L’article de la semaine dernière, «  »Macron fait des « paris » … sur nos vie. Stop !  » appelait à une discussion : « Dans cette situation, deux possibilités. D’abord, celle pour laquelle nous devons combattre : la généralisation et la centralisation de l’affrontement social avec Macron, mettant la France au diapason de l’Inde, de l’Algérie, du monde. Mais si cela tarde et que le mur des présidentielles approche vraiment, une candidature représentant la poursuite de ce combat avec suffisamment de surface pourrait-elle être imposée ? Ou se poserait-il plutôt la question du boycott actif de ce scrutin antidémocratique, visant à délégitimer toute présidence pour renverser ce régime ? Discutons-en. »

Nous publions ici, à titre de contribution à un débat qui pour nous doit s’élargir et durer, deux textes : un appel « Sur la Constituante » (Robert Cartier est ancien maire de St-Martin de Clelles, dans l’Isère), et une critique de cet appel qui est elle-même une poursuite de la discussion, communiquée par Robert Duguet.

2022 L’appel des « Jean Martin » Sur la Constituante

Malgré l’urgence de la situation écologique et climatique, malgré les urgences sociales, démocratiques et humaines, la course à la présidentielle attire toutes les convoitises et les aventures.

Bien que beaucoup soient conscients des excès du « présidentialisme », peu, même à gauche, remettent en question cette élection. A défaut d’une organisation « fédérante », la gauche est émiettée et semble vouloir partir désunie à cette élection. Chacun ayant un bon argument pour ne pas regarder à côté. JL Mélenchon s’appuyant sur ses presque 20% de la précédente présidentielle, les écologistes de leur score aux européennes (Jadot ou Piolle), le PC de Roussel et le PS de Faure ou Hidalgo, sans parler de Montebourg ou Taubira et même Lutte Ouvrière !

Avec cette conception c’est l’élimination assurée de la gauche au second tour, le duel entre l’extrême droite et les libéraux extrêmes ! Et ce sera sur un plan plus global la poursuite de l’effondrement de la situation écologique actuelle, qui rendra à court terme impossible une gestion démocratique de notre société, et aléatoire la survie de ceux qui la constituent.

Dans tous les domaines (climat, terres cultivables, inégalités sociales, effondrement de la biodiversité terrestre et aquatique, ressources énergétiques, grands travaux inutiles…) la dégradation accélérée par la gestion ultra-libérale est déjà telle qu’à court terme le choix ne sera plus entre Gauche et Droite, mais entre chances de vie et certitude de mort.

2022 est probablement la dernière occasion pour actionner l’aiguillage vers un avenir possible.

Qui peut assumer un tel scénario ?

Proposition :

C’est donc à la société civile – celle qui n’en peut plus !- de proposer une autre solution. Partons de l’idée que la 5 e république est moribonde, finie, et qu’il est impérieux de définir un autre cadre politique au travers d’une constituante et d’une 6ème république, ce processus pourrait être conduit dans les 12 à 18 mois après l’élection présidentielle. Notre candidat(e) devrait être porteur de cet engagement premier : le socle.

Pour les urgences, pour travailler ensemble, être pratique et efficace, la proposition serait que chaque parti, syndicat, association, souhaitant ce changement définisse les 5 mesures prioritaires selon lui. Cette compilation des priorités, de chaque parti, syndicat, association pourrait servir de base à une convergence (synthèse) d’une quinzaine d’actions, posées sur le socle du point numéro

1 : la constituante.

Le candidat, la candidate prendrait l’engagement devant tous de réaliser ces points de convergence durant son mandat (on peut penser que celui-ci serait limité à 1 ou 2 ans, et que la 6 e république permettrait une autre mobilisation et une autre représentativité). Les législatives suivant l’élection présidentielle permettrait d’établir les équilibres de cette première phase.

Reste le plus point délicat, celui du choix du candidat ou de la candidate pour porter ce projet.

Le plus simple : en refusant tous les égos et en éliminant d’office tous les postulants connus (Mélenchon, Jadot, Piolle, Montebourg, Taubira…)

En sélectionnant un candidat consensuel (hors parti), par tirage au sort dans un panel de personnes représentant la convergence et candidat de celle-ci, au hasard « Jean Martin ». Et la désignation d’un suppléant

Le tout avec un engagement de tous à participer et à soutenir ce processus

Cette démarche est sans doute idéaliste mais ré-enchanterait notre espoir dans la politique et donnerait un projet et un avenir pour la jeunesse !

Nous sommes de simples citoyens, sans responsabilité politique, mais avec la responsabilité devant la jeunesse et devant notre pays de trouver une solution écologique, sociale et politique.

Robert CARTIER – Jean JONOT

St Martin de Clelles 22/2/2021

 

A propos de l’appel de Robert CARTIER et Jean JONOT intitulé : 2022 L’appel des « Jean Martin », par Robert Duguet

J’ai relu l’appel plusieurs fois, c’est une position qui est partagée par des militants qui jugent qu’il est encore possible de se battre dans la présidentielle pour défendre un programme répondant aux aspirations des classes populaires. Au centre le débat sur une constituante, la nécessité de se débarrasser du carcan des institutions gaullistes et de rétablir la démocratie. Si l’aspiration est saine, j’estime qu’elle mène aujourd’hui dans une impasse…

L’appel réintroduit par la fenêtre ce qu’il avait chassé par la porte : à savoir que « la course à la présidentielle attire toutes les convoitises et les aventures ». On peut difficilement écrire que la présidentielle est un piège absolu et en même temps se préparer à s’inscrire dans son cadre. Un candidat hors système, portant la revendication d’une constituante et d’une 6ème République, sera présenté par le pouvoir médiatique et politique comme une candidature de plus. Il sera marginalisé. D’autant que sur ce terrain Mélenchon revendique aussi la constituante et la 6ème République, s’appuyant sur le score des 20% du corps électoral réalisé au dernier cirque de l’élection bonapartiste.

Le terrain est miné. Toutefois concernant Mélenchon l’imposture apparait vite : entre la campagne présidentielle de 2012, où il entre en scène le 18 mars avec le drapeau rouge, jour anniversaire de la Commune de Paris, avec 100 000 manifestants à la Bastille, et la situation actuelle, la fenêtre de tir n’est plus la même. Il y a la légalité de la Vème République et la légitimité de Macron jusqu’en mai 2022 qu’il faut respecter. Car Mélenchon ne sort pas de cette position : elle apparait même comme grossière, elle ne résiste pas à l’analyse : votez pour moi et après vous aurez la Constituante et… la 6ème République. Cela ne peut pas se passer dans ce sens-là… Cela ne s’est jamais passé ainsi dans l’histoire des constituantes répondant aux crises révolutionnaires. Aujourd’hui des éléments de la démocratie petite bourgeoise, voire des organisations se réclamant de la IVème Internationale, font référence à une Constituante. Discutons…

Un pouvoir constituant ne résulte pas de l’addition des revendications particulières, définies par tel ou tel syndicat ou parti. Le salariat n’existe que comme corps politique prenant en main la direction de la société, dans une situation où la survie du capitalisme menace les bases même de la civilisation humaine, son cadre de vie naturel. Ce qui veut dire que nous devons exister comme corps politique constituant… nous en sommes loin, alors que la haine et la colère sociale monte contre ce régime. Le mouvement de la société va beaucoup plus vite que la conscience. Mais un mouvement révolutionnaire sans représentation risque de retomber dans les vieilles ornières. Donc la question de la représentation d’un tel mouvement se trouve posée, alors que le vieux mouvement ouvrier est en état de décomposition avancée.

Il faut revenir sur la question de la Constituante : celle de la grande révolution d’abord qui traduit sur le plan de la construction d’une représentation bourgeoise le passage d’un mode d’exploitation du travail social à un autre. Mais à travers quelles convulsions sociales ! Marx dit quelque part que les couches petites bourgeoisies des faubourgs et le prolétariat en formation aident la bourgeoisie à se débarrasser de ses ennemis féodaux. Le problème de la bourgeoisie déjà, c’est d’arrêter le flot révolutionnaire. Ainsi, pour ne citer que lui, Isaac Le Chapelier impose au sein de la législative sa loi, celle du 17 juin 1791 qui interdit les corporations, les rapports précapitalistes qui associent l’apprenti au compagnon et le compagnon au maitre, pour libérer le capitalisme de libre concurrence. La situation troublée socialement à la fin de la Législative verra le même Le Chapelier tourner contre la montée prolétarienne les armes d’une loi qui visait à détruire le corporatisme d’ancien régime, cette fois-ci contre toute association ouvrière. La bourgeoisie veut bien s’organiser politiquement et institutionnellement, mais en interdisant au prolétariat de s’organiser lui-même.

Les constituantes qui suivront, particulièrement celles de 1848 et de 1946, ne sont pas autre chose que des moments de temporisation transitoire que la bourgeoisie met en place, dans des moments de fracture sociale, des contre-feux contre la montée prolétarienne. 1848 commence par les discours flamboyant de Lamartine associant le drapeau rouge dans les plis du drapeau bleu, blanc, rouge et finit par l’écrasement du lion prolétarien en juin. La bourgeoisie remercie Lamartine et se tourne vers Bonaparte. Lamartine ne comprend pas dans son ego d’aristocrate pourquoi il prend une raclée électorale face au prince Louis Napoléon Bonaparte et s’en prend à la corporation des instituteurs, ces « demi-savants…fomentateurs de haine sociale… qui voudraient nous convier à la gamelle universelle. »

La Constituante de 1946 traduit les rapports de force de la Libération, un mouvement ouvrier qui sort renforcé de la lutte contre le fascisme et qui impose les mesures semi-socialistes contenues dans le programme du CNR, « les jours heureux ». Cette fois-ci, ce sont les représentations du mouvement ouvrier, surtout le PCF qui sort grandi de la lutte armée et de la victoire de l’Union Soviétique à Stalingrad, qui imposent le contre-feu. Contre De Gaulle d’abord qui, dans son discours de Bayeux du 16 juin 1946, contre le régime des partis, défend sa conception du rôle du chef de l’Etat, inspirée du nationalisme intégral de Maurras. Contre le prolétariat ensuite, « produire d’abord, revendiquer ensuite… » tout en appliquant partiellement les mesures du programme de la résistance.

L’alternative n’est pas aujourd’hui entre Vème République et restauration d’une 6ème république parlementaire, mais entre régime autoritaire maintenu sous la férule actuelle des policiers de Macron et république sociale. On ne voit pas comment des formes parlementaires peuvent aujourd’hui exister, alors que la bourgeoisie remet en cause à l’échelle internationale les formes parlementaires et nous entraine vers des dictatures. Certes en France par un Bonaparte pitoyable de 3ème ou 4ème zone, mais qui se tient encore debout parce que l’ensemble de la représentation politique le reconnait comme légitime.

Le pouvoir constituant ne peut venir que des travailleurs en lutte contre les licenciements, des soignants revendiquant qu’on arrête de détruire le système de santé, des enseignants défendant la transmission des connaissances… (la liste est longue) la question est celle de notre organisation en corps politique. Mais penser qu’on peut prendre les hommes du système sur leur gauche en participant au jeu électoral de la présidentielle grâce à un représentant qui traduise les aspirations actuelles, fût-il contrôlé par ses mandants, c’est peine perdue. Cela fait des décennies que le système de la Vème république isole, par les moyens politiques, médiatiques et institutionnels à sa disposition, les courants et les hommes qui veulent une autre organisation démocratique. Les camarades de ma génération issus d’une culture politique qui est celle de Léon Trotsky, ont joué à plusieurs reprises le jeu du combat politique dans les institutions bonapartistes. Quel bilan en tirons-nous ?

Pour ma part je crois à une solution de boycott actif, qui n’est possible que si la classe avant mai 2022 arrive à se hisser à la hauteur de la situation et centralise son offensive contre le régime de Macron pour le faire chuter ici et maintenant.