non seulement elle débordera la mise en place autoritaire du passe sanitaire le 9 août mais se grossira des colères engendrées par le chaos de la mise en application du passe pour dépasser et englober ensuite la période de la rentrée scolaire en changeant peut-être alors encore d’ampleur et de nature à ce moment.

SECOND BASCULEMENT

Le second basculement de ce 7 août est la place toute particulière que les soignants et les pompiers ont pris d’une part dans les cortèges et d’autre part dans le rapport du mouvement lui-même à leurs grèves.

Déjà dans les semaines précédentes, beaucoup de soignants et agents hospitaliers avaient participé aux manifestations dénonçant l’obligation vaccinale, le passe sanitaire et le manque de moyens et d’effectifs pour la santé, avec ici ou là quelques pompiers.

Le 7 août, les uns et les autres étaient encore plus nombreux dans les cortèges mais organisés de manière différente. Cette fois, plus significativement qu’auparavant, un certain nombre de manifestations sont passées, sont parties ou ont abouti devant les hôpitaux comme parfois aussi devant les casernes de pompiers.

Les manifestations ont tenu à mettre en avant partout, personnels et représentants de ces deux professions.

La première conséquence, c’est qu’on n’avait plus vraiment une dispersion, moins visible, des agents de santé et des pompiers dans le corps des manifestations, mais plus volontairement et plus souvent qu’auparavant, de véritables cortèges hospitaliers ou de pompiers qui se sont formés, postés souvent à l’avant des manifestations, plus volontairement visibles, comme un embryon d’étendard porté par le mouvement, disant en quelque sorte : « vous voyez, nous ne sommes pas antivaccins ni contre la santé des autres, mais bien au contraire pour la santé, mais une véritable santé publique pour le public, libre, égalitaire, fraternelle. »

Cela témoigne d’une évolution importante du mouvement et va probablement contribuer à dessiner son avenir.

Les agents hospitaliers et les pompiers n’étaient plus seulement présents en tant qu’individus, en tant que citoyens mais en tant que groupes professionnels défendant leurs fonctions, et soutenus comme tels par l’ensemble des manifestants.

En mettant en avant la profession des soignants, la plus vaccinée de toute la population, on s’éloigne ainsi de plus en plus d’une soi-disant lutte des obscurantistes contre le vaccin telle qu’a pu la présenter la propagande de Macron et sa presse pour se rapprocher d’une véritable lutte pour la santé, une santé défendue par la population, protégée par la population, devenue son étendard. Cela signifie nécessairement non seulement la perte dans un premier temps de la bataille de l’opinion pour Macron mais aussi, une fois que cette bataille sera derrière nous, un deuxième temps où la lutte du soi-disant égoïsme des manifestants se déplacera vers le véritable égoïsme qui est celui de ceux qui utilisent le prétexte sanitaire pour leurs profits personnels, les groupes pharmaceutiques et ceux qui les protègent par leur société sécuritaire autoritaire ; bref un changement de paradigme sur qui est égoïste dans ce monde, les plus pauvres ou les plus riches.

La seconde conséquence de ce qu’on a vu le 7 août et qui va se préciser encore plus après le 9 août, est celle du rapport du mouvement aux grèves de soignants et pompiers qui est plus importante encore.

La semaine dernière, des premières grèves hospitalières avaient été annoncées et elles se sont multipliées cette semaine au point de toucher une quarantaine d’hôpitaux ou établissements de santé le 5 août, à la date où le Conseil constitutionnel a décidé de faire bloc en dépit de la Constitution pour ne pas ajouter à la fragilité du gouvernement face au mouvement et a annoncé qu’il soutenait le projet gouvernemental. Beaucoup d’agents et de syndicats hospitaliers voulaient attendre la décision du Conseil constitutionnel avant de décider d’entrer et d’appeler à la lutte.

Il est sûr qu’ils seront encore plus nombreux à entrer en grève le 9 août, date de conjonction des différents appels syndicaux nationaux à la grève illimitée dans la santé.

Il est probable qu’on se dirige ainsi vers une grève générale dans la santé accompagnée d’une autre, conjointe chez les pompiers, eux aussi appelés à la grève illimitée à partir du 9 août.

Ce nouveau mouvement de grève qui vient se greffer sur les manifestations est marquant parce que cette entrée en grève massive du secteur professionnel de santé qui est le plus vacciné du pays dépassant les 70%, non seulement bat en brèche l’argument gouvernemental que ce sont des antivax complotistes et obscurantistes qui manifestent mais aussi parce que cette grève déplace le centre de gravité du combat vers l’obtention de plus de moyens pour la santé publique et surtout sur qui contrôle la santé et enfin parce que cette relation grève/manifestations est une nouveauté importante par rapport aux Gilets Jaunes.

En effet, du fait de la violente hostilité des principales directions syndicales nationales contre le mouvement des Gilets Jaunes à son début, celui-ci, déjà méfiant, avait amplifié sa réticence à l’égard des organisations syndicales et à la grève comme moyen d’action.

Or cette fois-ci, les directions syndicales, bien qu’absentes, ont pris position contre l’obligation vaccinale et le pass sanitaire et bien des structures syndicales de base ont appelé à rejoindre les manifestations tandis que de nombreux syndicats hospitaliers et quelques-uns de pompiers comme leurs fédérations, ont appelé à la grève illimitée de ces secteurs.

Ces appels à la grève ont été plébiscités par les manifestants, marginalisant là aussi l’extrême droite qui n’aime pas les grèves.

Ainsi, avec les soignants et les pompiers, le mouvement des manifestations cherche clairement l’aide de la grève… ce qui signifie l’aide des syndicalistes, du mouvement ouvrier organisé d’en bas, même si la méfiance à l’encontre des sommets et des directions syndicales nationales est énorme.

De nombreux témoignages de syndicalistes dans les manifestations du 7 août, le confirmaient ; ils étaient souvent sollicités amicalement par les manifestants pour « sauver l’honneur » du syndicalisme.

En même temps, le nombre de Gilets Jaunes a clairement augmenté dans certaines villes ce 7 août. Ce sont souvent ces derniers qui font en partie l’animation des cortèges par leurs slogans et leur savoir-faire acquis ces deux dernières années. Ainsi ce mouvement rapproche la détermination subversive des Gilets Jaunes et l’expérience des syndicalistes de base, ce qui peut être détonnant pour l’avenir.

TROISIÈME BASCULEMENT

Le troisième basculement du 7 août est celui qui s’est fait autour du slogan « Liberté » qui est dominant partout et utilisé dans tous les cortèges pour unifier tout le monde dans la diversité des présences et des revendications.

Que signifie-t-il ?

La première réponse est bien sûr « liberté » de choix par rapport à la vaccination. Mais il n’est pas difficile de comprendre que cela signifie aussi, dans le contexte actuel de la loi « Sécurité globale » et celle contre les séparatismes, « liberté » contre la société de contrôle policier. Cependant, je crois qu’on peut aller encore plus loin et qu’il faut rapprocher ce slogan du phénomène massif de l’abstention, comme des envies de démocratie directe des Gilets Jaunes.

Dans l’Ancien Régime, le slogan « liberté » des révolutionnaires qui préfigurera la devise « Liberté, Égalité, Fraternité », voulait dire « nation libre », c’est-à-dire une association libre de citoyens pour diriger le pays et non plus une société de « sujets » sans droits et soumis à l’arbitraire d’un souverain omnipuissant.

L’abstention montante depuis des années et encore plus aux dernières élections régionales et départementales – avec un piteux score de 3% pour LREM – témoigne de ce que les Français ne se sentent plus réellement représentés par le système politique et se ressentent plus comme les « sujets » d’une nouvelle aristocratie de l’argent que comme les citoyens libres, égaux et fraternels d’une démocratie vivante.

Macron-Jupiter a encore amplifié ce phénomène, lui le mal élu en 2017, qui de manière arrogante et méprisante, décide tout, tout seul, contre tous avec le seul soutien de sa police et de sa presse achetée par les milliardaires.

Alors, lorsque la loi sur l’extension du passe sanitaire a cassé l’idée d’égalité en créant des citoyens de seconde zone, tout en essayant d’effacer la fraternité en cherchant la division des citoyens par la délation organisée, les manifestants ressortent des banderoles contre cette loi « anti liberté, anti égalité, anti fraternité » et scandent « liberté » tout au long des manifestations.

Cela signifie qu’ils veulent un changement de régime, une autre démocratie, comme est en train de le tenter le soulèvement paysan en Inde en créant son propre Parlement. C’est-à-dire que ce mouvement est éminemment politique.

Il se bat pour un système de santé au service du peuple, sous contrôle du peuple et pour arriver à cela, pour une autre société plus libre, égale et fraternelle. Ainsi la grève générale de la santé et des pompiers en construction dans ce cadre, est une grève générale parce qu’elle est politique. Elle a bien sûr des revendications économiques, plus de moyens, plus d’effectifs, mais elle ne se comprend qu’associée au mouvement des manifestations.

Toutes les véritables grèves générales ont cette dimension politique, cette volonté de changer le système. Il n’a jamais existé de grève générale économique ou tout s’arrête sans cette volonté de changement global. Et « liberté » est le slogan de ce mouvement général qui cherche encore son expression.

La grève des hospitaliers ne bloque rien du point de vue économique, ils seront réquisitionnés et continueront à travailler, tout comme les pompiers.


Mais elle ne compte pas pour ses éventuels blocages économiques, elle compte parce qu’elle est une grève des travailleurs pour la prise de contrôle de leur outil de travail au service des autres, mettre le système de santé au service de tous sans aucune discrimination, et, par-là, toute la société au service de la collectivité, contre « les eaux froides du calcul égoïste des capitalistes ». Elle existe par rapport au mouvement, tandis que le mouvement lui-même se construira avec elle, devenant pour sa part l’étendard du mouvement qui est encore en train de tâtonner, cherchant encore son orientation dans ses premiers pas.

Après les appels au soutien de syndicats du commerce à ce mouvement, la participation importante de fait, d’agents territoriaux en son sein, le mouvement massif des intermittents et des employés du spectacle autour de la grève des théâtres il y a peu, toutes professions directement concernées par l’application conflictuelle du passe sanitaire le 9 août, la question aujourd’hui est de savoir si ces professions vont entrer dans la lutte, en tant que telles, tout de suite, et pas en attendant la rentrée.

Le plus probable est qu’elles le fassent avec le chaos que va instaurer le passe sanitaire le 9 août et sous l’entraînement du mouvement qui continuera, mais aussi parce qu’on a connu en mai, juin et début juillet, avant même le déclenchement de ce mouvement, une vague de grèves inhabituelle dans cette période, notamment dans la santé, chez les territoriaux, dans le commerce ou la culture, me permettant d’écrire à ce moment un article : « Vers un été chaud et une rentrée bouillante ».

Quoi qu’il en soit, cela devient de plus en plus évident pour tous ceux qui ne veulent ni subir le piège électoral des présidentielles Macron/Le Pen, ni accepter la société de surveillance policière que met en place Macron, ni cautionner la destruction du code du travail et du statut de la fonction publique qu’implique le pass sanitaire, ni enfin se trouver en bien mauvaise posture pour défendre les droits des chômeurs et des retraités dans les mois qui viennent en cas de défaite : il faut participer de toutes ses forces à ce mouvement et maintenant.

Jacques Chastaing, le 07-08-2021.