Contribution au débat sur la situation mondiale par Jacques Chastaing.

CHANGEMENT D’ORIENTATION DANS L’EPOQUE

Nous vivons une ère de révolution… 

Le social et la lutte de classes à un niveau mondial sont en train de formater l’agenda  de la planète. Les luttes dans le monde, sur le climat et l’environnement, pour la santé, anti-racistes ou féministes à dimension planétaire ont envahi les rues des pays du monde depuis déjà quelques temps mais depuis 2018 ces luttes sont complétées – et unifiées –  par des luttes sociales avec des soulèvements dans 54 pays en 2019, qui malgré le Covid, continuent quand même en 2020 et 2021 et pourraient bien prendre une extension encore plus importante à l’issue de la pandémie.

Au fur et à mesure que la souveraineté populaire s’exprime dans la rue contre celle de l’État, les convergences entre les collectivités humaines mondiales écrivent de plus en plus l’histoire, au détriment des rivalités entre les États-nations. 

Cela peut paraître contre-intuitif au vu du développent parallèle de la réaction et les reculs sociaux et des libertés que celle-ci fait subir aux peuples. En fait, les tendances réactionnaires et les replis nationaux que certains ont pu voir comme des résistances de la souveraineté nationale à l’emprise du capitalisme sauvage mondialisé, ne sont au contraire qu’une résistance de la souveraineté de l’État (et pas de la souveraineté populaire) à l’emprise progressive des luttes sociales globalisées sur le monde. 

Nous n’en avons pas l’intuition parce que nous sommes orphelins d’une représentation politique de l’offensive populaire mondiale en cours, depuis celle des Gilets Jaunes, des luttes de la santé ou de la culture jusqu’à celles du soulèvement paysan en Inde en passant par Black Lives Matter aux USA, les soulèvements populaires en Colombie, au Chili, en Algérie, en Palestine, en Biélorussie, en Birmanie et tellement d’autres… qui toutes ont des racines communes et des développements semblables malgré les particularités locales.

Les luttes s’articulent dans le monde et définissent  un mouvement d’ensemble d’en bas, où, pour la première fois à cette échelle dans l’histoire mondiale, la dynamique de la question sociale et du sens du commun est en train d’entraîner la planète entière dans son agenda au détriment de celui de la géopolitique classique opposant les États nations dans leur cadre de la concurrence mondialisée.

La cosmopolitique des communs s’impose à la géopolitique des Etats-Nations.

C’est un changement majeur.

La nécessité d’un pôle politique qui puisse donner à voir ce renversement de point de vue est fondamentale. Il ne s’agit plus seulement de se faire les hérauts d’une nation universelle en saluant de loin l’arrière plan des luttes mondiales comme dans un décor de film, mais de discerner les éléments de cette nation universelle et de cette offensive populaire dans les plus humbles et élémentaires combats actuels et de s’en faire les porte-paroles. 

2. LA MONDIALISATION A DETRUIT LA LEGITIMITE DES ETATS ET DES FRONTIERES DE TOUTES NATURES

LES SOULEVEMENTS POPULAIRES DONNENT LEURS SOLUTIONS

Les mutations sociales de la mondialisation économique par en haut

Ces mutations rapides dans lesquelles nous vivons sont nées dans la mondialisation économique menée par en haut. 

La mondialisation, cela a signifié à partir des années 1980-1990 que les capitalistes ont investi dans des zones où la pauvreté leur permettrait les profits maxima par la baisse globale des salaires. En conséquence, on a assisté à une industrialisation sauvage d’une partie du monde en même temps qu’une désindustrialisation relative mais tout autant sauvage d’une autre partie du monde. 

Cela a signifié de véritables révolutions sociétales.

Le globe a connu une révolution urbaine à grande vitesse multipliant la population urbaine par quatre depuis 1950 et à une vitesse accélérée à partir des années 1980-1990, celle-ci dépassant la population rurale à partir de 2007, transformant des milliards de paysans isolés en urbains connectés. Les mégalopoles ont explosé en même temps que les gratte-ciels. Delhi a 38 millions d’habitants presque autant que l’Espagne, Chongqing en Chine, ville quasi inconnue hier, a 35 millions d’habitants, trois fois la Belgique. Un quart de la population urbaine en Inde vit dans des bidonvilles gigantesques, le seul bidonville d’Orangi Town à Karachi au Pakistan a plus d’habitants que Marseille. 

La mondialisation a signifié des migrations internes aux États ou externes comme le monde n’en a jamais connu dans son histoire, mélangeant comme jamais les peuples et les traditions, brisant par la force brutale des institutions et des barrières millénaires, forçant par la violence à aller au contact de l’autre, d’une autre langue, d’une autre culture, d’autres traditions, brisant barrières et frontières comme aucun empire ne l’a fait et à une telle échelle, mélangeant peuples, ethnies, nations, couleurs de peau comme jamais. Les luttes contre le racisme qui embrasent le monde et s’y propagent aussi vite que des épidémies en sont l’illustration.

Cela a été une révolution matrimoniale unique dans l’histoire jetant des centaines de millions de femmes (et d’enfants) dans l’enfer du travail exploité en ville hors du foyer familial, des drames sans fin et en même temps une émancipation des femmes des prisons traditionnelles familiales patriarcales et religieuses, les précipitant aujourd’hui à la pointe de tous les combats dans le monde.

Les frontières entre sexes, couleurs de peau, religions, nationalités, ethnies en ont été bouleversées, revisitées, remodelées. Les traditions, les institutions, les États eux-mêmes ont été chahutés, des gouvernements sont tombés comme ceux que les révolutions arabes de 2011-2013 ont été jeté à bas. Ces révolutions arabes sont les conséquences directes de cette mondialisation croisée avec les effets de la crise économique de 2008 comme les grandes luttes de 2018-2019 sont aussi la conséquence directe de la mondialisation croisée cette fois avec la crise économique commencée en 2018 puis à partir de 2020, la crise du Covid et les luttes qui en germent depuis 2020-2021. 

La lutte de classe, que fait ressurgir la mondialisation, se place au centre des luttes contre les oppressions 

Le nœud central de la mondialisation et son facteur explosif est qu’elle a mis directement face à face d’un côté le marché et ses acteurs et de l’autre les classes populaires. 

Elle a montré plus que jamais que les ressorts des sociétés comme de la géopolitique sont ceux de la lutte de classe. A tous les bouleversements sociétaux, elle a donné une base sociale, de classe.

C’est ce que nous voyons émerger aujourd’hui depuis 2018 dans la fusion ou le rapprochement des mouvements contre l’exploitation et contre les oppressions.

Tous les jours, des millions et des millions de femmes et d’hommes expérimentent les rapports directs de classe au travers des licenciements de masse, de la destruction des protections sociales contre la maladie, l’âge et le chômage, de la désagrégation du droit ouvrier, de la liquidation progressive des services publics, du grignotage des libertés ne laissant plus de place qu’à la brutalité de l’État régalien, sa police, sa justice, ses prisons dans un contexte d’interpénétration de toutes les économies nationales, où la domination de la Bourse et des groupes financiers s’est amplifiée et où les multinationales ont pris des dimensions jamais atteintes jusque là,  souvent plus puissantes que bien des États. Les multinationales construisent directement leurs propres règles par dessus les lois des États, y compris leurs territoires, les paradis fiscaux qui ne sont pas que des îles perdues mais des entités géographiques et administratives au centre du système, au centre même des USA comme le Delaware ou de l’Europe, comme le Luxembourg, fonctionnant un peu comme des zones franches gigantesques qui étendent au sein du monde des États-nations la domination du capitalisme sauvage. 

Les États abandonnent donc leurs justifications sociales de sécurité, de protection des plus fragiles y compris des minorités en termes d’égalité entre femmes et hommes ou entre hommes et femmes aux couleurs de peau différentes. Ainsi toutes ces luttes sociétales non seulement s’amplifient mais aussi tendent à prendre une coloration « anti-système » ou anti-capitaliste puisque contrairement à la période précédente, les illusions sur les possibilités d’intégration et d’égalité dans le système s’estompent. Par là, ces luttes rencontrent plus facilement les luttes sociales contre l’exploitation capitaliste et se mêlent souvent.

Les éléments s’inversent. Nous ne sommes plus anti-racistes, féministes, écologistes… comme hier en réponse à des attaques, mais par l’ampleur des mouvements, les nécessités du moment, la quantité s’est transformée en qualité, et nous avons commencé à modeler un monde qui ne veut  ni oppression ni exploitation.

De plus, dans ce capitalisme sauvage et sans retenues, ses promoteurs étalent sans vergogne leurs richesses comme leurs valeurs et leurs préjugés. Les sommets de la société, hommes politiques, médias, institutions évoluent à droite et font tout pour entraîner tout le monde avec eux. Mais après un moment où ils ont réussi à faire croire que leurs frontières et barrières en tous genres, nous protégeraient, les écarts de richesse deviennent tellement grands, que ce sont les frontières entre riches et pauvres qui dominent le monde aux yeux de tous et plus les frontières nationales. La base ne vit plus dans le même monde, cela renforce les luttes contre les oppressions et contre l’exploitation, bref  la lutte de classe, son âpreté et sa visibilité, et à travers cette dernière, la conscience de classe, la conscience que les plus pauvres, les prolétaires, sont les plus à même d’aller jusqu’au bout des luttes, parce qu’ils n’ont rien à perdre. 

Nous ne subissons pas le monde, ni  n’essayons de nous y intégrer, nous sommes en train de le modeler. 

Faillite ou  déclin des partis et syndicats liés au système des Etats-nations

L’écran des États, de la démocratie représentative, de leurs partis et syndicats, de leur système électoral, de leurs institutions de droit, de justice, d’éducation, de santé et de leurs illusions sur l’ascenseur social s’est déchiré et les films qu’on y joue deviennent des bouffonneries qui ne convainquent plus tandis que leurs acteurs comme Trump, Bolsonorao, Modi, Orban et bien d’autres n’essaient même plus vraiment de jouer l’État de droit. 

Cet affrontement direct entre classes a bouleversé non seulement les États et leurs institutions, mais aussi les partis et syndicats traditionnels qui leurs sont liés, habitués à donner le ton et là, bousculés, dépassés, sans boussoles, perdus, inutiles, détruits, n’arrivant plus à semer leurs illusions dans le cadre national… donnant naissance à une foule de nouveaux venus, individus comme partis, aux succès soudains mais souvent plus ou moins éphémères tandis que les opinions basculent rapidement d’un pôle à l’autre… mais toujours sous l’effet des lois générales de la lutte de classe et dont la marche en avant mène progressivement à une conscience de classe.

L’émergence de mobilisations massives et de plus en plus profondes des peuples et des classes populaires est une des composantes de l’effondrement des institutions au niveau mondial et des directions politiques traditionnelles. Les classes populaires « mondialisées » en marche ne réclament plus un changement de politique, de personnel, de gouvernement, voire d’institutions, comme hier, mais un changement de « système ». 

Le tournant réactionnaire qui s’accélère est une réponse des classes riches à l’effondrement mais aussi une défense contre l’émergence et la radicalisation des luttes populaires. Mais leurs réponses nationales peinent de plus en plus à donner des réponses satisfaisantes à des questions planétaires. Il ne leur reste que la violence.

Le social abandonné par l’État passe aux mains du mouvement d’en bas

Avec l’imbrication économique poussée de la mondialisation, sa destruction de la légitimité sociale des États, le social mondialisé revient par les mouvements de révoltes des classes populaires et envahit de plus en plus l’agenda du monde au travers des interrogations sanitaires, alimentaires, environnementales, migratoires, démocratiques et autour de la défense des droits humains qui traversent les débats planétaires.

La conscience n’a probablement jamais été aussi grande de la contradiction entre les moyens techniques, humains, les savoirs, l’engagement total de millions de travailleuses et travailleurs, de scientifiques, de techniciens… et l’appropriation des richesses par une poignée de financiers, de multinationales qui soumettent l’ensemble du monde à leur soif insatiable de plus-value, à une concurrence généralisée, à la destruction des hommes et de la planète. La conscience qu’il faut mettre l’ensemble des richesses au service de la collectivité, sous son contrôle, n’est plus acte de propagande d’une petite minorité, c’est ce que tous les mouvements sociaux disent et font. 

Par ailleurs, indépendamment des luttes, la crise sanitaire actuelle a montré combien les soignants, les employés de supermarchés, les agents de nettoyage, les employés de la logistique, les chauffeurs de camion… les simples citoyens, les collectivités humaines d’en bas, leur travail et leurs solidarités sont au centre des réponses, partout, face à une incurie devenue évidente des États-nations à travers le globe et encore plus du secteur privé.

Le social passe ainsi des mains de l’État, qui l’avait sous-traité un temps aux ONG passées de 50 à l’issue de la seconde guerre mondiale à 5 000 aujourd’hui,  aux mains de ceux qui travaillent, des invisibles, des premières lignes, du mouvement social lui-même. En Inde, le soulèvement paysan actuel a ouvert sur ses lieux de mobilisation des dispensaires de soin, des cantines collectives, des hébergements pour tous ceux que le Covid et le confinement on rendu fragiles, jetés à la rue, sans travail, sans revenus, sans logement.

Cet effondrement de la prise en main des protections sociales par l’État, c’est-à-dire aussi l’abandon des services publics, de l’école, de la santé mais aussi de la législation ouvrière, la dégradation des conditions de travail, des salaires, est ressenti par les acteurs de la plus humble des grèves partielles contre une fermeture, contre des licenciements, pour l’amélioration des conditions de travail, l’augmentation des salaires. Malgré la nécessité immédiate des combats et de leurs objectifs atteignables limités dans l’immédiat, les hommes pensent, ils ont la conscience du général. Ils ne vivent pas que de pain, et savent qu’au delà de la survie momentanée qu’ils cherchent à obtenir dans l’instant, il faudra recommencer demain et encore après demain car ils savent que les choses ne peuvent se régler qu’à une échelle bien plus large et radicale. Ainsi les travailleurs sentent bien que les directions syndicales qui veulent les enfermer dans leurs revendications immédiates, au nom d’un prétendu réalisme, les trompent, enlèvent de l’efficacité à leur combat, et veulent les maintenir dans les impasses du système. 

Ce qui s’affirme partout, c’est l’effondrement des valeurs bourgeoises au profit de l’émergence de valeurs populaires, une réponse de l’humanité d’en bas à la mondialisation économique menée par en haut et plus seulement la dénonciation d’un monde qui s’écroule mais l’envie et l’espoir d’un autre monde. Nous retrouvons là  -en changeant ce qu’il faut changer – les circonstances et la dimension de la réponse du monde ouvrier par ses luttes à la mondialisation de l’industrialisation brutale de la planète au XIXe siècle et son invention du socialisme.

3. LA FAILLITE DES VALEURS BOURGEOISES ET L’EMERGENCE DE VALEURS POPULAIRES

La force des courants réactionnaires jusqu’à aujourd’hui, c’est qu’ils mènent une contre-révolution sociale et politique totale, tandis que leurs opposants conduisent un combat pour la société d’avant – pas si belle que ça – et donc à reculons, de maintien corporatiste des acquis passés, retraite, chômage, élections, etc… par le « dialogue social » avec ceux qui mènent la contre-révolution, sans perspective d’un changement global de société.

Or, c’est cet objectif manquant d’une autre société obtenue par des moyens révolutionnaires qui est en train de se dégager en bas et qui s’exprime d’abord par le rejet des valeurs bourgeoises qui ont été la règle dominante jusque là. 

L’idéologie de la réussite personnelle s’estompe au profit de la réussite de la vie collective

La peur de la crise est remplacée par la haine des profiteurs et du « privé », ainsi peu à peu, une détermination, un esprit de guerre de classe s’impose à la base. 

Les conflits se sont multipliés pour défendre les services publics particulièrement attaqués. La défense du service public conçue comme solidaire et responsable devient le drapeau d’une autre société plus bienveillante notamment avec les plus faibles, seniors, malades, SDF, handicapés, jeunes… L’image du fonctionnaire fainéant et inefficace colportée par l’idéologie bourgeoise cède ainsi peu à peu la place à celle de l’infirmière dévouée, du pompier courageux, de l’agent de nettoyage utile… des héros du quotidien en première ligne notamment illustrés par leur importance contre la pandémie comme de l’importance en confinement de la vie collective et l’inutilité des actionnaires et dirigeants à ce moment devenus les fainéants, les parasites et des inefficaces du moment. L’idéologie de la réussite personnelle prend en même temps un coup dans l’aile en proportion aussi de la montée du sentiment que les générations futures vivront moins bien que les générations passées, appuyé par celui du sentiment grandissant du risque de destruction de notre planète par la pollution et l’irresponsabilité capitalistes. 

Le rapport de subordination des luttes sociales aux élections est en train de s’inverser

Dans le même moment, une autre valeur du système idéologique patronal et de la démocratie représentative bourgeoise s’écroule, celui qui sépare le politique du social, qui vouait le premier aux élections et le second aux grèves, subordonnant le second au premier, donnant le vote comme débouché politique aux mouvements sociaux. L’actualité permet de constater que la gauche traditionnelle et la droite mènent, de fait, la  même politique au service des riches. Le mouvement social lui-même devient alors logiquement peu à peu son propre débouché politique en même temps qu’il tend à chercher sa généralisation.

Ainsi les élections paraissent être de moins en moins l’issue aux luttes sociales et de plus en plus une bouffonnerie. L’abstention grandit au prorata de ce sentiment. C’est la lutte sociale généralisée, la grève générale qui devient peu à peu la solution tandis que les élections tendent elles à s’inscrire dans cette logique et ne devenir qu’un moment de ce processus de montée vers la grève générale, comme on peut le voir au Chili, en Bolivie, ou même aux USA où le vote Biden n’est qu’un moyen utilisé par le mouvement social pour faire tomber Trump sans illusions sur Biden. Ce qu’a bien compris Biden qui sous cette pression tente de donner une coloration sociale à son orientation politique au delà peut-être de ce qu’avait fait le New Deal des années 1930.

Ainsi, insensiblement, au fur et à mesure que les classes populaires utilisent les élections pour elles, les inscrivent dans un processus de lutte, l’abstention qui était la traduction d’un désaveu du système mais aussi d’un découragement social certain face à une impasse, se transforme. Dans un premier temps, elle fut complétée sur les marges, dans une certaine jeunesse, chez bien des écologistes, dans le courant municipaliste, dans les ZAD, en gros par l’idée « d’abstention » de ce système, de cette société, de ses modes de consommation, de ses modes de démocratie, en cherchant en positif une autre société associée à une autre démocratie plus directe dans d’autres lieux comme on a pu le voir sur les places des Indignés ou à « Nuit Debout » et avant que le RIC, qui surgira avec les Gilets Jaunes, ne propose une tentative de démocratie plus directe pour tous,  donnant une idée du travail souterrain qui s’était fait dans les consciences.  

Dans un second temps dans lequel nous glissons, aux USA le mouvement social utilisait le vote contre Trump ou en Bolivie contre Anez, au Chili contre Pinera et la constitution de Pinochet, au Bengale occidental en Inde (91 millions d’électeurs) contre Modi, aux municipales du Brésil contre Bolsonaro. L’inversion du politique et du social, l’utilisation par les mouvements populaires des scrutins a fait baisser l’abstention. 

En même temps que le rapport élections/mouvement s’inverse et que le courant des élections comme débouché principal de la lutte, laisse la place au courant de la lutte comme perspective dominante avec ses propres valeurs et ses objectifs d’une autre société, apparaissent alors les premiers organismes d’auto-organisation, de pouvoirs populaires embryonnaires, qui ne peuvent pas exister sans la perspective et l’espoir de changer le monde capitaliste et pas seulement de l’améliorer. 

L’auto-organisation croit au prorata de la montée des espoirs en un monde nouveau

Pour qu’il y ait grève générale, il faut que les exploités soient déterminés au point de vouloir renverser le pouvoir et d’avancer  un autre projet de société. La grève générale qui se dessine n’est pas la grève mythique économique où tout s’arrête – ce qui dans la réalité des gréves générales ne s’est jamais réalisé –. Il faut un lien entre les exploités qui font grève et les luttes par ailleurs des opprimés, migrants, précaires, chômeurs, handicapés, femmes, jeunes, paysans, Intouchables, indigènes des tribus, esclaves… comme des combats sociétaux, écologistes, féministes, antifascistes articulant grèves, manifestations, blocages, débats, indignations, occupations de places, d’usines, de péages, de théâtres, d’entrées de capitale ou d’autres lieux, symboliques ou non, par de multiples collectifs divers, des ZAD aux collectifs inter-hôpitaux, en passant par des comités de quartiers aux comités de grèves, des gréves économiques de secteurs entiers, actions spectaculaires de coupures de courant aux symboles du pouvoir, jets symboliques de vêtements de travail, spectacles publics et gratuits de danseurs, acteurs et musiciens, repas, éducation, soins et logements gratuits fournis par les mouvements,  harcèlement des députés, ministres ou le président lui-même, « grévilla » permanente de certains secteurs, émeutes localisées, marches sur l’Assemblée nationale ou le palais présidentiel, etc... pour que tous se sentent ensemble une force commune autour d’un enjeu commun.

La démocratie représentative de la société bourgeoise dépérit tandis que croit la démocratie directe des classes en lutte en même temps que les opprimés et exploités font l’expérience de leur force et de leurs valeurs et construisent un avenir. 

La question de la démocratie réelle s’étend dés lors de la politique aux entreprises par les droits de retrait massif par exemple en France début mars 2020, contestant le lien de subordination qui fait que dès qu’un salarié franchit les portes de l’entreprise, il n’a alors plus son mot à dire et doit obéir à une direction qu’il n’a jamais choisie. Il en est de même pour la démocratie des usagers et consommateurs qui n’ont aucun droit de regard sur la façon dont sont produits les biens et services qu’ils achètent, les choix qui sont faits en matière d’utilité sociale des produits. 

La démocratie s’étend même à la famille, aux familles traditionnelles, comme en Inde par exemple que les campements paysans où vivent enfants et vieillards bouleversent. 

Cette auto-organisation associée à un combat pour un autre monde, c’est à des degrés divers, les Mahapanchayats et les campements paysans de Delhi en Inde, les comités de grève au Belarus comme en Colombie, les Cabildos, comités de quartier au Chili, les ronds-points et leurs assemblées chez les Gilets Jaunes, le gonflement de l’APS, Association des professionnels du Soudan, regroupement d’abord clandestin puis assez informel de dix syndicats, dont les occupations de places publiques servent de forums permanents. Toutes ces pratiques des souverainetés populaires s’articulent aux manifestations qu’elles préparent, aux actions d’entraide face au covid ou à la faim, au travail coopératif dans les campagnes indiennes, à l’action d’auto-défense face à la police ou aux groupes fascistes, à des réunions sur les places publiques qui remplissent souvent une fonction d’éducation populaire, tout cela associé à la perspective d’un monde nouveau à construire, un peu comme les expériences de la Révolution française en 1792-93 (le mouvement des sections populaires) ou de la Révolution russe de Février 1917 (les Soviets de quartier, de soldats et d’usine, etc.), ou encore à la Révolution espagnole de 1936-37 (coopératives agricoles, usines autogérées, services publics locaux auto-administrés, etc.).  

Les nouvelles valeurs des classes populaires se montrent dans leur courage et solidarité face au Covid, se montrent aussi dans les campements paysans de Delhi – comme hier sur les places Tahrir, Kasbah, Syntagma, Puerta del Sol, parcs Gezhi et Zuccotti – où des centaines de milliers de paysans, ouvriers, jeunes, étudiants, soignants, militants de tous bords, Intouchables, membres des tribus indigènes, syndicalistes, féministes, écologistes, etc… montrent depuis 6 mois qu’un nouveau type de société est non seulement possible mais est en train de naître en même temps qu’une nouvelle économie basée sur la communauté et le don. Les campements offrent gratuitement de la nourriture, de l’eau, un abri, des soins médicaux et des vêtements à tous ceux qui en ont besoin. Depuis six mois maintenant, de nombreux enfants démunis et pauvres des bidonvilles sont éduqués, soignés et nourris de la gentillesse des paysans. 

Contre l’économie de la cupidité, les paysans représentent un nouveau modèle de société basée sur la coopération et le partage. Aujourd’hui, chaque campement offre un espace commun pour parler, discuter, argumenter et surtout faire partie d’une nouvelle fraternité humaine pour demain. Ils ont créé un nouveau melting-pot d’espoir en ces temps Covid-19, quand plus de la moitié du pays est enfermée, sans emploi et affamée. C’est cela que construisent à l’échelle mondiale les mouvements sociaux actuels, et c’est cela qui est aujourd’hui l’espoir comme le cœur de tous les exploités, ici ou ailleurs, qu’ils se battent pour des conditions de travail, contre les violences policières ou pour changer le système .

4. LES FRONTIERES ET BARRIERES DE L’ANCIEN MONDE BOUSCULEES

Les paysans indiens qui se battent pour leur survie économique, pour ne pas mourir de faim et qui hébergeaient hier les traditions les plus patriarcales du passé, sont les héros d’une lutte de démocratie directe, qui a pris le nom de Mahapanchayats, contre les discriminations de sexe, de castes, de religions, les discriminations ethniques et dans le pire des pays pour cela…  Ils ne conçoivent pas leur vie de paysans libérés de l’exploitation sans un monde également libéré des oppressions. Ils entraînent avec eux ouvriers, femmes, Intouchables, tribus indigènes, hindous, musulmans, sikhs, chrétiens, bouddhistes, athées tous ensemble, et de plus, ils le font consciemment, revendiquent cette unité et cette société à venir qui devient leur drapeau au delà de leurs strictes revendications paysannes.

Féministes, anti-racistes, écologistes… pensent globalement pour agir globalement

Le féminisme des chiliennes ou des colombiennes s’associe aux autres combats que ce soit contre la constitution de Pinochet ou contre la misère qui envahit tout en Colombie. Le combat féministe en Pologne doit se battre contre les violences policières, pour une autre justice, une autre démocratie, contre toutes les oppressions y compris religieuses. Le combat féministe en Inde, celui des agents de santé, des crèches et jardins d’enfants à la campagne associé intimement à celui des ouvrières agricoles et des paysannes qui entraîne les femmes des villes, associe pleinement l’émancipation féminine à l’émancipation économique et l’émancipation économique et sociale au renversement du gouvernement et du capitalisme.

Le combat féministe évolue, sort de lui-même et devient un combat pour les autres, pour la démocratie et contre la misère et l’exploitation au contact des combats économiques des plus pauvres tandis que les femmes travailleuses qui sont de plus en plus nombreuses au travail, en dehors du foyer, jouent un rôle déterminant dans les mobilisations de ces derniers temps. 

Cela va des paysannes en Inde qui portent de plus en plus le poids de l’agriculture du pays jusqu’aux salariées de la santé dans le monde, essentiellement féminines, au centre des mobilisations mondiales contre la gestion du Covid par les gouvernements ou encore aux agents des ehpad, les agents de nettoyages ou femmes de ménages des grands hôtels, souvent issues de l’immigration, qui sont à l’origine non seulement de nombreuses victoires sociales en France quand les directions syndicales renonçaient mais qui ont prolongé la forte tendance du mouvement ouvrier en France qui s’exprimait hors des structures traditionnelles depuis 2015 et ont porté ainsi le tournant du  mouvement social de la première moitié de 2018, qui a permis par la suite de déboucher la même année sur le mouvement des Gilets Jaunes. Le mouvement des Gilets Jaunes et leur démocratie directe est sorti de celui des femmes.

Les femmes prolétaires en Asie, dans le monde arabe, en Afrique subsaharienne, en Amérique du sud ou du nord, en Europe mènent un combat mondial de transformation sociale et accouchent de transformations qui vont bien au delà des revendications strictement féministes ou féminines mais qui sont des transformations sociales de fond. 

Elles ont entraîné dans leur sillage le combat des paysans indiens mais aussi les luttes  pour le droit aux différences sexuelles, contre l’homophobie, mondiales également  qui s’inscrivent dans l’agenda politique et social de beaucoup de pays et occasionnent des mobilisations planétaires coordonnées.

Il en va de même pour l’anti-racisme d’aujourd’hui.

L’émotion anti-raciste née de l’assassinat de George Floyd par un policier aux USA s’étend au monde entier en quelques jours -beaucoup par les femmes encore –  retrouvant les mêmes émotions et combats locaux sur toute la planète. Elle mobilise la population américaine dans le plus grand mouvement social de son histoire, entraînant dans les élections la majorité de la population pour faire chuter Trump, sa démagogie réactionnaire, misogyne, xénophobe, hostile aux pauvres tout autant que ses méthodes autoritaires tentées jusqu’à la possibilité d’un coup d’État.

Au pays de ceux qui veulent penser globalement pour agir localement, les militants écologistes expriment bien cela en disant que l’écologie sans lutte contre le capitalisme n’est que du jardinage. Greta Thunberg se mobilise pour les paysans indiens et provoque en conséquence une crise politique dans ce pays. Les manifestations des jeunes pour le climat – ou des moins jeunes – sont devenues une mobilisation mondiale régulière quasi traditionnelle qui s’oppose de fait aux tractations politiciennes des représentants politiques de l’écologie institutionnalisée et désuètement nationale. 

Le climat n’a pas de frontières et la lutte pour le climat non plus. Nous le savions,  nous le disions mais maintenant, ce sont des masses en mouvement qui le disent. 

Le nationalisme laisse la place au combat des nationalités par et avec les autres

Le refus des frontières qui nous séparent et nous opposent par le sexe, la religion, la couleur de peau touche aussi au refus des frontières qui opposent les peuples.

Les nationalistes écossais conçoivent la nation écossaise sans des frontières nouvelles qui les sépareraient des autres peuples européens, tout comme les gallois, les irlandais du nord et les catalans. Leur combat national se fait contre ceux qui par le nationalisme traditionnel, par exemple le Brexit, les sépareraient des autres nations. Les nationalistes catalans mettent sur les balcons de leurs logements et de leurs bâtiments institutionnels, des banderoles, « bienvenue aux réfugiés du monde« . Étrange nationalisme sans frontières où l’identité s’affirme non pas par le repli sur soi mais par l’ouverture aux autres. Nous sommes loin des nationalismes sanglants qui ont présidé à l’éclatement de la Yougoslavie au début des années 1990. 

Les musulmans du Bengale occidental se regroupent en partis mais pour s’opposer à Modi et surtout pas aux hindous paysans avec qui ils combattent ensemble et dessinent là une remise en cause des frontières de l’Est indien, autour de l’ancien Bengale, cassant l’hostilité entre Bangladais musulmans et indiens hindous, posant les bases d’une unification dans cette logique de toute la région, du Bangladesh aux États des 7 sœurs de l’Est indien et ses multiples tribus aux logiques ethniques ou nationales jusque là centrifuges. C’est un paysan indien, animateur de la lutte économique actuelle de ces derniers dans l’État de l’Assam où règne depuis des décennies les pires divisions ethniques, leader de la lutte contre ces mêmes divisions et de la lutte de 2019-2020 contre les discriminations contre les musulmans, qui a été élu aux élections législatives de 2021, alors qu’il n’a pas même pas pu faire campagne puisqu’il est en prison. Un peu comme si un bosniaque musulman et en prison était élu député de Belgrade en Serbie. Le monde change et change vite.

Ce qui a changé en Inde (1 400 millions d’habitants, ce qui n’est pas rien pour l’impact sur le monde), c’est que le formidable mouvement sociétal de masse – Shaheen Bagh – en 2019-2020 contre toutes les discriminations, a vu ses valeurs et revendications reprises intégralement par le mouvement économique paysan commencé en 2020, qui continue aujourd’hui et y a ajouté la lutte pour la santé contre la pandémie et contre l’exploitation capitaliste, entraînant derrière lui toutes les classes populaires pour renverser le système.

Les Arakanais, ennemis historiques des Rohingyas en Birmanie s’allient pourtant à eux pour faire chuter la junte militaire et visent comme les autres ethnies de Birmanie à une fédération des peuples du pays alors que hier, ils ne pensaient qu’à leur séparation, la défense de leur différences par leur autonomie propre et leur propre État contre les autres. Aujourd’hui, c’est l’instauration de leurs différences par l’association avec les autres. 

Et pourquoi ne pas penser dans ce contexte à une association des peuples de Birmanie, qui irait jusqu’aux indiens et bangladais pour les régions où d’une part les mêmes tribus qu’en Birmanie existent et où d’autre part les migrations dans un sens ou dans l’autre depuis des décennies ont tissé un véritable tissu culturel humain commun ? L’État indien du Mizoram est entré en lutte contre l’État central indien, en solidarité avec les ethnies Chin en lutte en Birmanie, ethnies qui existent aussi au Bangladesh.  Il en va de même avec les tribus de part et d’autres des frontières thaïlandaises et chinoises. En Birmanie, les drapeaux nationaux ethniques ne défilent pas les uns contre les autres mais avec les autres contre l’oppression de la junte militaire qui prétendait unifier ces peuples dans une nation commune mais les écrasant par la violence. 

De la même manière, on a vu au Moyen Orient, des drapeaux algériens dans les manifestations au Liban, des drapeaux  libanais, irakiens, syriens en Algérie, en Égypte, au Soudan… Et partout dans les soulèvements de 2019 surgissent des drapeaux nationaux mais aux côtés des autres ; en Algérie les drapeaux kabyles, au Chili avec les Mapuches, au Pérou, en Bolivie, en Colombie avec les drapeaux amérindiens. Le bolivarisme par en haut de Chavez, Morales ou Ortega est bousculé par les mobilisations d’en bas. La République Arabe Unie de l’Égypte, de la Syrie, et du Yémen en 1958 paraît un jouet par rapport à l’ampleur des tendances et aspirations fédératives actuelles.

Bien sûr, il y a eu l’éclatement de la Libye en 2014 en deux parties, Tripoli et Benghazi après la chute de Kadhafi en 2012 sous la pression des manœuvres occidentales et de la Turquie, mais la tendance actuelle est à la ré-union. 

Il y a eu également l’éclatement du Soudan entre le sud et le nord en 2011 sur la ligne de partage entre les traditions construites « africaines » et « moyen-orientales ». Mais cette cassure de l’État qui ouvre à une rupture d’une identité « nationale » Soudanaise -invention coloniale –qui n’existait guère recompose de fait la pensée dans la région sur une orientation unifiante fédérative qui permet paradoxalement l’expression d’une  multiplicité encore plus grande d’identités culturelles autour des traditions sahéliennes du Tchad, du Niger, du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie ou du Sénégal sans rompre pour autant avec sa frontière arabe et moyen-orientale. Ainsi, les « Soudan Studies » qui significativement se centraient jadis sur le territoire d’un État sans nation, s’élargissent maintenant et recomposent tout un monde en devenir, plus large et plus divers, qui n’a plus rien à voir avec les frontières artificielles crées par le colonisateur et la souveraineté de l’État de l’indépendance mais cherche le fonctionnement possible d’une société plurale au travers de formes directes de souveraineté populaire telles que celle que les soudanais ont imposé dans la rue en 2019. 

C’est par la rue et dans la rue qu’une véritable souveraineté populaire multi-ethnique voire multi-nationale montre l’unité de ses drapeaux contre la souveraineté de l’État-nation qui nie la diversité parce qu’il est lié dans sa genèse à l’exploitation capitaliste et qu’il la perpétue.

Les divisions de classe sociale l’emportent aujourd’hui sur les divisions nationales, ethniques ou raciales, un même mouvement social commun apparaît clairement dans les multiples révoltes qui viennent de traverser le Nigeria, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Mali,  la Guinée, le Centre-Afrique, le Burkina Faso, etc…. et qui donne la même couleur sociale à ces révoltes diverses.

Le « nationalisme » n’est plus seulement centrifuge, replié sur lui, à construire des frontières et des séparations au prétexte des différences mais devient centripète restant national mais déjà plus nationaliste, se construisant autour des questions sociales dont l’expression actuelle des questions sociétales est la première phase comme en Inde et tend à construire ses différences par la fédération avec les autres. 

On ne sait pas comment va évoluer le mouvement palestinien qui a ressurgi ces derniers jours, mais ce qui est remarquable, c’est que c’est un mouvement de la classe ouvrière palestinienne avec ses propres structures d’auto-organisation contre celles des mouvements nationalistes du Hamas ou de l’OLP.

Avec la chute de Netanyahou, comment voient-ils les roquettes du Hamas tirées au  hasard sur la population israélienne tandis qu’ils ont vu ces derniers temps pendant des mois et tous les samedis ces mêmes israéliens manifester massivement dans les rues pour dégager Netanyahou, leur ennemi commun ? 

N’y a-t-il pas dans l’émergence de ce mouvement national d’en bas le message général en train de se créer sur la planète : nous ne supportons plus les frontières qui nous étouffent. Nous en avons fini avec la période d’après la seconde guerre mondiale qui a vu éclore des États indépendants et de soit-disant nations opposées et concurrentes partout ? Ouvrez les fenêtres, on étouffe…

On s’aperçoit plus que jamais à une échelle large que notre planète est unique et que nous sommes tous des citoyens du même globe. Les luttes contre les oppressions se mêlent et annoncent les luttes communes contre l’exploitation, qui est la cause des oppressions.

5. QUELQUES ETAPES DE CRISTALLISATIONS POLITIQUES DANS LES EVOLUTIONS ECONOMIQUES ET SOCIALES  DE 2008 A 2018/2019 PUIS 2020/2021

Avec la mondialisation et depuis la crise de 2008-2009, il y a eu un processus lent, une accumulation progressive de mécontentements et de prises de consciences à l’échelle planétaire et à une échelle de masse comme nous venons de la décrire qui s’est développée parfois de façon visible, parfois au contraire de manière souterraine, une fluctuation qui s’est manifestée dans des étapes politiques différentes voire opposés, même si la vielle taupe continuait à creuser de manière continue. 

En 2008, on l’oublie souvent, la crise financière fut doublée d’une crise alimentaire dans les pays du sud qui généra pour la première fois à une telle échelle et quasi simultanément des émeutes et soulèvements en Guinée Bissau, Cameroun, Mozambique, Mauritanie, Côte d’Ivoire, Mali, Burkina Fasso, Burundi, Ouganda, Sénégal, Ghana, Éthiopie, République Centrafricaine, les deux Congo, Kenya, Nigeria, Égypte, Soudan, Maroc, Indonésie, Pakistan, Sri Lanka, Thaïlande, Philippines, Haït, Argentine, Équateur, Mexique, El Salvador… 

Cette crise a représenté une rupture fondamentale dans l’ensemble de l’évolution de la situation internationale.

Elle fut suivie dans la foulée d’une seconde vague de soulèvements populaires plus ou moins intenses mais qui n’étaient déjà plus des émeutes et sans être très organisés ou structurés l’étaient toutefois beaucoup plus. 

Ce furent les révolutions arabes de 2011-2013 et leurs places occupées Tahrir en Egype 2011ou Kasbah en Tunisie 2011, puis dans la foulée Occupy et le parc Zuccotti aux USA 2011, Indignés d’Espagne de la Puerta del Sol en 2011-2012, indignés de Grèce de la place Syntagma en 2011, indignés d’Israël qui occupent le boulevard de Rothschild de Tel-Aviv, Indignés de Reykjavik en Islande, puis les soulèvements de Maïdan en Ukraine 2013-2014, de Taksim en Turquie 2013, avec des résonances « indignées » dans de très nombreux pays, du Brésil à la Bulgarie en passant par le Mexique jusqu’à des mouvements dans cette tendance moins importants un peu plus tard mais quand même significatifs,  Nuits Debout en France en 2016 … et enfin aujourd’hui, les occupations des portes de Delhi…ou des théâtres français avant demain les occupations d’usines. 

Puis, nous avons connu dans un troisième moment de cette étape, les échecs de ces mouvements de 2013 à 2018 et la montée de la réaction dictatoriale avec Sissi en Égypte, avec Bachar el Assad en Syrie, au Yémen… accompagné des poussées électorales à droite qui se mêlent avec l’espoir et l’illusion d’une protection contre la mondialisation économique en se protégeant derrière les frontières nationales et donc accompagnée souvent d’un rejet des partis politiques traditionnels sur un fond de poussée de l’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe depuis les années 1980-1990. 

C’est ainsi le succès de Viktor Orban qui devient premier ministre en mai 2010 en Hongrie après le succès de son parti aux élections législatives, celui de Modi élu en 2014 en Inde, celui d’Erdogan premier ministre depuis 2003 mais qui renforce son emprise en se faisant élire président de la République au suffrage universel en 2014 en Turquie, celui du mouvement  « 5 étoiles » créé en Italie en 2009 avec ses premiers succès électoraux en 2013, puis au gouvernement en juin 2018 aux côtés du dirigeant d’extrême droite Salvini, celui de Trump élu en novembre 2016 aux USA, celui de Macron élu en mai 2017 contre l’extrême droite mais qui glissera ensuite très à droite, celui de Johnson élu en octobre 2019 après le succès du référendum sur le Brexit de juin 2016 en Grande Bretagne, celui de Bolsonaro élu en octobre 2018 au Brésil,… etc.

Dans le même mouvement politique dans la suite des échecs des mouvements sociaux de 2008 puis 2011-2013 on assiste de l’autre côté de l’échiquier politique à l’apparition d’une gauche dite radicale plus universaliste par principe mais souvent aussi gangrenée par les préoccupations nationales voire nationalistes.

Il s’agit du Front Populaire en Tunisie à partir de 2012, de l’APS au Soudan à partir de 2013, de Podemos en Espagne avec ses premiers succès électoraux à partir de 2014, Siryza créé en Grèce en 2003 aux premiers succès électoraux en 2012 et son accession au pouvoir en 2015, le courant autour de Corbyn en Grande Bretagne qui l’amène à la tête du Parti Travailliste en 2015, de Sanders aux USA qui voit une forte poussée sur sa candidature aux primaires du parti démocrate en 2016, de Mélenchon en France qui obtient un résultat électoral important en 2017, mais aussi l’ AAP (Parti de l’homme ordinaire) fondé en Inde en 2012 qui conquiert la ville et territoire de Delhi en 2013 puis 2015, Gorran créé en 2009 qui obtient ses premiers succès électoraux au kurdistan irakien la même année, l’HDP créé en Turquie en 2013 qui a ses premières victoire électorales en 2015,  l’Alliance Rouge et Verte au Danemark qui existait depuis longtemps mais qui fait un bond en avant électoral à partir de 2011, le Bloc de Gauche au Portugal à l’existence ancienne mais qui bondit aussi dans les élections à partir de 2015…

Globalement toutefois, l’expérience nationaliste de gauche ou de droite, a échoué ou est affaiblie, en train d’être rejetée, même si elle peut bien sûr rebondir demain, à gauche ou à droite, dans des circonstances locales, avec des scissions, rajeunissements, comme New Generation au Kurdistan Ikakien ou Swaraj India par exemple en Inde, etc…. 

Toutefois, durant ces années 2013-2018, comme nous l’avons vu plus haut, les valeurs de l’idéologie bourgeoise, continuaient à être sapées dans l’esprit des classes populaires. La mondialisation s’est accompagnée aussi de révolutions technologiques dans les télécommunications avec des conséquences subversives pour l’ordre social des États-nations, l’interpénétration planétaire des modes de vie, des cultures et des imaginaires (en 2030 on estime que les classes moyennes chinoises consommeront autant que les mêmes classes moyennes aux USA en 2 000) et notamment la mise en contact de 4 milliards d’internautes et la création des réseaux sociaux qui ont joué un rôle important dans les soulèvements populaires et dans leur homogénéisation locale, régionale ou mondiale comme par exemple « l’Alliance du thé au lait » qui cherche à lier par ce biais, les combats de Thaïlande, Hong Kong, Taïwan ou Birmanie.

Ces tentatives nationalistes ont fonctionné pour le grand public comme des échecs.

Avec une nouvelle crise économique commencée en 2018 il y a eu une troisième vague de soulèvements en 2018 et 2019,  beaucoup plus importante avec 54 pays touchés, ce qui a été vu par beaucoup, avant d’être interrompue un moment par la crise du Covid .

Dans cette période du Covid 2020-2021, les États ont redéveloppé à toute vitesse le courant réactionnaire et autoritaire pour sauver ce qu’ils pouvaient de leur ancien ordre social au prétexte de l’épidémie ce qui ne fait que repousser l’explosion mais lui donner une importance plus grande encore, car ils n’arrivent plus véritablement à habiller leurs habits réactionnaires de justifications idéologiques autour de la défense de la nation, comme de leurs autres valeurs de la prétendue supériorité du privé sur le public puisque leurs capitaines d’industrie sont perçus comme des gangsters notoires des paradis fiscaux, leur personnel politique comme des abrutis intéressés sur fond d’une question sanitaire de la pandémie qui peut difficilement trouver un logement dans l’étroitesse de la nation. 

Mais déjà, très rapidement à nouveau, la marche en avant des révolutions vient bousculer un peu plus l’autorité des États-nations, de leurs dirigeants et de leur système comme on le voit dans les événements actuels d’Inde, de Colombie, des USA, d’Algérie, d’Israël, du Liban, de Birmanie, de Biélorussie ou de Palestine avant de s’étendre plus largement encore. Et cette fois, avec déjà des succès, comme nous l’avons vu, avec Black Lives Matter aux USA qui a fait tomber Trump et un Biden dont les mesures économiques expriment la pression qu’il subit, la chute de J. Anez en Bolivie, celle de la constitution de Pinochet au Chili…

Que de chemin parcouru par le mouvement populaire mondial depuis les émeutes de 2008 !

Jacques Chastaing, juin 2021.